Accord d’association: Le 1er septembre n’a pas tenu ses «promesses»

Accord d’association Algérie-UE

Le 1er septembre n’a pas tenu ses «promesses»

Le Quotidien d’Oran, 7 septembre 2005

Depuis l’annonce par le gouvernement de l’accord de coopération entre l’Algérie et l’Union européenne, et surtout après que les médias algériens, dans leur ensemble, aient un tant soit peu extrapolé sur son contenu et son impact sur la vie quotidienne des citoyens, tous les Algériens attendaient le 1er septembre 2005, date d’entrée en vigueur de cet accord, avec des sentiments mitigés.

En effet, l’espoir d’un net recul des prix des produits de large consommation côtoie la peur viscérale de perte d’emplois pour ceux travaillant chez le privé et chez les rares entreprises étatiques encore debout. L’espoir d’acheter moins cher des produits de qualité meilleure et surtout la chute des prix, ont suscité une attente impatiente de cette date. La médiocrité, pour ne pas dire le manque d’informations crédibles, a fait que les gens s’attendaient à une baisse des prix quasi instantanée. Le lendemain, ne voyant rien changer, beaucoup de citoyens ne savaient plus quoi penser. Nous avons rencontré quelques-uns et nous avons discuté avec eux. Saïd R. 48 ans et journalier chez des privés: «tout le monde disait que le 1er septembre tous les produits allaient voir leurs prix baisser d’une manière significative, mais nous sommes déjà mardi 6 et je ne vois rien changer. Je crois qu’ils se sont moqués de nous». Pour Mouloud M., 30 ans et fonctionnaire, le 1er septembre «allait me permettre de réduire ma facture chez l’épicier qui me prenait, chaque fin de mois, près de la moitié de mon salaire, je croyais que j’allais enfin me débarrasser de ce fardeau et peut-être même faire des économies. Mais vous voyez que les prix n’ont pas baissé d’un iota!».

Au marché Meissonier, khalti Sakina, une vieille Algéroise habitant la rue Hoche depuis l’indépendance, nous dira: «je ne crois plus en ce qu’ils disent, ni à la télévision, ni dans les journaux. D’ailleurs, vous voyez que j’ai raison. Allez demander les prix chez l’épicier et vous verrez que rien n’a changé. Le sucre coûte toujours 40 DA et la semoule 35 DA et pas celle de bonne qualité. Alors, où sont-elles ces baisses que tous prévoyaient pour le 1er septembre?» Elle s’en alla en bougonnant et en vouant à l’enfer tous ceux de cette génération qui ne savent plus tenir parole. «Les gens sont fous. Même si les prix avaient baissé, ils demeureraient inchangés chez nous jusqu’à ce que nous ayons vendu tout ce que nous avions en stock. Ça ne va pas non? Ils croient que nous allons vendre à perte? Et puis, qui a dit que les prix allaient baisser?» est la réaction somme toute légitime de M. Z. Hocine, commerçant, qui avait entendu beaucoup de commentaires désobligeants depuis l’ouverture de son commerce, au matin de jeudi passé. Du côté de la Grande Poste, les réactions sont les mêmes et les gens ne comprennent pas qu’on leur ait annoncé une baisse importante des prix dès l’entrée en vigueur de l’accord Algérie-UE. Partout où nous nous rendions, les mêmes réactions et les mêmes propos désabusés étaient entendus chez les citoyens que nous avions abordés.

