Chirac, grand pacificateur des colonies

Les députés UMP se plient à la décision de saisir le Conseil constitutionnel.

Chirac, grand pacificateur des colonies

par Antoine GUIRAL, Libération, 27 janvier 2006

Maître du jeu politique et arbitre des grands débats nationaux. Soit, Jacques Chirac tel qu’il a toujours rêvé d’exercer sa fonction présidentielle. C’est peu dire si le chef de l’Etat et son entourage savouraient, hier, les réactions à sa décision d’enclencher le processus institutionnel destiné à supprimer l’article de la loi du 23 février 2005 reconnaissant le «rôle positif» de la colonisation. A Alger comme aux Antilles, où la «loi de la honte» avait ravivé toutes sortes de cicatrices, l’heure était hier à la satisfaction et au soulagement. Le ministre d’Etat et représentant personnel du président algérien Bouteflika s’est «félicité du fait que la France officielle ait tourné le dos à la France coloniale». Et un proche du chef du gouvernement algérien estimait que les déclarations de Chirac relançaient la possibilité de signer le traité d’amitié entre les deux pays, mis sur la touche par Alger notamment à cause de la loi sur la colonisation.
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En France, le «climat empoisonné né de cette polémique qui n’aurait jamais dû voir le jour», comme l’expliquait début janvier un collaborateur du Président, a, lui aussi, commencé à s’apaiser. En certaines occasions, Jacques Chirac ne déteste pas la grandiloquence. Dès mercredi soir, il affirmait : «La nation doit se rassembler sur son histoire.»

Et puis il y a aussi pour le président de la République une jubilation non négligeable : celle d’avoir mouché Nicolas Sarkozy qui s’était permis de créer une mission parallèle à celle qu’il avait confiée à Jean-Louis Debré. L’Elysée n’avait pas apprécié cette immixtion du président de l’UMP et jugeait «ahurissant» son choix de demander à l’avocat Arno Klarsfeld, ex-soldat de Tsahal, de formuler des propositions.

Dans cette perpétuelle course de vitesse au sommet de l’Etat (lire encadré), les sarkozystes faisaient hier profil bas. Un proche du ministre de l’Intérieur assurait qu’Arno Klarsfeld avait, lui aussi, remis son rapport mercredi. Le jour où Debré est allé à l’Elysée pour présenter ses conclusions à Chirac… Et, à l’inverse du président de l’Assemblée, préconisait que le Parlement intervienne sur le contenu des manuels scolaires.

En déplacement dans le Doubs, Nicolas Sarkozy a salué le «geste d’apaisement» de Chirac. Tout en ajoutant : «De ce que j’ai compris, le reste de la loi restera en vigueur. C’était très important pour un certain nombre de nos compatriotes. Je pense notamment aux harkis». A l’UMP, les députés qui avaient voté ce texte refusaient de se déjuger en passant à nouveau par la voie législative. Parce qu’elle leur évite d’avoir à le faire, la couleuvre chiraquienne est donc plutôt bien avalée. Le rapporteur de la loi controversée, Christian Kert (UMP, Bouches-du-Rhône), a jugé qu’il s’agissait de «la solution la plus raisonnable pour apaiser une polémique dont l’ampleur dépassait, désormais, largement l’intention formelle du texte».

Autre grand défenseur de l’article 4, Lionnel Luca (UMP, Alpes-Maritimes) se réjouissait «que l’article 4 ne soit pas réécrit par une nouvelle proposition de loi», tout en déplorant «que l’on ait cédé à l’agitation de groupuscules qui ne représentent qu’eux-mêmes». D’autres, comme l’ancien militant d’extrême droite pro-Algérie française Claude Goasguen (UMP, Paris), regrettaient qu’on «écarte le sujet sans le régler». Jean-Marie Le Pen (FN) a fustigé le ralliement chiraquien à l’une «des pires positions idéologiques de la gauche» qui «salissent la mémoire nationale».

A l’UDF, si François Bayrou a approuvé la suppression du texte, il a souligné qu’«on le fait sans repasser devant le Parlement et que ça, ça pose question». A gauche, Victorin Lurel, président (PS) du conseil régional de la Guadeloupe, a «salué la décision de la présidence de la République» et souhaité «que la loi de la honte ne puisse fêter son premier anniversaire et soit donc supprimée avant le 23 février». DSK a lui déploré «le tour de passe-passe qui vise à ne pas désavouer l’UMP», tandis que Ségolène Royal s’est réjouie de «la correction d’une faute politique». Hier, Jacques Chirac n’avait finalement contre lui que l’extrême droite et les nostalgiques de l’Algérie française. De quoi flatter sa fibre gaul- liste.