La faillite de la houkouma coûtera cher aux algériens : un pays à l’abandon

La faillite de la houkouma coûtera cher aux algériens : un pays à l’abandon

El Watan, 24 août 2012

Pas de réunion des ministres, ni d’audition présidentielle. Nos dirigeants sont aux abonnés absents. Si l’on en croit l’ENTV, «Djazaïr el injazat» n’a rien à craindre. Alors que la rentrée parlementaire approche, les députés n’ont pas de textes sur lesquels se pencher. Pendant ce temps, le pays continue de s’enfoncer.

Le Conseil des ministres ne se réunit plus en Algérie. Réalité que tout le monde connaît mais qui ne suscite aucune réaction ni de l’opposition ni des «milieux» éclairés d’Alger ou d’ailleurs. Fatalité ? Non Indifférence ? Possible. Le président Abdelaziz Bouteflika, qui termine dans une année et demie son troisième mandat, ne voit visiblement plus «l’utilité» de réunir les ministres pour étudier les projets de loi et prendre des décisions qui impliquent tous les Algériens. Sans la réunion de ce conseil, aucune loi ne peut atterrir sur le bureau de l’APN. Et, indirectement, le conseil du gouvernement, déjà largement limité dans ses prérogatives, est ligoté. Ses réunions, qui ne sont pas annoncées officiellement, ressemblent presque à une forme protocolaire, une tentative de meubler le vide.

Durant le mois de Ramadhan, Bouteflika a disparu, parti en Suisse, paraît-il. Il en est de même pour Ahmed Ouyahia, «son» Premier ministre. Une dizaine de ministres n’ont pas donné signe de vie, eux non plus. Le ministre de la Solidarité nationale, Saïd Barkat, par exemple, a abandonné son poste le mois où théoriquement il devait le plus travailler. Idem pour le ministre du Commerce, Mustapha Benbada. Tout ce que ce ministre a «raconté» sur la régulation du marché s’est avéré faux, complètement faux. Le résultat de cette faillite généralisée de la gouvernance était clair : un pays livré à lui-même.

Des coupures d’électricité partout, un patrimoine forestier détruit à large échelle, une anarchie totale sur le circuit commercial, violence et agressions multiples dans les villes, pénurie de médicaments, désorganisation dans les hôpitaux, forte inflation… Tout cela coûte cher, très cher à l’Algérie. Le fisc ne pourra jamais rattraper la perte d’argent du marché informel. Et il faudra deux à trois siècles pour remplacer les milliers d’arbres fruitiers (154 000 arbres ont été détruits par le feu depuis le début de l’été) perdus dans les incendies provoqués et programmés par des mains criminelles.

Sanctions

Un chef d’Etat préoccupé par la défense des intérêts du pays qu’il gère aurait demandé à la justice d’ouvrir une enquête sur les pyromanes téléguidés qui brûlent les forêts et les maquis. Un chef d’Etat qui gère réellement les affaires du pays aurait pris des sanctions après les coupures d’électricité qui «pourrissent» la vie des Algériens. Un chef d’Etat qui n’est pas «un trois quart» de président se serait intéressé à «la mafia» qui tire les ficelles au marché parallèle et qui profite de la pénurie voulue des produits pharmaceutiques.

Tout cela ne semble pas attitrer l’attention de Abdelaziz Bouteflika au point de susciter plusieurs interrogations dont celle-ci : le locataire du palais d’El Mouradia est-il capable de suivre ce qui se passe en Algérie ? Sinon, comment expliquer qu’aucune mesure ne soit prise pour rassurer les Algériens sur l’existence d’un président de la République qui décide et qui contrôle l’action des institutions ? L’efficacité avec laquelle le président égyptien Mohamed Morsi a entamé son mandat en tant que chef d’Etat élu a brusquement ouvert les yeux sur la dure réalité algérienne : quelque chose ne va pas dans le pays ! Mais quoi au juste ?

La fragile santé de Bouteflika qui l’oblige à s’éloigner durablement de la scène nationale ? De graves différends entre la hiérarchie militaire et la présidence de la République ? L’absence de perspective ou de «plan B» après la fin du troisième mandat de Bouteflika en 2014 ? Les Algériens ont bien l’impression que le chef de l’Etat a abandonné le pays. En d’autres termes, cela porte un nom : vacance du pouvoir. C’est presque inévitable.

Vacance

En faisant éteindre son «signal» du radar, Ahmed Ouyahia a renforcé ce sentiment. Il a fallu attendre la veille du 27e jour du Ramadhan, proclamée «nuit du destin» en Algérie, pour que Bouteflika réapparaisse sur les écrans. L’image ? Un homme fatigué assis dans une mosquée. La religiosité tactique dans toute sa splendeur. Trois jours plus tard, Bouteflika, pour une fois vêtu de blanc, réapparaît une deuxième fois assis, tout aussi fatigué, assis dans la même mosquée. C’est le jour de l’Aïd El Fitr. Ce jour-là, il fallait bien écouter le prêche politique de l’imam officiel. «Ce qui se passe dans le monde arabe est le résultat d’un complot de l’Occident. Son objectif est déstabiliser la ouma islamique et créer la fitna (…).