Afin d’avoir une autre version et des réactions plus réalistes, nous avons rendu visite à un économiste travaillant à son compte et qui avait quand même des explications plus réalistes. «Tout ce que disent les gens provient surtout de la mauvaise compréhension des textes et des lois et d’une information presque fausse en direction des premiers concernés : les citoyens dans leur ensemble. Vous voyez que les gens croient qu’il suffit d’une loi ou d’un accord pour que tout soit comme ils le veulent. Dans ce cas de figure justement, aussi bien les pouvoirs publics que les médias lourds (pour toucher surtout les illettrés, et ils sont légions) n’ont pas été en mesure de donner des explications sensées et justes. Dire que les prix vont baisser à partir du premier septembre à cause de la suppression des droits de douane pour beaucoup de produits (matières premières, produits finis ou semi-finis) est aberrant. Il fallait expliquer à ces pauvres gens qui ont été touchés de plein fouet par les crises à répétition subies par notre pays, que les prix allaient certes baisser, mais qu’il fallait pour cela plusieurs mois, car les commerçants doivent vendre leurs stocks aux anciens prix et que les marchandises ayant bénéficié de l’exonération des droits de douanes arrivent chez le commerçant détaillant après avoir fait le parcours normal et subi tout ce qui est prévu par l’accord comme contrôle. C’est normal donc de trouver ce genre de réactions chez les gens simples et illettrés qui ne comprennent pas qu’on leur ait promis une chose qui touche de très près à leurs portefeuilles et qu’ensuite cette promesse ne soit pas tenue. De toutes les manières, c’est juste une question de temps»

Ainsi, le 1er septembre et l’annonce de cette ouverture des frontières à des produits européens non touchés par les taxes de douanes, auront fait naître chez l’Algérien moyen l’espoir légitime de pouvoir souffler un peu et surtout de joindre peut-être les bouts de mois sans faire de dettes. C’est cette cherté de la vie, surtout pour les produits de large consommation, qui a fait que les gens aient eu cette sensation d’avoir été trompés après avoir rêvé d’une vie meilleure grâce à cet accord.

Les commerçants quant à eux, surtout ceux du marché informel, craignent pour leur gagne-pain: si les frais de douanes sont supprimés et que tout le monde peut faire rentrer des marchandises légalement sans aucun frais de douanes, la contrebande va disparaître et ils ne pourront donc plus proposer des produits made in à des prix moindres que ceux des magasins, puisque ces derniers pourront le faire d’une manière légale. Certains envisagent même de changer d’occupation et parlent beaucoup du créneau des services, plus porteur dorénavant. Quoiqu’il en soit, tous les Algériens attendent et espèrent des jours meilleurs.

T. M.


Le «mauvais» exemple du sucre

L’entrée en vigueur, le 1er septembre dernier, de l’accord d’association avec l’UE devait avoir comme conséquence directe la baisse des prix de plusieurs produits importés de la Communauté européenne. Une baisse soutenue par les préférences tarifaires à la fois sur les droits de douane et les taxes d’effet équivalent dont vont bénéficier, dans un premier temps, des produits industriels et agricoles.

Des produits tels la viande et le sucre sont directement concernés par ce nouveau régime. Mais les consommateurs à Oran et ailleurs constatent que les prix n’ont toujours pas connu de baisse. Bien au contraire, comme c’est le cas pour le sucre par exemple, qui a connu depuis une vingtaine de jours déjà une hausse des prix. En effet, le kilogramme de sucre qui était cédé à 40 dinars est désormais proposé à 45 dinars.

Interrogés sur cette augmentation imprévue, les commerçants de détail dégagent toute responsabilité dans cette fluctuation, affirmant que l’augmentation s’est effectuée dans le marché de gros. En effet, chez les grossistes, le sac de 50 kilogrammes de sucre blanc qui coûtait 1.780 dinars, en début du mois d’août, est proposé actuellement entre 1.980 et 2.000 dinars. Les commerçants de gros expliquent cette hausse par une certaine rareté du produit. «Nous aussi, nous nous attendions à une baisse des prix des produits alimentaires, mais on vient de constater que c’est tout à fait le contraire qui vient de se produire et cela ne concerne pas uniquement le sucre, mais aussi le lait Candia ou certaines marques de détergents», nous confie un grossiste de Sidi El-Hasni, à Oran.

Au niveau du port d’Oran, les premiers dossiers concernés par l’accord Algérie-UE ont été traités par les douanes samedi dernier. Ils ont concerné, selon la Direction régionale des douanes, une marchandise de 14.100 tonnes de sucre. Une quantité de 6.000 tonnes de sucre qui se trouve dans les entrepôts d’Es-Senia devrait bénéficier du même régime, affirme-t-on de même source.

