Algérie – Union européenne: Diplomates, « diaphonies » et désavantages salés

Algérie – Union européenne: Diplomates, « diaphonies » et désavantages salés

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 17 juin 2010

Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires étrangères qui coprésidait le 5ème Conseil d’association Algérie-UE au Luxembourg, n’a pas trouvé d’éléments négatifs dans le bilan de cinq ans de relations économiques fait par son homologue algérien. Il n’a pas vraiment tort, même s’il ne fait que son boulot de diplomate contraint, d’une manière ou d’une autre, à manier la langue d’ébène. Le ministre espagnol peut en effet constater-comme nombre d’observateurs-que, comparativement aux grosses ruades lancées ces derniers mois contre l’Union européenne et l’accord d’association-principalement par l’ancien ministre du Commerce El Hachemi Djaaboub et à un degré beaucoup moindre par Karim Djoudi-le ton de M. Mourad Medelci est particulièrement modéré. Il est vrai qu’un ministre des Affaires étrangères pense aussi politique et n’a pas à l’esprit que les chiffres-franchement désavantageux pour l’Algérie-pour apprécier le bilan de cinq ans de mise en œuvre de l’accord d’association. Le constat a déjà été fait de la différence d’appréciation-à moins que ce ne soit un partage des tâches-entre le ministre des Affaires étrangères algérien et ses pairs au gouvernement en charge des affaires économiques. L’exercice de Mourad Medelci, qui a très officiellement demandé une révision du calendrier des démantèlements tarifaires, a consisté à doser entre le souci d’une relation politique qui semble «globalement positive» et une relation économique qui, elle, paraît «globalement négative». Les choses ont, de toute évidence, été tranchées en Algérie à la veille de la réunion du conseil d’association. Pas de remise en cause de l’accord d’association mais on va demander un nouveau calendrier dont la possibilité était d’ailleurs prévue dans l’accord entré en vigueur en septembre 2005.

Multiples canaux et interférences

Ainsi, au plan politique, M. Mourad Medelci se satisfait du fait que l’Union européenne a, «de façon très claire», adopté la même position que l’Algérie sur le Sahara Occidental même s’il admet l’existence de «diaphonies» chez les Européens. On ne sait pas pourquoi le ministre algérien a choisi ce terme très technique de «diaphonie» pour lequel il faut nécessairement recourir au dictionnaire. Très délicieusement, Wikipédia explique qu’on «parle de diaphonie dans le cas de multiples canaux de communication ou de données, là où l’un interfère sur l’autre ou les autres, gênant ainsi l’écoute sur les autres canaux». En clair, si l’on comprend bien, M. Medelci admet que la parole de l’UE n’est pas très claire et qu’il y a des voix qui interfèrent et brouillent le message… Mais il ne faut pas le dire clairement, d’où… la diaphonie.

Le chef de la diplomatie algérienne, en abordant les aspects économiques de l’accord d’association – qui déçoivent aussi bien les patrons algériens que les experts – n’a pas fait dans la diaphonie par rapport à ses pairs en charge de l’économie… Il a fait dans l’atténuation, dans la réduction du volume pour rester dans le domaine du son et de la phonie.

Le tympan de Moratinos n’a pas souffert

Moratinos avait donc de bonnes raisons de ne pas sentir ses tympans souffrir. En écoutant son homologue algérien, il a compris que «l’Algérie demande uniquement une plus grande implication européenne, et ne dit nullement que l’UE ne fait pas bien les choses. Elle révèle qu’elle pourrait faire davantage, et ça, dans tous les dossiers, qu’ils soient économiques ou financiers, en prenant en compte les interrogations, les positions et sensibilité algériennes, et aussi en ce qui concerne des questions de la dimension humaine». Ah, ces diplomates, ils sont incorrigibles… ! Mais on sait quand même que l’Algérie a mis l’accent sur ces IDE européens qui ne sont pas venus avec l’accord d’association. L’accord d’association devait être un «catalyseur pour le développement des investissements directs européens en Algérie. Force est de constater que cinq années après son entrée en vigueur, l’accord d’association n’a pas eu encore l’effet d’entraînement attendu », a constaté sobrement M. Medelci. Par contre, le démantèlement tarifaire a couté 2,5 milliards dollars et il pourrait couter encore davantage dans les prochaines années.

Voilà, dites en fréquence plus douce, les raisons de désappointement général en Algérie à l’égard de l’accord d’association. Les discussions sur la révision du calendrier du démantèlement tarifaire vont commencer lorsque l’Algérie soumettra ses propositions. Sur les IDE, les Européens ont découvert un argument tardif dans les mesures d’encadrement de l’investissement étranger introduites par le gouvernement algérien à la faveur de la LFC 2009. Il en sera nécessairement question dans les discussions entre Alger et Bruxelles. Et dans ce domaine, l’Europe ne fait pas preuve de «diaphonie».