Les pays du Sahel en état d’alerte maximum

Armes libyennes aux mains d’Al Qaîda

Les pays du Sahel en état d’alerte maximum

El Watan, 21 mai 2011

Placés sous la menace directe d’Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie ont décidé de donner un coup d’accélérateur à leur coopération sécuritaire.

C’est ainsi qu’après la réunion, le 29 avril dernier à Bamako, des chefs d’état-major de leurs armées, l’Algérie, le Niger et la Mauritanie, ont dépêché, hier, leurs ministres des Affaires étrangères dans la capitale malienne pour peaufiner avec leur homologue malien leur politique commune en matière de lutte contre le terrorisme et coordonner leurs actions sur le terrain. Cette réunion, placée sous le thème «Sécurité et développement» a officiellement pour objectif de faire le point de la situation sécuritaire dans le Sahel et de la coopération régionale, un an après celle tenue à Alger en mars 2010. La décision de ces 4 pays de donner la priorité au dossier de la lutte antiterroriste dans leur coopération s’explique, pour une large part, par les «nouveaux défis sécuritaires» induits par le conflit libyen, surtout que le Niger et l’Algérie partagent de longues frontières avec ce pays.

Pour contrer la menace, le chef de la diplomatie malienne, Soumeylou Boubèye Maiga, a souligné, à l’ouverture de cette réunion d’une journée, «la nécessité pour les quatre pays du Sahel (…) de former et de mobiliser dans les dix-huit prochains mois des effectifs de 25 000 à 75 000 hommes dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale», avant d’appeler à «plus d’unité et d’efficacité (…)». Abondant dans le même sens, le ministre délégué algérien chargé des Affaires africaines et maghrébines, Abdelkader Messahel, a affirmé que «les défis qui nous interpellent nous imposent une évaluation continuelle des situations et une planification de plus en plus pointue et une coordination plus efficace de nos actions».

Evoquer la question de la sécurité au Sahel ne veut toutefois pas dire que les pays de la région remettent en cause la légitimité des revendications de l’opposition libyenne. Pas du tout. Concrètement, Alger, Niamey, Nouakchott et Bamako redoutent surtout que les groupes djihadistes qui y activent mettent à profit la situation de grande confusion qui règne actuellement en Libye pour s’alimenter en armes et en munitions. A ce propos, il n’est pas inutile de rappeler que la crise libyenne, avec ses multiples inconnues, intervient dans un contexte régional déjà marqué par une inquiétante dégradation de la situation sécuritaire. Pour preuve, cinq Occidentaux (quatre Français et une italienne), dont on n’a que très peu de nouvelles, sont détenus depuis septembre 2010 par Al Qaîda au Maghreb islamique. La ressortissante italienne a été, quant à elle, enlevée le
2 février dernier dans les environs de Djanet.

Quoi qu’il en soit, ces craintes ne paraissent pas exagérées et encore moins fantaisistes. Pas plus loin que la semaine dernière (le 15 mai ), le ministre français de la Coopération, Henri de Raincourt, dont le pays est pourtant engagé dans l’application de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, n’a pas hésité à signaler le «transfert» de stocks d’armes hors de la Libye. Lesquels stocks d’armes seraient arrivés dans la région du Sahel. «Il est exact aujourd’hui qu’un certain nombre d’armes sont sorties de Libye. Où sont-elles arrivées ? On ne le sait pas précisément. En revanche, nous avons un certain nombre d’informations qui nous disent que certains stocks d’armes seraient arrivés dans la région du Sahel (…) ce qui n’est pas sans nous inquiéter», avait-il déclaré à la chaîne de télévision TV5, à Radio France Internationale et au journal français Le Monde.

Le Sahel, une véritable poudrière

L’élimination, mercredi dernier, dans la localité de Rouhia, située à 200 km à l’ouest de Tunis, par les forces de l’ordre tunisiennes de deux individus, «fortement suspectés d’appartenir à Al Qaîda», concourt aussi à prendre au sérieux les inquiétudes ambiantes. Surtout celles émises par les pays du Sahel membres de la «coalition antiterroriste» montée par l’Algérie. Pour rappel, les deux hommes abattus, dont la nationalité n’est pas encore connue, «portaient des ceintures d’explosifs». Avant leur neutralisation, les deux terroristes présumés n’avaient pas hésité à tuer quatre personnes, dont un colonel et un soldat de l’armée tunisienne. La question de la circulation des armes n’est pas le seul problème qui taraude l’esprit des gouvernements des pays de la région. Des sources médiatiques nigériennes et tchadiennes très crédibles soutiennent que plusieurs centaines de leurs concitoyens, dont la plupart sont d’anciens rebelles, sont allés combattre aux côtés du colonel El Gueddafi. Et nos contacts se sont montrés plus que persuadés que «ces mercenaires reviendront au pays avec des armes et de l’argent et qu’ils seront tentés par la reprise des hostilités avec les autorités centrales qu’ils accusent de les avoir oubliés». En un mot, à Niamey et à N’djamena, l’on craint fortement que la crise libyenne ne serve de catalyseur aux rebellions locales.

La remarque vaut également pour le Mali, un pays où AQMI tente actuellement d’exploiter la situation sociale difficile que traversent les populations du Nord pour recruter de nouveaux djihadistes.
Et c’est certainement dans la perspective de soustraire ces populations des griffes des terroristes d’Al Qaîda que les autorités algériennes viennent d’accorder un don de dix millions de dollars au gouvernement malien. Cette enveloppe est destinée au financement de projets de développement conjointement retenus au profit de Gao, Kidal et Tombouctou, trois régions particulièrement travaillées au corps par AQMI. Mais aussi louable soit cette initiative algérienne, tous ceux qui connaissent bien le Sahel diront qu’il faudra encore plusieurs actions comme celles-là pour barrer durablement la route à Al Qaîda. Néanmoins, c’est déjà une bonne chose que les pays de la région aient enfin pris conscience que la lutte contre le terrorisme implique aussi que l’on prenne en charge les attentes des populations.
Zine Cherfaoui