Pour rappel, le sucre blanc figure parmi les produits qui bénéficient d’une exonération totale des droits de douane et des taxes d’effet équivalent, avec toutefois une limite contingentaire de 150.000 tonnes par an. C’est seulement quand ce produit arrivera sur le marché que les prix pourront diminuer, nous confie un importateur sur la place d’Oran. Les initiés confient que la baisse des prix ne se fera pas sentir dans l’immédiat. On prévoit que d’ici le mois de Ramadhan, le marché sera suffisamment approvisionné pour influer sur les prix.

Par ailleurs, les prix de la viande importée (fraîche et surgelée) sont également restés au même niveau. La baisse est attendue pour le mois de Ramadhan, prévoit-on du côté des bouchers de la rue des Aurès. Les viandes importées bénéficieront d’une réduction tarifaire sur les droits de douane de l’ordre de 10%. Mais pour le moment, la viande bovine fraîche importée est cédée entre 600 et 640 dinars le kilo chez les bouchers du marché de la rue des Aurès. Une cherté qui s’explique par la faiblesse de l’offre par rapport à la demande, explique un boucher. Sur l’ensemble des importateurs de viande implantés à Oran, seulement trois se sont investis dans l’importation de la viande bovine fraîche.

Selon le responsable d’une société spécialisée dans l’importation des viandes bovines fraîches, la faiblesse de l’offre est due à la nature même de cette viande qui ne permet pas l’importation de grandes quantités. «Du fait qu’elle est fraîche, cette viande doit être vendue comme telle. On est tenu d’importer de petites quantités qui sont immédiatement mises sur le marché. Notre société importe en moyenne un conteneur d’à peu près 22 tonnes tous les 21 jours», a-t-il souligné.

Ceci dit, poursuit notre interlocuteur, devant la demande qui se fera de plus en plus importante, grâce notamment aux nouveaux prix qu’on va appliquer, on prévoit d’élever le rythme des importations à un conteneur tous les 15 jours à partir de la deuxième moitié du mois de septembre avant de l’accentuer à un conteneur toutes les semaines, en prévision du mois de Ramadhan.

H. Barti


L’importation d’accord, mais qu’en est-il pour l’exportation ?

Même si les retombées de l’accord d’association Algérie-Union européenne, entré en vigueur le premier septembre, ne sont pas évidentes sur le marché algérien, les animateurs de ce dernier sont d’ores et déjà atteint d’une certaine frilosité qui ne manquera pas, à brève échéance, d’instaurer de nouveaux réflexes.

Industriels, importateurs, grossistes ou simples citoyens, même s’ils s’étalent longuement sur le sujet, ne semblent pas cerner avec précision les perspectives bonnes ou mauvaises qu’offre l’entrée en vigueur de cet accord mais tous s’accordent à dire que les choses ne seront plus comme avant. Mais dans tout cela, c’est le consommateur partant des généralités qui annoncent la suppression des taxes douanières qui se réjouit d’une baisse qu’il estime certaine des prix de produits de large consommation.

Et curieusement ce que retient le commun des citoyens dans le flot des informations relatives à l’accord d’association, c’est indéniablement ce chiffre de 150.000 tonnes de sucre qui fait rêver les petites bourses quand celles-ci anticipent en donnant pour acquis dans le même panier l’huile, la viande, le lait, le café désormais pour une bouchée de pain. Sauf que beaucoup de gens sont réellement désorientés ces jours-ci par les prix du sucre, de certaines lessives d’importation, également d’autres produits qui viennent de gagner quelques dinars, contredisant ainsi cette logique désarmante qui veut que la suppression des taxes douanières induit automatiquement une baisse des prix.

