Manœuvres politiques pour une intervention militaire

Malgré les mises en garde de Washington

Manœuvres politiques pour une intervention militaire

Par : Merzak Tigrine, Liberté, 1er juillet 2012

Se gardant de s’impliquer officiellement dans la crise malienne, Paris n’épargne toutefois aucun effort pour accélérer une intervention militaire dans ce pays à travers la Cédéao, que contrôle la Côte-d’Ivoire, qui a vu sa dette… effacée par le Club de Paris.

Les manœuvres vont bon train pour une intervention militaire au Mali. Ainsi, la Cédéao a appelé, vendredi, le Conseil de sécurité de l’ONU à “accélérer”, en vue de l’adoption d’une résolution autorisant l’envoi d’une force régionale au Mali contre les groupes armés, surtout islamistes, qui contrôlent le Nord. Pendant ce temps, les États-Unis ont mis en garde cette organisation régionale contre une éventuelle intervention dans le nord du Mali. Si le secrétaire d’État adjoint chargé des Questions africaines, Johnnie Carson, a mis en garde, au cours de son audition par le Congrès, contre une éventuelle intervention dans le nord du Mali, il a estimé que ce contingent devrait s’efforcer de stabiliser le sud du pays et ne pas s’aventurer dans le Nord.
Dans sa mise en garde, Washington estime qu’il s’agit d’une “entreprise très lourde pour la Cédéao”, qui devrait être “préparée très soigneusement et disposer de ressources en conséquence”. Le secrétaire d’État adjoint chargé des Questions africaines, Johnnie Carson, a notamment insisté sur le fait qu’il “faut se rendre compte que le gouvernement au Sud n’a plus de force armée digne de ce nom”, car, a-t-il ajouté, “il a perdu la moitié de son équipement quand il a quitté le Nord”. Pour rappel, la Cédéao prépare depuis plusieurs semaines l’envoi éventuel d’une force au Mali, dont l’effectif est actuellement fixé à quelque 3 300 hommes. Comme elle a besoin, avec l’Union africaine (UA), d’un soutien international à une telle opération, et d’un appui notamment logistique des États-Unis et de la France, la Cédéao attend le feu vert du Conseil de sécurité.
Ce dernier avait jugé son premier projet beaucoup trop imprécis, tout en l’appelant à revoir sa copie. Il n’en demeure pas moins que la Côte-d’Ivoire, qui dirige les opérations au sein de la Cédéao, est encouragée dans son entreprise par la France, qui se garde toutefois de s’impliquer directement.
Paris facilite les choses à Abidjan, comme en témoigne l’effacement de la quasi-totalité de sa dette auprès du Club de Paris, après avoir déjà vu cette semaine sa dette allégée par le FMI et la Banque mondiale. Le Club de Paris, qui regroupe des créanciers publics, et le gouvernement de Côte-d’Ivoire se sont entendus pour annuler la dette du pays à l’égard de cette institution à hauteur de 6,5 milliards de dollars.
Ceci représente 99,5% de ce que devait la Côte-d’Ivoire aux créanciers du Club de Paris, selon un communiqué. Pendant ce temps, Ansar Eddine, un des groupes islamistes armés contrôlant le nord du Mali, a annoncé hier qu’il allait détruire “tous les mausolées” de saints musulmans de Tombouctou, ville inscrite cette semaine par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial en péril. Selon son porte-parole, cité par l’AFP, “Ansar Eddine va détruire aujourd’hui tous les mausolée de la ville. Tous les mausolées, sans exception.” D’après la mission culturelle de Tombouctou, 16 mausolées de cette ville à la lisière du Sahara, surnommée “la Cité des 333 saints”, sont sur la liste du patrimoine mondial. De son côté, l’Unesco a déploré hier la destruction “tragique” de mausolées à Tombouctou par des islamistes armés contrôlant le nord du Mali, deux jours après l’inscription de cette ville sur la liste du patrimoine mondial en péril de l’organisation. Le recteur de la Grande-Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, a, quant à lui, affirmé que la destruction par des islamistes armés de mausolées de saints musulmans à Tombouctou, au Mali, risquait de “choquer la très grande majorité des musulmans de la région”.