N’écoutez pas ceux qui vous parlent de conflit de générations. Ce conflit n’existe pas. C’est une invention de l’Occident», a-t-il lancé. A ce moment-là, Bouteflika admirait le tapis de la mosquée. Ouyahia, à quelques mètres de là, en faisait de même. C’est pourtant ce même Ouyahia, alors ministre de la Justice, qui avait introduit en 2001 des amendements au code pénal interdisant… l’utilisation de la mosquée à des fins politiques. Durant le Ramadhan, Bouteflika n’a pas «auditionné» les ministres. L’opinion publique n’a eu droit à aucune explication à ce brusque changement dans «la façon» de faire du locataire du palais d’El Mouradia. Depuis son arrivée au pouvoir en 1999 à l’appel des généraux, Bouteflika s’est habitué à la pratique, héritée du parti unique, de n’écouter de ses collaborateurs que tout ce «qui va bien».

Aveuglement

Les bilans présentés par les ministres durant «les auditions» ramadhanesques des années précédentes étaient tous, sans exception aucune, positifs. L’ENTV, qui a oublié qu’un vent souffle toujours sur le monde arabe arrachant les dictatures l’une après l’autre, a repris sa mauvaise habitude d’ignorer tout ce qui préoccupe les Algériens et présenter «une image» faussement parfaite de l’Algérie, «Djazaïr el injazat» (l’Algérie des réalisations). Ce n’est là qu’un petit exemple de l’aveuglement ambiant. Trois mois et demi après les législatives, les ministres «élus» députés n’ont toujours pas été remplacés. Six secteurs importants sont livrés aux quatre vents. Mais il ne se passe rien ? On fait comme si cela était normal, naturel, dans l’ordre des choses. Alors, l’Algérie terre des miracles ? Il y a tout lieu de le croire. Les partis sont devenus complices par leur silence. La chaleur de l’été a-t-elle «assommé» tout le monde ?

Début septembre, la saison parlementaire sera ouverte. Mais de quoi débattront les députés ? A peine «désignés» représentants du peuple, ils se sont offerts, eux aussi, trois mois de vacances pleins et entiers. Un Parlement réel aurait imposé une session extraordinaire pour se prononcer sur les dossiers importants, obliger le gouvernement à rendre des comptes. La nouvelle APN, mal élue comme celle qui l’a précédée, attendra que le gouvernement lui envoie des lois pour les adopter à défaut de les examiner ou de les rejeter. Il n’y a pratiquement aucune chance que les nouveaux députés décident d’engager une commission d’enquête sur les feux de forêt ou sur les coupures électriques.

A moins d’un sursaut d’orgueil. Sans contre-pouvoirs, sans projet politique clair, sans perspectives et sans vision économique, le pays se dirige droit dans le mur. La fragilité interne va compliquer toute entreprise stratégique de prévention de la principale menace extérieure : la situation d’instabilité au Sahel. L’explosion sociale n’est pas loin aussi en raison de la situation actuelle de flottement. Que l’imam officiel de l’Aïd l’accepte ou pas : la politique de la fuite en avant ne peut plus durer. «Complot» ou pas !
Fayçal Métaoui


L’achat de la paix sociale coûte cher

Les prélèvements du Fonds de régulation des recettes (FRR) ont doublé en 2011, atteignant les 1761,4 milliards de dinars, a annoncé le ministère des Finances.

Ils s’élevaient à 791,9 milliards de dinars en 2010. Le déficit budgétaire qui s’élevait, en 2011, à 2255,8 mds de dinars, soit 15,4% du PIB, a accru la valeur des avoirs puisés dans le FRR. Pourtant, depuis 2010, ce Fonds, qui a pour fonction de gérer les excédents budgétaires liés aux exportations d’hydrocarbures en Algérie, sert exclusivement à combler le déficit du Trésor public. A ce sujet, Abderrahmane Mebtoul, professeur d’université et économiste, tient à souligner que le FRR, géré par le Trésor public, est évalué en dinar algérien, alors que les réserves de change sont gérées par la Banque d’Algérie.

«Imaginez qu’on dévalue le dinar par rapport au dollar. Lorsque la Banque d’Algérie “joue“ sur le taux de change, elle augmente artificiellement le Fonds des recettes de régulation qui est géré par le Trésor en dinar. Cela met en relief l’importance du déficit. 60 à 70% (selon les années) de la fiscalité sont représentés par les hydrocarbures», explique-t-il. Selon l’économiste, «cette manipulation permet au gouvernement de freiner l’impact de la hausse salariale». C’est également le prix de la paix sociale. Par ailleurs, les recettes de l’Etat sont majoritairement issues des hydrocarbures et le prix du baril du pétrole est évalué entre 100 et 115 dollars par le marché mondial, selon un rapport de la Banque d’Algérie. Un prix surévalué par rapport au prix officiel (http://prixdubaril.com).

Grosses dépenses

Le professeur Mebtoul estime que si «le taux du baril se stabilise entre 70 à 80 dollars sur trois ans, le FRR sera épuisé sur trois à quatre ans, si l’Etat continue à s’appuyer sur 100 à 150 dollars», selon le calcul d’un groupe d’experts dont il est membre. L’économiste, ancien conseiller du ministère de l’Energie de 1974 à 2005, est catégorique : «Je suis contre le Fonds de régulation des recettes. Je serais plutôt d’avis à ce qu’on établisse la loi de finances au cours du marché. Si on dépense moins que les recettes, on met la différence dans un fonds de stabilisation afin d’avoir une vision claire et transparente du budget, géré jusqu’à présent d’une manière opaque.» Pour ce qui est des origines de ce taux exceptionnel en 2011, l’économiste évoque les augmentations de la masse salariale, les subventions et les dépenses de l’Etat. Pour rappel, un rapport posté en ligne le 31 mars sur le site de l’institution (ministère de l’Energie et des Mines) avait mis le doigt sur les grosses dépenses du gouvernement algérien.

Nesrine Sellal