Dix ans après le lancement du Processus Euroméditerranéen

Dix ans après le lancement du Processus Euroméditerranéen

Un sommet pour combler les lacunes ?

El Watan, 27 novembre 2005

Le sommet euroméditerranéen – premier du genre – s’ouvre aujourd’hui dans la ville espagnole de Barcelone, c’est-à-dire là où il a été lancé il y a exactement dix ans. Un sommet rien que pour célébrer un anniversaire ? Le premier élément visible est le changement de la configuration avec le passage des Etats membres de l’Union européenne(UE) de 15 à 25 et celui de la rive sud à 10 depuis que Malte et Chypre ont rejoint l’ensemble européen.

Ou encore à 11 si la Libye intègre cet ensemble. Il serait faux de ramener un projet aussi vaste que celui-là à une relation mathématique. Trop peu, dira-t-on, surtout que ce processus est l’objet de toutes les critiques. Normal, car de nombreux facteurs n’avaient pas été pris en ligne de compte, même si le processus en question est passé par différentes phases de maturation, que les diplomates avaient pour mission de maintenir en vie. La situation a atteint ce stade, en raison aussi des choix européens et des priorités qui en découlaient. Premier constat, les rencontres devenaient irrégulières, moins médiatisées, et surtout, depuis la conférence de Stuttgart en avril 1999, elles ne donnaient plus lieu à des déclarations finales. Les participants se contentaient d’un simple « relevé de conclusions », ce qui évite le moindre engagement. Deux années auparavant, lors de la conférence de La Valette, à Malte, 18 mois après la conférence de Barcelone, le réalisme était l’élément dominant. Plus d’enthousiasme, et le rêve devenait cauchemar. On ne se rendra jamais assez compte de la pénibilité qui avait alors marqué cette deuxième rencontre. « Je suis coincé », déclarait à qui voulait l’entendre l’ancien chef de la diplomatie hollandaise, président en exercice de l’UE, dans les couloirs de l’hôtel Poenicia, alors qu’il cherchait à lever l’obstacle à ces travaux. C’était, bien entendu, le conflit du Proche-Orient dont le règlement était bloqué par Israël. Et c’était un passage obligé au regard de la Déclaration de Barcelone qui prévoyait dans sa première « corbeille », un niveau élevé de coopération politique, ce qui suppose préalablement la normalisation des relations entre les pays arabes et Israël. C’était le minimum requis avant d’aller vers ces « mesures de confiance » et « d’échange d’informations » y compris dans le volet militaire, car la Méditerranée, disait-on alors, devait devenir un espace de paix. Passons, là aussi, sur la revendication russe pour l’accès aux mers chaudes, réitérée à cette époque, ou le refus des Etats-Unis de démanteler leurs bases qui cernent cet espace. C’était ça le rêve, surtout s’il y était ajouté ce côté humaniste et civilisationnel ; envisagé à Barcelone, mais totalement défait à La Valette. Il s’agit bien entendu de la circulation des personnes que l’Europe, surtout depuis Maastricht, restreignait chaque jour davantage. Plus que cela, la déclaration finale de La Valette, difficilement approuvée, a été littéralement réécrite quelques mois plus tard à Bruxelles, pour l’expurger de toutes références à la circulation des personnes. Bien entendu, la Commission européenne aura bon dos, désignée alors avec ses lois et directives, comme étant à l’origine des blocages. Et pourtant, elle ne décide de rien. Tout revient aux Etats membres et à personne d’autre. On sentait alors que le processus manquait de souffle, ou encore que l’Europe refusait de lui en insuffler, car elle avait d’autres projets prioritaires comme son élargissement, lequel s’est effectivement réalisé en 2004, mais au bout du compte, rien de particulièrement nouveau pour les PTM (pays tiers méditerranéens) ou si, un concept qui a amené l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères à formuler alors certaines critiques. Abdelaziz Belkhadem s’en prenait bien entendu à ce que l’Europe, passée désormais à 25, appelait la « nouvelle politique de voisinage » qui s’étend jusqu’aux frontières de la Russie à l’Est, mais absolument rien en ce qui concerne les pays du Sud méditerranéen. En conséquence de quoi, M. Belkhadem, qui a pris part à une réunion arabe de coordination, a fixé un objectif au sommet qui s’ouvre aujourd’hui. Celui-ci « ne doit pas être seulement une occasion pour célébrer la dixième année du lancement du processus de Barcelone mais une opportunité pour l’évaluer en vue d’en consolider les aspects positifs et tenter d’en réformer les points faibles ». Il a, en ce sens, réaffirmé l’engagement des pays arabes « dans l’application des objectifs de la Déclaration de Barcelone et de combler les lacunes qui ont empêché leur concrétisation durant les dix dernières années, notamment la question du mécanisme de financement, les investissements dans le monde arabe, la migration légale et la circulation des personnes ». M. Belkhadem soutient que le processus