Simon Fraser: «La recrudescence du terrorisme au Sahel représente une menace pour nous tous»

Simon Fraser. Chef du service diplomatique britannique

«La recrudescence du terrorisme au Sahel représente une menace pour nous tous»

Propos recueillis par Salima Tlemçani, El Watan, 4 octobre 2010

En visite en Algérie, le chef du service diplomatique britannique, Simon Fraser, a qualifié la situation au Sahel d’inquiétante et encouragé les pays de la région à combattre Al Qaîda qui, selon lui, ne reconnaît pas les frontières politiques.
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il a déclaré que depuis janvier 2007, 1975 Algériens ont été expulsés ou sont rentrés volontairement au pays, alors que durant la même période, 41 995 visas ont été délivrés à nos ressortissants.

 

-Londres a constitué pendant des années un centre de regroupement de nombreux islamistes qui faisaient l’apologie du terrorisme dans leurs pays respectifs. Qu’en est-il de la situation aujourd’hui, notamment depuis les attentats du 11 juillet ?

Londres est une ville vraiment cosmopolite et tire sa force de sa diversité. La grande majorité des Londoniens vit et travaille ensemble pacifiquement. Cependant, nous reconnaissons qu’il y aura toujours une minorité qui voudra utiliser des moyens extrêmes pour réaliser des objectifs politiques ou religieux. Nous condamnons toute forme d’extrémisme qui sème la haine et la division, pas seulement l’extrémisme violent. Cependant, le gouvernement britannique et la police vont continuer à agir contre ceux qui essayent de préconiser le recours à la violence pour servir d’autres causes. Nous sommes déterminés à protéger toutes les communautés et à travailler avec elles afin de combattre cette menace.

-Peut-on connaître le nombre d’Algériens extradés ou expulsés de Grande-Bretagne durant les quatre dernières années ?

La Grande-Bretagne est un pays ouvert aux affaires et nous voulons continuer à attirer «les meilleurs et les plus brillants» dans le cadre de notre politique d’immigration. A ce titre, permettez-moi de préciser que 41 495 visas ont été accordés à des citoyens algériens depuis 2007. Notre préférence a toujours été que les individus qui ne sont pas habilités à rester au Royaume-Uni reviennent dans leur pays d’origine et de leur plein gré. S’ils ne le font pas, nous veillerons à ce qu’ils reviennent. Depuis le 1er janvier 2007, 1975 ressortissants algériens ont été soit expulsés du Royaume-Uni, soit sont rentrés volontairement. A cela s’ajoutent 9 Algériens qui ont été renvoyés en Algérie dans le cadre d’un programme de réadmission convenu à travers un échange de lettres en 2006 entre l’ancien Premier Ministre, Tony Blair, et le président algérien, Son Excellence Abdelaziz Bouteflika.

-Quel bilan faites-vous de la coopération algéro-britannique en matière de lutte contre le terrorisme ?

Le Royaume-Uni et l’Algérie entretiennent d’excellentes relations de coopération dans le domaine de la lutte antiterroriste. La première rencontre du sous-comité algéro-britannique de lutte antiterroriste, nouvellement créé, a eu lieu en début d’année sous la présidence du conseiller du président pour la lutte antiterroriste, du côté algérien, et du directeur chargé des questions antiterroristes au Foreign Office, du côté britannique. Nous espérons vivement que le travail de ce comité renforce les relations entre les deux pays dans le domaine de la lutte antiterroriste. Les deux pays ont souffert des affres du terrorisme et nous sommes disposés à échanger nos expériences avec nos amis algériens dans ce domaine. Le Royaume-Uni et l’Algérie ont également travaillé récemment au sein des Nations unies en faveur de l’éradication des sources de financement des terroristes.

-Justement quelle est la position de la Grande-Bretagne par rapport aux négociations avec les terroristes, au paiement de rançons et à l’élargissement de terroristes en contrepartie de la libération d’otages ?

Nous ne sommes pas et n’allons pas entrer dans des négociations avec les terroristes, ni payer des rançons, ni libérer des terroristes sur leur demande. Un ressortissant britannique, Edwin Dyer, a été tragiquement tué au Mali l’année dernière. Bien que nous exprimons nos vives sympathies à sa famille, nous croyons que toute coopération avec les terroristes ne fera qu’engendrer plus d’actes terroristes.

