L’ambassadeur de France visite la prison de Serkadji

L’ambassadeur de France visite la prison de Serkadji

Les ambiguïtés de Xavier Driencourt

El Watan, 12 octobre 2011

Dans tout coupable, il y a une part d’innocence. Raison pour laquelle la condamnation à mort est révoltante.» Une citation d’Albert Camus, rappelée, hier, par l’ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, alors qu’il se recueillait à la mémoire des condamnés à mort guillotinés par l’administration coloniale, à la prison de Serkadji (ex-Barberousse).

Dans le livre d’or de la prison, en plus de cette citation, il reprend également une phrase de Victor Hugo : «Partout où la peine de mort existe, la barbarie demeure. Partout où la peine de mort disparaît, la civilisation règne», comme pour inciter à l’abolition de cette condamnation encore appliquée en Algérie et rien d’autre.
Les journalistes, invités à la cérémonie durant laquelle l’ambassadeur a eu droit à la visite des lieux, ô combien symboliques, où est accrochée une longue liste de 138 condamnés à mort exécutés à Serkadji, ont bien compris que cette visite n’était pas le prélude d’une quelconque repentance ou d’une quelconque excuse pour les faits coloniaux. «Je crois je ne peux rentrer dans des discussions de ce type. Il y a les faits. Il y a les chiffres. Il y a l’histoire. Nous reconnaissons les faits. Nous reconnaissons votre histoire.

Je ne veux pas faire comme les autruches, enfouir la tête dans le sable et ne pas reconnaître le passé», dit-il. Visiblement gêné par les questions des journalistes, l’ambassadeur préfère parler du contexte dans lequel les exécutions ont eu lieu, en les qualifiant néanmoins «d’événements tragiques». Il affirme : «Il y a eu des événements tragiques ici, et sans doute, entre 1956 et 1957, l’opinion française n’était pas prête pour l’abolition de la peine de mort. Si elle l’avait été, Ahmed Zabana et Fernand Yveton seraient certainement graciés et en vie aujourd’hui. Ce qui s’est passé entre 1956 et 1957 n’a pu être possible en 1981.» Sur les appels à la repentance, le diplomate français se fait sienne la déclaration de Hachemi Djiar, ministre de la Jeunesse et des Sports, «il faut tourner la page et non pas la déchirer».

Une phrase, dit-il, qu’il avait prononcée lors de la visite, cette semaine de Jeanette Bougrab, secrétaire d’Etat française, chargée de la Jeunesse et de la Vie associative. A une question sur les propos d’Alain Juppé, son ministre des Affaires étrangères, qui avait, en juin dernier, demandé de ne plus parler de repentance, l’ambassadeur apporte une réponse des plus ambiguës. «Non seulement je suis un fonctionnaire sous les ordres de M. Juppé, mais aussi j’ai été son collaborateur direct pendant 5 ans. Ce n’est pas à moi de contredire ses déclarations», lance-t-il. Néanmoins, il revient sur les déclarations d’Alain Juppé, en précisant la portée de son message. «Au mois de juin, il (Juppé) a dit : nous ne sommes pas sur le schéma des excuses ou de la repentance. Il faut bien distinguer entre la reconnaissance et la repentance. Personne ne nie qu’il y a eu un certain nombre d’Algériens et de Français non seulement condamnés à mort, mais exécutés. Il y a la reconnaissance que nous faisons tous, vous et moi, et la repentance qui est autre chose.»

Il cite trois raisons qui ont suscité sa visite à Serkadji. La première est que la France soutient la réforme de l’administration pénitentiaire et, qu’à ce titre, il a eu à visiter d’autres prisons, dont celle de Kouba à Alger. La seconde raison est liée au fait que lundi dernier c’était la Journée internationale d’abolition de la peine de mort. «Vous savez que depuis 1981, date à laquelle la peine de mort a été abolie, la France soutient toutes les initiatives allant dans ce sens. Nous avons une longue histoire avec la peine de mort puisque nous fêtons le 190e anniversaire de la première proposition de l’abolition sous la monarchie en 1791 (…) et ce n’est qu’en 1795, que l’Assemblée nationale l’a votée. Cependant, il était prévu dans la loi qu’elle soit effective le jour où la paix régnera en Europe. Cela a pris du temps. Mais en 1981, le président Mitterrand l’a définitivement entérinée. Il est évident qu’en 1791, c’était prématuré de l’abolir. En 1981, une majorité de Français y étaient sans doute favorables.»

La troisième et dernière raison que l’ambassadeur a citée est éloquente. «Ce n’est pas innocent que je sois dans cette prison. Ici, dans cette prison, il y a eu 52 exécutions d’Algériens et de Français, comme Zabana et Yveton. 45 d’entre eux ont été exécutés durant la période où Mitterrand était ministre de la Justice (entre 1956 et 1957). Ce même Mitterrand qui, en 1981, a été le promoteur de l’abolition. C’est très symbolique. Barberousse est un lieu de mémoire pour les Algériens et pour la guerre qu’ils ont menée. Un lieu important pour l’Algérie», souligne-t-il avant de rappeler aux journalistes que la peine de mort est toujours appliquée en Algérie. «La peine de mort existe toujours.

Elle correspond à un schéma, juridique, politique et sociétal. Peut-être que ce schéma n’est pas encore atteint en Algérie qui, depuis 1992 ou 1993, n’exécute plus la condamnation à mort. Elle a souscrit à de nombreux textes internationaux en faveur d’un moratoire généralisé. Elle fait partie des 139 pays qui font partie de ce groupe. J’ai noté qu’un certain nombre d’éminents juristes algériens est pour l’abolition de cette peine. En 2004, le ministre de la Justice, l’actuel Premier ministre, Ahmed Ouyahia, s’est déclaré en faveur. En considérant qu’il y a une mondialisation des textes et que tôt ou tard, l’Algérie rejoindrait ce club des pays qui l’ont abolie, chaque chose en son temps», note le diplomate.
Salima Tlemçani