Des dépassements généralisés aux cas isolés

Commission de surveillance des élections

Des dépassements généralisés aux cas isolés

El Watan, 19 mai 2007

Dans une lettre adressée au président de la République, le coordinateur de la Commission nationale de surveillance des élections législatives (Cnisel), Saïd Bouchaïr, a fait état de « comportements irresponsables ayant pris un cachet national en touchant toutes les régions du pays ». Il impute la responsabilité de tels dépassements au président de la commission administrative et chef du gouvernement, mais revient sur ses propos et parle de cas isolés de fraude.

Logés dans les bureaux du troisième étage de ce qui fut le siège du défunt Comité populaire de la ville d’Alger (CPVA), les membres de la commission nationale de contrôle des élection législatives représentant les formations et les candidats en lice pour la députation ont connu une journée particulière, en ce jeudi 17 mai 2007. La salle de réunion où atterrissent les fax n’a pas désempli jusqu’au lever du jour. Tout se déroulait normalement, jusqu’à ce que les lettres et les coups de téléphone commencent à les inquiéter. Les portes de la salle de réunion sont alors fermées aux rares journalistes présents sur les lieux. Absent, le coordinateur est en tournée dans les bureaux de vote à Alger, mais les discussions entre les membres de la commission sont houleuses. Les voix en colère envahissent le couloir. Le représentant de Ahd 54 sort de la salle. Il s’en prend à l’équipe de la Télévision algérienne. « La fraude est dans les bureaux de vote. Que faites-vous ici ? Allez filmer ailleurs », lance-t-il à la journaliste. En fait, les premiers dépassements sont signalés dans plusieurs wilayas du pays. A Aïn Temouchent, le représentant du FLN est entré au bureau de vote avec un pull et une casquette portant la photo de Djamel Ould Abbas, ministre de la Solidarité nationale et tête de liste de cette formation dans cette wilaya. A Alger, dans une commune de Rouiba, le chef de centre a refusé d’ouvrir l’urne ; après avoir été forcé à le faire par les représentants des candidats, ces derniers ont découvert qu’elle contenait 135 bulletins pour le FLN. A Kouba, les scrutateurs ont découvert sur le chef de centre Abdellah Houacine (d’obédience FLN) des procès-verbaux de dépouillement signés à blanc. A Blida, le RCD et le mouvement Ennahda n’ont pas trouvé leurs bulletins de vote, alors qu’à Saïda, c’est le MSP qui a été privé de ses bulletins. A El Oued, quelques urnes des bureaux itinérants ont changé de destination. Des dépassements auxquels sont venus se greffer d’autres et qui ont mis en alerte les membres de la commission nationale pendant toute la journée du jeudi. Saïd Bouchaïr, le coordinateur, fait le va-et-vient dans le couloir, en s’enfermant parfois plusieurs minutes dans son bureau, avant de rejoindre la salle de réunion. Il refuse de parler aux journalistes, impatients de savoir ce qui se passe dans les coulisses. Une curiosité qui pousse les agents de sécurité à les éloigner du couloir reliant le bureau du coordinateur à celui des membres de la commission. C’est au quatrième étage que les professionnels des médias sont parqués, dans une pièce isolée au fond du couloir. « Ce sont les consignes des membres de la commission », expliquent les agents. A 16h, une lettre de protestation est adressée au président de la République, signée pour la commission par le coordinateur Saïd Bouchaïr. Le ton utilisé dans la rédaction de la lettre est grave. « Jusqu’à maintenant, il a été recensé plusieurs cas de dépassements illégaux au niveau de nombreuses wilayas, à commencer par l’interdiction faite aux contrôleurs d’assister à l’ouverture du scrutin, le refus d’ouvrir les urnes avant le vote et le remplissage de certaines par des bulletins de vote au profit du FLN, comme cela a été le cas dans la commune de Rouiba, centre Mohamed Lekbir, où 135 bulletins (FLN) ont été découverts après l’ouverture de l’urne. D’autres dépassements ont été enregistrés, tels que l’absence de bulletins de vote de certaines listes, dont celles du RCD et du mouvement Ennahda à Blida et du MSP à Saïda ». De même qu’il a été constaté, lit-on sur cette lettre, que la campagne électorale s’est poursuivie jusqu’au jour du vote par le FLN et ses représentants, citant l’exemple de Djamel Ould Abbas à Aïn Temouchent, tête de liste FLN dans cette wilaya. Ils ont été présentés comme auteurs « de graves dépassements depuis le début de la campagne à ce jour ». Poursuivant l’énumération des anomalies, la commission fait état du non-respect du classement des bulletins de vote, tel que défini par le ministère de l’Intérieur, pour les ranger de manière à ce que ceux du FLN « soient classés en première position ». Devant « ces dépassements qui ont pris un aspect national en se manifestant à travers de nombreuses régions du pays » et dont « la pleine responsabilité incombe au président de la commission administrative des élections législatives » (ndlr, le chef du gouvernement Abdelaziz Belkhadem), M. Bouchaïr a appelé le chef de l’Etat « à prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme » à ce qu’il a qualifié de « comportements irresponsables qui portent atteinte à la crédibilité des élections, à la réputation du pays et à l’autorité de l’Etat ». Une fois transmise au premier magistrat du pays, la lettre fait l’effet d’une bombe. Certains membres de la commission ne sont pas d’accord avec son contenu. S’exprimant à titre informel, ils parlent de coup de force de certaines formations qui avaient peur de l’issue du scrutin. La présidente du MJD affirme que seuls deux représentants, ceux du FLN et du PT, sur les 25 ont refusé de signer la lettre qui « résulte d’un consensus majoritaire ». Le représentant du Parti des travailleurs déclare qu’il n’est pas d’accord avec le contenu de la lettre du fait qu’elle ne « comporte pas de faits avérés et justifiés ». Il note cependant que des cas avérés de dépassement n’ont pas été pris en compte par la commission, comme la distribution des bulletins RCD, la veille du scrutin, dans des localités à Tlemcen et à Tizi Ouzou. S’exprimant au nom de sa formation, le représentant du FLN explique qu’il n’a pas signé du fait que les accusations portées à l’encontre de sa formation n’étaient pas justifiées. Les autres membres de la commission ont tous approuvé le contenu de la lettre, mais devant le coordinateur ils ont tous reconnu que le scrutin s’est « déroulé dans de bonnes conditions avec seulement quelques cas isolés de dépassement ». La dernière réunion tenue vers 23h s’est terminée dans un climat bon enfant. La mission de la commission s’est achevée et il ne reste que l’élaboration d’un rapport final vers la fin de la semaine prochaine.

