Le projet d’union méditerranéenne : Pourqoui faire ?

Le projet d’union méditerranéenne : Pourqoui faire ?

El Watan, 12 novembre 2007

Au stade de proposition, le projet d’union méditerranéenne du président Sarkozy vient de dévoiler ses premiers contours à Alger.

L’espace d’une rencontre ayant réuni experts, économistes, politiques et journalistes des deux rives de la Méditerranée, le projet cher au président français a réussi, dans sa première étape, à remettre sur le tapis toutes les questions liées aux rapports qu’entretient l’Europe avec la rive sud de la Méditerranée. Si la convergence autour du dépassement du processus de Barcelone et la nécessité d’aller vers d’autres initiatives à même de le suppléer où à défaut le renforcer, est fortement ressentie de part et d’autres des deux rives, le débat sur des questions qui fâchent est loin de connaître son épilogue. Il ne fait que commencer. Hubert Védrine, ex-ministre français des affaires étrangères, rencontré en marge du séminaire d’Alger fait la promotion du projet de Sarkozy, tout en précisant qu’il est de gauche et étranger au projet. Pour lui, le projet d’Union méditerranéenne est une « démarche pragmatique qui s’appuie sur des projets concrets dans les infrastructures, l’écologie, l’industrie et autres.  » Ne se faisant plus d’illusion sur le processus de Barcelone qui  » a eu sa chance depuis 1995  » mais dont les dirigeants du Sud avaient boycotté la fête de son anniversaire en 2005, selon ses dires, il estime qu’  » il ne faut pas sous prétexte de garder Barcelone, s’interdire de lancer de nouvelles idées.  » Considérant le débat sur les droits de l’homme, d’approches  » un peu générales et un peu creuses  » utilisées à Barcelone, mais qui n’ont pas donné de résultats, M. Védrine estime que chaque pays  » doit gérer au mieux ces questions.  » Pour lui, le projet est  » très souple et très ouvert et dépendra beaucoup des réactions des uns et des autres. « . A la question de savoir si le projet privilégiera l’approche Maghreb, l’ancien chef de la diplomatie française dira qu’il ne s’agit pas  » de fabriquer d’une façon artificielle une sorte d’union avec un traité ». Pour lui, « personne ne peut privilégier l’approche Maghreb puisque le Maghreb ne fonctionne pas. L’idée du Maghreb arabe a été inventée il y a 18 ans mais, il y a rien dedans.  » a t-il assené. Du côté du Sud, l’expert consultant international Mohand Amokrane Cherifi, contacté par nos soins, s’interroge sur la valeur ajoutée de ce projet d’Union par rapport au processus de Barcelone. Et d’expliquer : « Les parties prenantes sont les mêmes, les contraintes de la coopération entre le Sud et le Nord de la Méditerranée sont toujours là : faibles progrès du processus de paix au Proche Orient, libéralisation des échanges des produits industriels et des services d’un côté, difficulté d’accès au marché des produits agricoles de l’autre côté, rejet de la libre circulation des personnes avec priorité à la sécurité et au contrôle de l’immigration. Le projet d’Union évoque le co-développement. Or, les investissements du Nord en direction du Sud de la Méditerranée sont concentrés dans le secteur des matières premières. Si un Etat du Nord n’a pas réussi à inciter ses entreprises, largement autonomes, à investir dans le secteur industriel d’un pays du Sud, il est difficile d’imaginer qu’une union de plusieurs Etats pourrait mieux y parvenir. Cela étant, l’Union méditerranéenne gagnerait à renforcer le processus de Barcelone et non à contrarier sa relance.  » Et à la question de savoir alors, devant ce constat critique, les arrière-pensées qui sous tendent le projet, notre interlocuteur dira :  » si les objectifs de cette Union ne seront convenus qu’après une large consultation des pays intéressés, qui culminera avec la réunion des Chefs d’Etat en juin 2008, il sera difficile d’ignorer les appréhensions des parties concernées par ce projet. La Turquie a déjà rejeté cette initiative car perçue comme alternative à son adhésion à l’Union européenne. D’autres pays la perçoivent comme une forme d’hégémonie politique, économique et culturelle du Nord sur les pays du Sud de la Méditerranée.  » Se voulant plus explicite, M. Cherifi, indiquera que bien au-delà de ces considérations,  » l’espace méditerranéen est un enjeu stratégique pour l’Europe comme pour les Etats-Unis. L’initiative est perçue par certains observateurs comme un cadre de dialogue qui vise à conférer à son promoteur, la France, un avantage comparatif au Sud de la Méditerranée, sur le plan politique, économique, culturel et sécuritaire, par rapport à ses partenaires européens et à ses concurrents américains porteurs d’un autre projet pour la région, « le Grand Moyen Orient ».  » Et à M. Cherifi, de douter de la crédibilité du projet  » entachée par les propos du Président français sur l’immigration choisie, son récent discours sur l’Afrique, son refus de se confronter au passé colonial, sa volonté de renforcer le volet sécuritaire, sa position sur le statut du Sahara occidental et son approche atlantiste du conflit du Moyen Orient.  » D’autre part, notre interlocuteur, estime que le processus de constitution de cette Union  » par le haut entre des Etats qui ne partagent pas tous les mêmes valeurs (démocratie, droits de l’homme) et sans participation des populations et des acteurs de la société civile  » risque  » de cautionner des régimes non démocratiques, de couvrir leurs pratiques liberticides et de retarder l’émancipation de leurs sociétés. »