de Barcelone demeure « le meilleur cadre de partenariat en dépit des lacunes enregistrées », ajoutant qu’il « convient de le préserver eu égard à ses objectifs prometteurs dans la mise en place de passerelles entre les deux rives de la Méditerranée ». « Les résultats obtenus depuis 10 ans dans le cadre du processus de Barcelone restent en deçà des objectifs fixés aux plans économique, politique et humain », conclut M. Belkhadem. Un bilan décevant Allant dans le détail, en ce qui concerne les engagements européens, notamment les investissements directs étrangers (IDE) sinon l’appui politique en vue de cette démarche, le successeur de M. Belkhadem se garde de tout optimisme. Le bilan de la coopération financière et de la promotion des IDE en Méditerranée, dix ans après la conférence de Barcelone, est loin d’être satisfaisant, a fait remarquer Mohamed Bedjaoui. C’était au mois d’octobre dernier, lors de la 12e session du forum méditerranéen, ce cadre informel qui autorise toutes les discussions mais pas de décision. Pour preuve, l’écart de développement qui s’est davantage accentué entre les deux rives de la Méditerranée comme le fait justement remarquer le dernier rapport du réseau euroméditerranéen des instituts économiques Femise. Celui-ci relève qu’en dix ans de partenariat, les pays méditerranéens ont reçu un total d’investissements européens guère supérieur à la seule Pologne. Cette tendance, a souligné M. Bedjaoui, qui contredit les engagements de Barcelone (zone de prospérité partagée), constitue une source d’inquiétude pour les pays du Sud, dont l’Algérie, et rend nécessaire l’adoption de mesures correctrices urgentes telles que la mise en place d’un mécanisme institutionnel d’incitation à l’investissement dans les pays du Sud et la transformation de l’actuelle FEMIP (facilité euroméditerranéenne d’investissement et de partenariat, dans le cadre de la Banque européenne d’investissement) en une banque de développement euro-méditerranéen. M. Bedjaoui appelle, par ailleurs, au renforcement et à l’élargissement de la coopération euroméditerranéenne, pour ce qui a trait à l’instauration d’un dialogue équilibré entre les cultures et les civilisations dans la région méditerranéenne, si essentiel pour le devenir de la région. Ce dialogue s’avère d’autant plus pressant aujourd’hui que nous assistons à des amalgames dangereux entretenus à la suite des attentats terroristes qui ont secoué différentes régions du monde et de l’écho donné à la thèse du choc des civilisations qui met l’accent sur la confrontation culturelle et les conflits inter-religieux plutôt que sur un dialogue fécond encourageant la coopération. A cet égard, dira le chef de la diplomatie algérienne, le forum méditerranéen se doit de réitérer son appui à l’initiative de l’alliance des civilisations présentée par le chef du gouvernement espagnol et soutenue par divers forums. En réponse à ces critiques, et en ce qui les concerne, les ministres européens des Affaires étrangères considèrent que « le processus de création d’un véritable marché régional continue d’être freiné, notamment, par la lenteur de l’intégration des pays méditerranéens entre eux. La fragmentation persistante des marchés du sud de la Méditerranée entrave les investissements importants tant nationaux qu’étrangers ». Quant au président du parlement européen, intervenant à l’occasion de la réunion de l’Assemblée parlementaire euroméditerranéenne (APEM), il a souligné que « le bilan du processus de Barcelone, 10 ans après, est mitigé ; politiquement les conflits régionaux sont toujours là et économiquement les écarts entre les deux rives vont grandissant ». Les priorités de l’Europe Le drame de l’immigration du mois d’octobre dernier soulève, quant à lui, des questions et amène à en relativiser d’autres. Comme l’a fait le ministre espagnol des Affaires étrangères qui déclarait, le 2 octobre dernier, lors d’une réunion du forum méditerranéen que « ce n’est plus une question de migrants algériens, tunisiens ou marocains qui viennent en Europe, car il existe des accords bilatéraux avec ces pays. Nous devons faire face à de nouveaux flux migratoires venant d’Afrique subsaharienne, ce qui nécessite une approche globale ». En 1995, la rive sud était perçue alors comme la nouvelle frontière de l’Europe, ce qui faisait dire à certains observateurs, que les pays qui la bordent devaient en être les gardiens pour combattre aussi tous les autres trafics, et la criminalité. Mohamed Bedjaoui a proposé l’adoption à Barcelone d’une « charte euroméditerranéenne » sur l’immigration. Le forum a d’autre part préparé un « code de conduite sur la lutte contre le terrorisme » qui doit être adopté à Barcelone. « Nous voulons donner un signal très fort de l’engagement de tous nos pays contre le terrorisme tout en garantissant le respect des droits de l’homme, les principes de la démocratie et les libertés », a déclaré le chef de la diplomatie espagnole, Miguel Angel