M T


La rébellion touareg hors jeu

Aqmi, Ansar Eddine et Mujao se disputent le nord du mali

Par : Djamel Bouatta

Aqmi, du côté de l’Adrar, au Nord-Est. Le Mujao au Nord, à Kidal et à Gao depuis mercredi. Ansar Eddine à Tombouctou et ses alentours. Voilà comment le nord du Mali est réparti par les islamistes jihadistes.

Le Mujao contrôle actuellement le terrain. Depuis fin mars-début avril, les villes et régions administratives du nord du Mali, Tombouctou, Kidal et Gao, sont tombées aux mains des groupes armés islamistes que sont le Mujao et Ansar Eddine, soutenus par Aqmi, le MNLA et divers groupes criminels. Cette chute de plus de la moitié du territoire malien a été précipitée par un coup d’État qui, le 22 mars, a renversé le président Amadou Toumani Touré.
Depuis, l’armée malienne, en pleine décomposition, est incapable de reprendre le terrain perdu et les autorités de transition, mises en place à Bamako après le retrait des putschistes du pouvoir le 6 avril, paraissent impuissantes.
La tension était vive ces derniers temps entre le MNLA, mouvement déclaré laïque qui a proclamé unilatéralement l’indépendance du nord du Mali, et les islamistes dont l’objectif affiché est l’application de la charia dans tout le Mali. Le MNLA avait déjà été marginalisé dans plusieurs localités, en particulier à Tombouctou, contrôlée par Ansar Eddine qui y impose la charia, distribuant des coups de fouet aux déviants que sont, selon ce mouvement, les couples non mariés, les fumeurs ou les buveurs d’alcool.

Le MNLA, en perte de vitesse, dirigé par un bureau politique plus ou moins fantoche. En réalité, celui qui en tient les rênes est le chef du bureau militaire, le colonel Mohamed Ag Nejim. Un colonel du régime de Kadhafi qui tenait la région sud de la Libye, rentré avec son régiment (plus de 1 000 hommes) et des armes (véhicules blindés et matériel militaire) dans sa région d’origine à la chute de Kadhafi. Cette première force politico-militaire reste non négligeable, mais elle a perdu certains de ses hommes. Il y a ce Mujao, de création récente, qui a fait parler de lui à Tamanrasset puis au Sahara occidental par un attentat et un enlèvement d’humanitaires occidentaux. Nouveau venu, le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest serait comme Ansar Eddine, une dissidence d’Aqmi ou son excroissance pour  l’Afrique de l’Ouest.
Le mode opératoire de ces deux mouvements est le même que celui d’Aqmi : des coups ponctuels contre les installations et les militaires et l’instauration de l’islamisme salafiste là où ils s’installent. Et pour finir ce tableau, Aqmi, qui a ensemencé le djihadisme dans cette vaste région sahélo-saharienne et dont l’objectif est d’y reproduire l’Afghanistan des talibans. Aqmi contrôle globalement la région montagneuse située au nord-est du Mali.
Dans un modus vivendi avec le gouvernement malien d’ATT, Aqmi a réussi à s’installer sur place, établir un certain nombre de camps et sanctuariser un certain nombre de territoires dans lesquels elle agit. La condition étant de ne pas s’attaquer aux forces maliennes et de ne pas importuner les populations locales. Aqmi est un mixte de contrebande, de trafic de drogue et d’enlèvements d’Occidentaux. Un mixte de djihad et de banditisme qui a bénéficié de la déstabilisation de la Libye pour récupérer quantités d’armements, de véhicules ainsi qu’un certain nombre de combattants et de miliciens. Et le MNLA dans cette nouvelle répartition ? Il voulait avoir le contrôle de tout le Nord malien pour déclarer son État indépendant de l’Azawad. En attaquant les autres régions, il s’est immédiatement affronté aux forces d’Ansar Eddine, du Mujao et d’Aqmi et le rapport de force ne lui est plus favorable.

D. B