Bouteflika va-t-il lever l’état d’urgence ?

DROITS DE L’HOMME
Bouteflika va-t-il lever l’état d’urgence ?

El Watan, 13 avril 2004

Durant son premier mandat, le président Bouteflika n’a rien fait pour améliorer la situation des droits humains et des libertés dans le pays. Le constat est simple à faire : l’état d’urgence est maintenu, le dossier des disparus demeure ouvert et la situation dans les centres de détention est catastrophique. Par deux ou trois fois, Bouteflika s’est exprimé sur la question de la levée de l’état d’urgence sans convaincre.

A ses yeux, tant que le pays n’a pas retrouvé la stabilité, il n’y aura pas de lever de cette mesure d’exception. Mesure reconduite depuis 1992 sans l’aval pourtant exigée par la Constitution du Parlement. «Le président de la République décrète l’état d’urgence ou l’état de siège pour une durée déterminée et prend toutes les mesures nécessaires au rétablissement de la situation. La durée de l’état d’urgence ou de l’état de siège ne peut être prorogée qu’après approbation du Parlement siégeant en chambres réunies», est-il stipulé dans l’article 91 de la Constitution. Les interdits, qui entourent l’action politique dans le pays, ont confirmé l’utilisation de l’état d’urgence pour restreindre davantage le champ des libertés. C’est simple : en 2004, les Algériens n’ont pas le droit de marcher dans les rues et porter pacifiquement leurs revendications. Alger est interdite aux manifestations publiques. Le soir du scrutin présidentiel, l’on a assisté à des scènes d’une sauvagerie sans commune mesure des policiers qui, pour empêcher une manifestation des militants du FLN, se sont attaqués aux présents. Ils ont arraché leurs appareils aux photographes et leurs cassettes aux cameramen, notamment étrangers. La répression, on le sait depuis Brejnev, a horreur de témoins gênants. L’accumulation des interdits a fait que les Algériens, dans plusieurs régions du pays, se sont exprimés à travers les émeutes, les routes barrées et les pneus brûlés. Situation qui n’a inquiété ni le président de la République, ni le chef du gouvernement, ni le ministre de l’Intérieur. Le recours systématique aux arrestations des contestataires n’a pas empêché les émeutes de se reproduire à un rythme presque régulier. Faute d’instruments de médiation et de canaux d’expression, les citoyens n’ont pas d’autres choix que de se soulever pour se faire écouter par les décideurs locaux. Cela est-il normal ? Autre chose : Bouteflika n’a pas répondu aux attentes des familles des victimes de disparitions forcées et a refusé l’installation d’une commission d’enquête. «L’Etat doit aujourd’hui assumer ses responsabilités avec sérénité et détermination et affronter résolument cet autre aspect de la tragédie nationale», a déclaré Bouteflika. Il a installé un «mécanisme» ad hoc chargé d’«une mission temporaire», celle de répondre aux revendications de ces familles. Sans pouvoir d’investigation, ce «mécanisme», que préside l’avocat Farouk Ksentini, a de faibles chances de situer la responsabilité des uns et des autres dans les disparitions forcées en Algérie et lever le voile sur la vérité. Des ONG internationales de défense des droits humains émettent des doutes sur la capacité de ce mécanisme de régler un dossier qui va peser de plus en plus lourd à l’avenir. Sur notamment les relations de l’Algérie avec l’Union européenne et avec les Etats-Unis. Les conditions inhumaines de détention dans les prisons et dans les «centres secrets» (il en existe) n’ont jamais fait l’objet d’un traitement sérieux durant le premier mandat de Bouteflika. Les enquêtes sur les mutineries dans les prisons, qui ont fait plusieurs victimes en 2001, ont été étouffées. Ahmed Ouyahia avait, en tant que ministre de la Justice, promis de rendre publics les résultats de ces enquêtes. Promesse non tenue. Dans le programme électoral de Bouteflika, quelques lignes seulement sont consacrées à la question sensible des droits humains. «Les droits et libertés individuels et collectifs continueront d’être protégés par la loi qui est au-dessus de tous et dans le cadre des droits et devoirs de chacun», est-il écrit. Engagement est fait de poursuivre «les efforts pour consolider le respect des droits de l’homme» dans le pays. Bouteflika a promis, dans son programme, de soutenir le renforcement de la démocratie pluraliste. «Le système démocratique pluraliste est un acquis irréversible de l’Algérie. Il nous appartient d’œuvrer à son développement, dans le respect du droit légitime à l’opposition, comme un canal d’alternance politique pacifique», est-il retenu. Durant le premier mandat de Bouteflika, aucun parti n’a été agréé. Les cas de Wafa d’Ahmed Taleb Ibrahimi et le Front démocratique de Sid Ahmed Ghozali sont les plus connus. Aucun syndicat ni aucune association de dimension nationale n’ont été autorisés à activer. Le champ audiovisuel demeure toujours fermé. L’utilisation abusive de la télévision d’Etat par Bouteflika et son entourage est le parfait exemple de l’absence de crédibilité quant au respect du «pluralisme politique» dans le pays. «L’exercice de la liberté d’expression garantie par la Constitution fera l’objet d’un soutien transparent de la part de l’Etat», est-il proposé dans le programme électoral de Bouteflika. A prendre au sérieux ? Candidat, Bouteflika n’a cessé d’insulter les journalistes et la presse. Il a fait montre d’une haine sans commune mesure à l’égard des journaux indépendants. Son discours d’intolérance n’augure rien de bon pour les libertés et les droits dans le pays. Surtout que le «marché» proposé aux Algériens est simple : «Accepter la dictature, vous aurez la paix.» Et accessoirement la «stabilité».

Par Fayçal Métaoui