Salima Tlemçani


« J’ai signé pour la commission »

Dans une déclaration à El Watan, Saïd Bouchaïr, coordinateur de la Cnisel, affirme que c’est la commission, dont il n’est que le coordinateur, qui a rédigé le contenu de la lettre adressée au président de la République.

« J’ai signé pour la commission, en tant que coordinateur, rien de plus », nous dit-il, comme pour se démarquer du contenu de cette lettre. Il affirme que la mission de la commission est purement politique et ne peut en aucun cas avoir des répercussions sur le cours de l’opération électorale. « Notre tâche se termine après la fermeture des bureaux de vote. Les recours, lorsqu’ils sont prouvés et justifiés, vont être par la suite adressés au Conseil constitutionnel qui pourra, en tant qu’institution habilitée, annuler ou non l’élection dans les bureaux concernés par les dépassements. » M. Bouchaïr refuse de reconnaître que le ton utilisé dans la lettre pour faire état de dépassements est grave. Pour lui, la correspondance ne relève pas de dépassements généralisés, mais de cas isolés dans certaines régions du pays, ce qui est en contradiction avec la copie en notre possession. Interrogé sur une éventuelle altercation avec le chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, après la transmission de la missive, le coordinateur dément l’information et précise qu’il n’a aucune relation avec le Premier ministre et secrétaire général du FLN, du fait que la commission de surveillance des élections dépend directement de la Présidence. Pourtant, le chef du gouvernement est le président de la commission administrative de surveillance des élections, que M. Bouchaïr a rendu « pleinement responsable » des dépassements relevés lors du scrutin.

S. T.