L’UE à Alger pour lever les malentendus

Bruxelles fait les yeux doux

L’UE à Alger pour lever les malentendus

Le Quotidien d’Oran, 13 février 2005

Une délégation d’Eurocrates arrivera ce lundi à Alger en vue de s’entretenir avec les autorités algériennes et pour préparer le voyage prévu au printemps prochain du commissaire chargé des relations extérieures et la politique européenne de voisinage, l’Autrichienne Benita Ferrero Waldner.

Ce voyage, affirme-t-on à Bruxelles, aura pour objectif double d’entamer les premiers vrais contacts officiels entre l’Algérie et la nouvelle commission présidée par le Portugais José Manuel Barroso et de dissiper les malentendus qui se sont accumulés dans les relations entre les deux parties. Il s’agit, a-t-on compris, d’un renouveau politique et diplomatique par lequel l’Union européenne entend reconsidérer sa relation avec un pays qu’elle a longtemps jugé sévèrement et en direction duquel il convient désormais d’envoyer des signes d’encouragement et de compréhension. C’est ce qu’indique en tout cas la «source européenne» que l’APS a citée hier et dont le commentaire semblait rappeler surtout les divergences de vue qui ont, pendant plusieurs années, opposé Alger et Bruxelles. Notamment, la question des libertés et des droits de l’Homme. Ce sujet, qui a fait couler beaucoup d’encre en suscitant bien des polémiques ici en Algérie et en Europe, a poussé bon nombre d’Etats de l’Union à le coupler avec la ratification de l’accord d’association. Une attitude qui a scandalisé les autorités algériennes et poussé maintes fois ses représentants à sortir de leur réserve.

Le dernier en date à le faire est l’actuel ministre des Affaires étrangères. Dans une déclaration mémorable, où il avait dit en substance que l’Algérie n’était pas pressée de ratifier l’accord d’association, Abdelaziz Belkhadem s’était montré outré de l’ostracisme dont l’Algérie était, selon lui, victime. Tout en rappelant l’effort fourni par son gouvernement dans le domaine des libertés, il avait dénoncé ce qu’il avait appelé la politique des deux poids deux mesures et appelé Bruxelles à plus de clairvoyance en ce qui concerne sa relation et ses intérêts avec Alger. Mais c’était avant le sommet de Dublin ! A l’époque, l’Algérie avait exigé au préalable que la moitié des 15 Etats membres (les 10 nouveaux membres n’étant pas concernés) procèdent à la ratification de cet accord. Ce qui fut fait et seuls les Pays-Bas n’ont pas encore ratifié l’accord d’association. Dans ce cadre, et selon la source de l’APS, l’exécutif européen «entend adresser à tous ses partenaires, y compris ceux qui ont pas encore ratifié l’accord d’association» et «se montrer plus ouvert» vis-à-vis de l’Algérie.

Le renversement est tel, qu’à Bruxelles – et toujours selon l’APS – on stigmatise les «idées reçues» et «l’insuffisance d’information» pour expliquer la perception déformée que les Eurocrates avaient de l’Algérie. Il n’en demeure pas moins que bien des écueils d’ordre économique attendent encore d’être levés et la mission de lundi prochain devrait permettre à la mission européenne de répondre à M. Belkhadem qui, lors de la même déclaration, s’était dit opposé au fait que les Européens ne conçoivent l’Algérie et le Maghreb que comme un marché et des débouchés pour leurs produits. Il avait réclamé que les deux parties aillent progressivement vers une «prospérité partagée» – vieux concept doctrinal de la diplomatie algérienne – et vers une association mutuellement profitable. Quant au volet de la politique européenne de voisinage, la PEV, l’Algérie s’en inquiète et l’Union européenne est invitée à plus d’explications.

Les inquiétudes algériennes déjà suffisamment bien exprimées en différentes occasions par M. Halim Benattallah, ambassadeur d’Algérie à Bruxelles, proviennent surtout de la prolifération des stratégies européennes vis-à-vis des pays de la rive sud de la Méditerranée. Avant l’apparition du concept qui suscite aujourd’hui les «malentendus», selon la formulation européenne, il y a déjà eu un processus bilatéral qui a été mis en place en 1993. Deux années après, en 1995, cette logique bilatérale avait été abandonnée ou «s’est complexifiée» – dixit M. Benattallah – avec le processus de Barcelone. Cinq ans plus tard, à Feira, au Portugal, l’Union européenne a reparlé de stratégie méditerranéenne et de la nécessité de revigorer le processus de Barcelone. Puis, maintenant, elle parle de la Wider Europe-Neighbourhood Policy (politique de bon voisinage) à laquelle devrait s’ajouter, selon des sources, une nouvelle stratégie pour les Etats arabes.

Ce croisement qui effraie l’Algérie a généré d’innombrables plans d’action mais qui ne sont jamais arrivés à maturité. Il s’ajoute au fait que notre pays n’a pas encore de réponse à la question qu’il pose depuis des mois: quelle valeur ajoutée la politique de voisinage a-t-elle par rapport au processus de Barcelone ? Un fonctionnaire européen comme Leonelleo Gabrici, qui sera à l’INESG ce lundi, jure qu’elle «n’a pas l’intention de se superposer au cadre existant, ni de chapeauter le processus de Barcelone, mais d’induire un approfondissement naturel» du dialogue politique et de la coopération. M. Gabrici parle en tant que responsable de «l’unité Maghreb» à la commission européenne. Dans les faits, les pays du Maghreb risquent au niveau de la coopération de passer au second plan par rapport aux pays de l’Est. Ils peuvent aussi perdre la spécificité qu’ils avaient dans le cadre de la Méditerranée et se retrouvent dilués dans une politique qui s’étend à la Moldavie, la Russie ou à l’Ukraine. Contrairement à Barcelone qui consacre le principe bilatéral, la politique de voisinage s’inscrit en outre dans une vision européenne globale, elle rend encore plus faible la marge de manoeuvre des pays tiers en terme de proposition ou de concertation. Et ne conçoit pas leur intervention en amont, mais seulement en aval.

Un autre point majeur concerne la nature des critères que les pays du Maghreb et du Sud en général doivent remplir pour accéder à la politique européenne de voisinage. Ces critères sont pour l’instant flous et l’arrivée de Leonelleo Gabrici devrait en principe aider à mieux les comprendre et à connaître son mode de financement ainsi que ses implications en termes de réformes structurelles profondes. Enfin, le dernier, qu’on peut évoquer ici, est relatif à ce qu’on appelle dans le jargon de l’accord d’association la quatrième liberté, autrement dit celle de la liberté de circulation. Dans un entretien avec le Quotidien d’Oran, l’ancien général Philippe Morillon, aujourd’hui parlementaire européenne, avait déclaré que cette question ne devrait pas poser problème puisque bon nombre de ses collègues pensent qu’il faut faciliter la circulation, notamment pour les étudiants et les hommes d’affaires. Mais il ne s’agissait là que d’un point de vue individuel et on est loin de savoir si cette question est acquise ou non.
Noureddine Azzouz