Paris soupçonné d’avoir livré un islamiste à Alger

France-Algérie : Paris soupçonné d’avoir livré un islamiste à Alger

ANTITERRORISME

Depuis six mois sa famille, résidant à Trappes, n’a plus de nouvelles de M’Hamed Benyamina, disparu à Oran.

Jean Chichizola, Le Figaro 13 février 2006

Corps déchiquetés sur les quais du RER, préfet abattu dans les rues d’Ajaccio, attentats déjoués in extremis… Le terrorisme, qui menace la France après l’avoir ensanglantée, doit-il être combattu par tous les moyens ? Des polémiques naissantes, concernant notamment les attentats de 1995 et l’assassinat du préfet Erignac, visent les méthodes policières utilisées. La question agite aussi Washington et Londres après les abus de Guantanamo et d’Abou Ghraïb. Le 8 décembre, la Haute Cour de Londres a rejeté toute preuve obtenue par la torture, et ce « indépendamment du fait de savoir où, par qui ou au nom de qui ces tortures ont été infligées ».

La France a-t-elle sciemment livré à Alger un homme vivant légalement sur notre territoire et marié à une Française pour le faire parler sous la torture ?

L’accusation, gravissime, est proférée par l’avocat de l’Algérien M’Hamed Benyamina, interpellé le 9 septembre dernier à Oran et dont la famille n’a plus de nouvelles depuis près de six mois. Le plus grand mystère régnait déjà sur les aveux de cet homme (nos éditions du 15 novembre), principal accusateur du groupe de l’islamiste Safé Bourada, soupçonné d’avoir préparé des attentats en France. Le 15 décembre, son défenseur, Me Med Salah Djemaï, par ailleurs avocat de la Ligue islamique mondiale, a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre X pour «enlèvement et séquestration». Portant sur des faits commis à l’étranger, sur un étranger et par une puissance étrangère, la plainte pourrait toutefois être jugée irrecevable.

Dans le cadre de cette procédure engagée au nom de l’épouse de M’Hamed Benyamina, de ses deux jeunes enfants et de ses parents, Me Djemaï pose deux questions bien distinctes. La première est de savoir si l’Algérien a été arrêté à la demande des autorités françaises ou de façon fortuite. La seconde est de connaître le sort actuel de l’intéressé et son avenir judiciaire en France ou en Algérie

Sous surveillance depuis de longs mois

Concernant la première question, une vérité s’impose. Quand M’Hamed Benyamina, employé d’une boucherie de Trappes (Yvelines), arrive à Oran, le 8 août 2005, il n’est pas un inconnu pour les polices française et algérienne. L’homme est sous la surveillance des services de renseignement de l’Hexagone depuis de longs mois. Côté algérien, son nom a été cité, au printemps précédent, par un groupe d’islamistes tunisiens interceptés à leur retour d’Irak.

Le 9 septembre, M’Hamed Benyamina est interpellé, en compagnie de son neveu, alors qu’il s’apprête à embarquer pour Paris. Selon son avocat, les policiers algériens leur expliquent qu’ils agissent en vertu d’un mandat d’arrêt délivré par la justice française en relation avec des incendies survenus en région parisienne au cours de l’été 2005. Trente minutes plus tard, l’oncle et le neveu sont séparés. Bien traité, le second est relâché le 13 septembre et regagne la France. Interrogé en un lieu tenu secret, M’Hamed Benyamina avoue, entre autres éléments, que son groupe installé en France visait trois objectifs : les locaux parisiens de la DST, l’aéroport d’Orly et le métro.

Deux sources policières ont indiqué au Figaro que le suspect avait bien été «signalé» aux autorités algériennes avant son arrestation. Une source proche du dossier nie quant à elle le scénario «radicalement faux» de la livraison aux autorités algériennes. « Alger n’avait pas besoin de Paris pour s’intéresser à Benyamina, confirme un policier antiterroriste, puisque ce sont les Algériens qui l’ont signalé aux Français ! C’est la raison pour laquelle ils ne l’ont arrêté qu’à la fin de son séjour pour mieux découvrir ses contacts et ses activités.» «Une chose est sûre», conclut un haut fonctionnaire, «M. Benyamina n’a pas été envoyé en Algérie contraint et forcé dans un avion des services secrets français !»

Le bras droit de Safé Bourada, chef d’un groupe radical

Qu’il ait été «signalé», «livré» ou tout simplement arrêté à l’initiative de la police algérienne, la famille de l’islamiste présumé aimerait savoir où il se trouve. De source proche de l’enquête, il serait placé en résidence surveillée quelque part en Algérie. Présenté comme le bras droit de Safé Bourada, chef d’un groupe ayant préparé des attentats sur notre sol, son audition par la justice française semble nécessaire. Seul obstacle : les relations «très complexes», selon un spécialiste de l’antiterrorisme, prévalant entre Alger et Paris. Son rôle dans le groupe est de toute façon qualifié de «périphérique», et ce en dépit de la gravité de ses accusations.

L’Algérien aurait, en tout cas, vocation à prendre place, tôt ou tard, aux côtés de ses complices présumés arrêtés en France. Dans la négative, il devrait être libéré ou poursuivi par la justice algérienne. Nul ne sait pour l’heure si une telle procédure a été engagée et quels pourraient être les chefs retenus contre le suspect. Un procès en Algérie ne devrait en tout cas pas l’empêcher de préciser, le jour venu, les circonstances dans lesquelles il a effectué ses aveux retentissants de septembre 2005. L’affaire Benyamina n’est décidément pas terminée.