Mahmoud Mamart

 


Pétrole et gaz : Les enjeux énergétiques au menu

L’énergie a été l’un des thèmes débattus par la rencontre du 3 novembre dernier organisée à Alger autour du thème « Les enjeux de l’union méditerranéenne ». Si les problèmes politiques ont fini par focaliser l’attention, la présence de spécialistes des questions énergétiques a quand même eu le mérite d’aborder certaines questions cruciales pour cette région.

La présence du professeur Jean-Marie Chevallier membre du cercle des économistes et expert dans les questions énergétiques, de Mustapha Faid directeur général de l’Office méditerranéen de l’énergie, de Jean Pierre Hansen directeur général de Suez, de Fethi Arabi directeur stratégie et prospective à Sonatrach a permis d’esquisser un débat qui par manque de temps n’a pas pu être poursuivi. Dans un exposé introductif, l’ancien gouverneur de la banque centrale d’Algérie, Abderahmane Hadj Nacer, se posait la question de savoir si le projet d’union méditerranéenne n’est pas une manière déguisée de mettre la main sur les ressources naturelles des pays du sud quand on évoque la sécurité énergétique. Dans son exposé, Jean Marie Chevallier a restitué les véritables enjeux de la question énergétique en Méditerranée, en évoquant la nécessité d’un avenir énergétique et environnemental soutenable. En abordant les questions de l’heure, le débat a pu être recentré sur la nécessité de « constituer un avenir énergétique durable ». Sans se focaliser uniquement sur les ventes de gaz. Si les pays du nord se soucient de leur approvisionnement en énergie pour les prochaines décennies, la sécurité de l’approvisionnement va se poser pour tout le monde, y compris pour les pays producteurs dans la mesure où les ressources actuelles en énergie ne sont pas renouvelables. Il s’agit alors pour les pays producteurs de se préparer à l’apres-hydrocarbures. Jean Marie Chevallier a appelé à la nécessité de  » chercher des idées pour constituer un avenir énergétique durable  » en citant l’expérience de la séquestration du carbone pour les problèmes d’environnement et le solaire en tant qu’énergie renouvelable. Les effets du changement climatique seraient aussi un défi important pour les pays de la région. Citant les travaux des conseillers du gouvernement britannique sur le coût du changement climatique, il a conclu que c’est la plus grosse faillite et que le Maghreb comme l’Europe sont concernés par ce qu’il a appelé  » un défi euroméditerranéen extraordinaire « . Le débat qui a eu lieu a renvoyé inévitablement à la proposition du président Sarkozy faite à l’Algérie : « Nucléaire civil en échange du gaz. » On ne pouvait pas en effet ne pas faire le lien entre la proposition de l’union méditerranéenne faite par le président Sarkozy aux pays de la région et celle du  » nucléaire civil en échange du gaz « . Surtout que dans le discours du président Sarkozy, l’énergie est citée en premier lieu dans le projet de l’union. Très pragmatique, Jena Marie Chevalier s’est juste contenté de relever la compétition dure qui existe entre les intervenants dans ce domaine. Areva pour la France, GE pour les Etats-Unis, les Russes… Le directeur général de l’Office méditerranéen de l’énergie, M. Mustapha Faïd, qui a été un responsable à Sonatrach, a fait part du débat qui a eu lieu déjà dans les années 1980 en Algérie et qui abouti au fait que dans la mesure où le nucléaire ne pourrait être maîtrisé que vers l’année 2020 en Algérie, il fallait développer les centrales électriques à gaz pour garantir l’approvisionnement jusqu’en 2040-2050 environ, d’où l’objectif de porter les exportations à 60 milliards de mètres cubes et d’opérer des synergies par rapport à la demande nationale en matière de volume et d’infrastructures. C’est ainsi que la satisfaction de la demande nationale avant tout est une obligation selon la loi, a indiqué Fethi Arabi de Sonatrach. La question de la législation, des contrats à long terme, de l’incohérence parfois dans l’estimation des volumes à importer du côté européen ont été évoqués dans les débats. Mais le manque de temps n’a pas permis d’approfondir des questions aussi importantes que celle de la nature du partenariat en matière énergétique ou celle du solaire ou du nucléaire. Le plus important est de savoir comment faire face aux problèmes de l’environnement et comment garantir la sécurité énergétique à long terme, y compris pour les pays producteurs d’hydrocarbures.

Liès Sahar