-Comment voyez-vous l’évolution de la situation sécuritaire dans la région du Sahel ?

Nous avons de vives inquiétudes par rapport à la situation sécuritaire au Sahel. Nous avons assisté durant les dernières années à une recrudescence des activités d’Al Qaîda dans cette région. Ceci représente une menace pour nous tous. Nous demeurons disposés à aider nos partenaires dans la région du mieux que nous pouvons dans l’éradication de cette menace. Je voudrais à ce titre saluer les efforts de l’Algérie dans la coordination de cette lutte avec d’autres pays dans le Sahel, traduite plus récemment par une rencontre des chefs d’état-major des pays du Cemoc tenue à Tamanrasset la semaine dernière.

-Pensez-vous que les pays de la région peuvent, à eux seuls, faire face au défi imposé par les groupes terroristes et les narcotrafiquants ?

Les pays de la région disposent de diverses capacités pour faire face à la menace imposée par AQMI au Sahel. Le Royaume-Uni demeure disposé à aider nos amis pour faire face à cette menace, Les voisins de l’Algérie peuvent également bénéficier de la grande expérience dont jouit ce pays dans le domaine de la lutte antiterroriste. Le Royaume-Uni encourage tous les pays de la région à travailler ensemble afin de combattre cette menace transnationale, AQMI ne respectant certainement pas les frontières politiques.

-Pourquoi, selon vous, la présence britannique en Algérie reste-t-elle insignifiante par rapport à d’autres pays occidentaux ?

La présence britannique en Algérie est au contraire importante et ne cesse d’augmenter. Le Royaume-Uni a une représentation diplomatique en Algérie depuis 1580.
Les relations entre les deux pays se sont récemment approfondies davantage depuis la visite de Son Excellence, le président Bouteflika au Royaume-Uni en 2006. L’année dernière, Son Altesse Royale le duc d’York, représentant spécial du Royaume-Uni pour le commerce international et l’investissement, a visité l’Algérie (pour la deuxième fois en deux ans) et a inauguré le siège de notre nouvelle ambassade à Alger. Cela démontre on ne peut mieux notre engagement à renforcer nos relations avec l’Algérie.
L’ambassade dispose maintenant d’un groupe complet de staff diplomatique travaillant sur un nombre de priorités importantes pour les deux gouvernements.

Sur le plan politique, nous avons maintenant un dialogue politique algéro-britannique qui se tient annuellement. Les relations entre les forces armées des deux pays sont également en pleine expansion et ont abouti l’année dernière à la visite en Algérie de l’ancien ministre de la Défense britannique pour signer un mémorandum d’entente dans le domaine de la défense.
Les compagnies britanniques exerçant dans le domaine des hydrocarbures sont présentes en Algérie depuis bien longtemps, mais les relations commerciales entre les deux pays ne cessent de s’accroître. Nous avons maintenant un comité économique algéro-britannique qui tient une réunion annuellement, les exportations britanniques vers l’Algérie ont doublé entre 2004 et 2009 et les exportations algériennes vers le Royaume-Uni ont atteint 540 millions de livres en 2009. La plus grande partie s’est faite dans le secteur hors hydrocarbures où les compagnies britanniques ont été traditionnellement représentées ; plusieurs grandes compagnies britanniques telles que HSBC, GSK, Unilever et BAT opèrent actuellement en Algérie.

En mars dernier, l’ancien ministre algérien de l’Energie a signé une feuille de route avec son homologue britannique sur une future coopération dans le domaine de l’énergie, notamment dans les énergies renouvelables. Nous espérons également pouvoir travailler ensemble dans le domaine du réchauffement climatique.Je sais que les visas représentent une question importante pour plusieurs Algériens. Nous avons maintenant un service pour les visas à Alger qui opère pleinement et la plus grande majorité des demandes est traitée dans le respect des engagements pris par l’ambassade en matière de délais de traitement notamment.

Cela étant, le Royaume-Uni se réjouit toujours de recevoir les hommes d’affaires, étudiants et touristes algériens sur son territoire.
Cet élan de coopération ne risque pas de décroître. Une visite d’un ministre du Foreign Office est prévue cette année et un haut responsable du ministère britannique pour le Commerce et l’Investissement sera à Alger durant cette semaine. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire ensemble et je tiens à ce que cette relation atteigne son potentiel maximum.

Salima Tlemçani