Mais selon certains grossistes ayant pignon sur rue à Constantine, cette hausse s’explique par d’autres raisons comme l’approche du mois de Ramadhan qui fait que la demande sur le sucre et l’huile par exemple s’accroît puisque les préparatifs sont déjà engagés par les marchands de zalabia, une sucrerie très prisée durant le mois sacré.

Sur l’accord d’association entré en vigueur, ces mêmes grossistes estiment tout autant que les importateurs spécialisés dans les denrées alimentaires que le marché connaîtra certainement une baisse des prix puisque, affirment-ils, l’essentiel des importateurs algériens négocient avec les pays européens et même ceux qui importent à partir des autres continents vont irrémédiablement se rabattre à cause de la suppression des taxes douanières à l’importation à partir de l’autre rive de la Méditerranée.

«Certains importateurs vont sûrement trouver l’astuce pour importer des produits asiatiques moins chers qu’en Europe et leur faire passer les frontières algériennes sous l’étiquette européenne pour encore ne pas payer les droits de douane», nous dira sous l’air de la confidence un importateur qui travaille essentiellement avec les pays du Golfe. L’éventualité n’est d’ailleurs pas exclue par ses pairs qui insistent sur le fait que certains opérateurs européens n’éprouveront aucun scrupule à faire transiter des produits asiatiques par leurs pays en les faisant passer pour des produits d’origine européenne. Autant dire que la douane algérienne aura du pain sur la planche et on aura vu comment des importateurs, nous dira un opérateur constantinois, arrivent même à faire passer des produits interdits d’importation dans des conteneurs censés contenir des marchandises dûment déclarées sur les documents. Ceci pour nous dire que rien ne fera reculer autant les Européens que les Algériens pour profiter largement de cette aubaine en faisant fi de la réglementation en vigueur. Ceci côté importation. A la faveur de cet accord d’association, qu’en sera-t-il pour les exportateurs algériens ?

«Les perspectives sont très mauvaises à court ou moyen terme», nous dira un opérateur économique spécialisé dans la fabrication de produits vétérinaires. Notre interlocuteur dira que l’Union européenne s’est garantie un marché en Algérie. Mais elle a mis des barrières autres que tarifaires pour protéger ses marchés.

Des barrières techniques et administratives qui vont créer d’énormes difficultés aux Algériens tentés d’introduire leurs produits en Europe. Et d’ajouter que les produits commercialisés en Europe obéissent à des normes draconiennes et rigoureuses qui peuvent être certes à la portée d’industriels algériens de pointe, par contre d’autres étiquettes d’ordre administratif peuvent surgir à tout moment pour les empêcher de pénétrer les marchés de l’autre rive.

Un autre opérateur économique spécialisé dans la fabrication de dalle de sol, carrelage et faïence se montre, lui, très pessimiste sur le sujet arguant du fait que sans suppression de la taxe douanière, les produits européens concurrencent sérieusement les produits algériens même s’ils sont vendus nettement plus cher.

Ce sont des produits de haute qualité et s’ils venaient à connaître une baisse des prix grâce à la suppression de la taxe douanière, les producteurs locaux de dalle de sol, de faïence et de carrelage auront énormément de difficultés à écouler leurs produits. D’autant plus que le coût de production en Algérie reste quand même élevé. Quant à une éventuelle exportation de ses produits vers l’Europe, cet opérateur n’y songe même pas, faudrait-il encore penser à bien vendre en Algérie d’abord.

Mais ce n’est pas ce que pense le gérant d’une biscuiterie constantinoise en partenariat avec des Turcs. Ce dernier estime que grâce à l’expérience du partenaire turc et la qualité de niveau international des produits fabriqués par son usine, la suppression de la taxe douanière va permettre d’exporter en visant particulièrement les pays de l’Est européen.

«Mais pour le moment nous envisageons d’exporter nos produits vers des pays d’Afrique», dira-t-il tout en faisant un clin d’oeil optimiste vers l’importation de 150.000 tonnes de sucre qui vont sûrement faire baisser les prix de ce produit d’autant plus que c’est l’un des principaux ingrédients dans la fabrication de ses produits.

M. S. Boureni