Moratinos. Face à la préoccupation des pays de la rive sud de la Méditerranée depuis l’élargissement à l’Est de l’UE, M. Moratinos a affirmé que « les anciens voisins ne doivent pas être négligés au profit des nouveaux ». Il a souligné « l’engagement politique, économique et financier envers les anciens voisins pour que la Méditerranée soit une zone de paix et de développement ». La question de la création d’une banque euroméditerranéenne a notamment été évoquée. Le dialogue des cultures et des civilisations, dont l’importance a été soulignée par le forum, sera à l’agenda des chefs d’Etat et de gouvernement à Barcelone. Quant au groupe arabe, il a souligné dans le document à soumettre au sommet, la centralisation du processus de Barcelone dans ses trois volets politique, économique et culturel en mettant l’accent sur les questions liées à la sécurité et la stabilité de la région, à savoir la question palestinienne, dont le règlement constitue la pierre angulaire de la consécration de la sécurité et de la stabilité dans la région, et la mise en place de stratégies de développement socio-économiques. Tout récemment, M. Moratinos n’a pas hésité à dire les choses plus simplement en soulignant que le destin de l’Espagne dépend du développement du Maghreb et de la paix au Moyen-Orient. L’Espagne a participé activement à l’organisation du sommet de Barcelone, affirme M. Moratinos. « Nous l’avons fait par conviction et par nécessité, sachant que notre destin dépend aussi du développement du Maghreb et de la paix au Moyen-Orient », ajoute-t-il. L’Union européenne doit aller au-delà des accords (de coopération) de 1995 », souligne M. Moratinos. « Nous qui sommes situés à 14 km de la côte marocaine, nous constatons quotidiennement que notre destin et celui des pays du sud de la Méditerranée sont unis », ajoute-t-il. Le processus de Barcelone a profité en 1995 de « conditions favorables » qui ont vite disparu, estime M. Moratinos, citant « le blocage du processus de paix au Proche-Orient, les attentats terroristes du 11 septembre et un certain repli sur soi de l’Europe qui consacra toute son énergie à la préparation de son élargissement ». Pour avoir été l’ambassadeur de l’UE pour le Proche-Orient, M. Moratinos sait de quoi il parle, même si les initiateurs de la première conférence insistaient sur le fait que le processus d’Oslo conclu par les Palestiniens et les Israéliens et supposé, à l’époque, ramener la paix, et celui de Barcelone, étaient distincts. Une précaution bien inutile. Outre ce fait, l’Europe avait d’autres ambitions comme sa stratégie envers l’Afrique restée sans suite après le sommet Europe-Afrique d’avril 2000 au Caire. Comme on le constatera dès avril 2003, l’Europe entendait apparemment se concentrer sur ce fameux espace qui va « de l’Atlantique à l’Oural », gardant d’autres choix en réserve, réduisant la portée du processus euroméditerranéen. C’est notamment le cas de la la nouvelle politique européenne de voisinage (PEV) dévoilée le 18 juillet 2003. Elle s’adresse à la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, l’Arménie, l’Azerbaidjan, et la Géorgie, ainsi que bien entendu aux pays méditerranéens. L’objectif calqué sur celui de Barcelone est d’offrir à tous ces voisins « la possibilité de participer à diverses activités de l’UE dans le cadre d’une coopération politique, sécuritaire, économique et culturelle renforcée ». Nul doute que cela traduit ou rappelle le débat qui avait précédé le lancement du processus de Barcelone ou qui amène à s’interroger sur la politique méditerranéenne de l’Europe. En a t-elle une au juste ? La réponse semble avoir été apportée en 1992, et même un peu avant lors de la réunion des cinq pays maghrébins plus quatre pays européens riverains de la Méditerranée (Espagne, France, Italie et Portugal) pour débattre d’un espace géographique restreint, c’est-à-dire la Méditerranée occidentale. C’était à Rome en 1990, une année plus tard à Alger, Malte qui n’appartient pas à cette zone, est venue rejoindre le groupe des pays européens. Cela a été mis sur le compte des rivalités européennes bien réelles, quoi qu’il se dise. Une année plus tard, le sommet de Hesse, en Allemagne, adopte le principe d’un partenariat euroméditerranéen. Beaucoup n’y ont pas cru, y compris parmi les pays du Sud, bien perçu alors, un tel processus comme la panacée à leurs problèmes. Ce qui nous rappelle alors l’appel de l’Algérie pour « une zone de prospérité partagée » qui sonnait comme un avertissement, ou encore un programme. Si en effet, la fameuse zone de libre- échange est l’addition des différents accords d’association, elle implique aussi des concessions forcément douloureuses pour les économies protégées comme le démantèlement des barrières douanières.Ce que le MEDA (mesures d’accompagnement) ne pouvait compenser à lui tout seul. L’enthousiasme a cédé la place à une certaine désillusion que la seule évocation de chiffres n’arrive pas à décrire.
T. Hocine