Troisième mandat: La caution politique du parlement

Troisième mandat pour Bouteflika

La caution politique du parlement

El Watan, 30 janvier 2008

Alors que l’échéance électorale pour l’élection présidentielle est encore loin – avril 2009 –, les présidents de l’Assemblée populaire nationale et du Sénat, MM. Abdelaziz Ziari et Abdelkader Bensalah, ont saisi lundi l’opportunité de la clôture de la session d’automne du parlement pour s’impliquer ouvertement et engager avec eux l’institution parlementaire dans la campagne pour la révision constitutionnelle et pour un troisième mandat pour Bouteflika.

Et pourtant, le parlement qui est censé être le creuset des préoccupations nationales était fortement interpellé par l’actualité nationale et internationale de ces derniers jours et méritait bien un petit clin d’œil dans les discours de clôture. La détérioration du pouvoir d’achat des citoyens qui a atteint le seuil de l’intolérable, la grève des lycéens qui a ébranlé le secteur de l’éducation et qui est un sujet de grande préoccupation pour les parents, la situation sécuritaire marquée durant la session parlementaire qui vient de s’achever par une série d’attentats terroristes particulièrement sanglants, tous ces événements auraient dû naturellement s’inviter sinon dans les débats de la session d’automne, du moins être évoqués en bonne place dans les traditionnels discours de clôture. Encore une fois, le parlement est passé à côté de son sujet d’actualité, il détourne le regard du vécu des Algériens pour s’intéresser aux joutes politiques. Dans une partition bien réglée, l’APN, le Sénat et l’Exécutif en la personne du chef du gouvernement, M. Belkhadem, se sont exprimés à l’occasion de la séance de clôture du parlement pour mettre l’accent sur la nécessité et l’urgence de la révision de la Constitution. Après les soutiens des deux partis de l’Alliance présidentielle, le FLN et le RND en attendant celui du MSP et de certaines organisations satellites du pouvoir au projet de réforme constitutionnelle et au principe de la prorogation du mandat de Bouteflika, il ne manquait plus que l’onction parlementaire pour donner une légitimité populaire à cette revendication qui est présentée, comme l’a fait le président du Sénat, comme une aspiration de l’ensemble du peuple algérien dépassant les intérêts de groupes et les luttes d’appareils. La montée au créneau du parlement avant terme, avant même que le président ne confirmât officiellement son intention de réviser la Constitution et n’annonçât sa candidature appelle deux remarques. La première tient à la forme de la démarche politique mise en œuvre. Autant on peut concéder au chef du gouvernement qu’il s’exprimât sur la révision constitutionnelle – encore faudrait-il qu’il le fasse sans parti pris et sans a priori – autant le parlement n’a constitutionnellement et politiquement aucun avis à donner, à ce stade de la maturation du projet. Le parlement légifère, il n’a pas vocation à parler ou à décider au nom de l’Exécutif ou du président de la République. Lorsque le parlement suggère – cette cause est-elle déjà entendue au plus haut niveau du pouvoir ? – qu’il est le cadre institutionnel le plus indiqué parce que étant l’émanation de la volonté populaire pour se prononcer sur le projet de révision constitutionnelle, il outrepasse ses prérogatives. Et donne du grain à moudre à ceux qui estiment que les jeux sont déjà faits aussi bien pour la révision constitutionnelle que pour l’idée d’un troisième mandat pour Bouteflika et que toute l’agitation politique faite autour de cette question n’est qu’illusion démocratique. La même remarque vaut pour le président du Sénat qui fait, lui aussi, campagne avant la lettre, parle au nom du peuple et relève tout de go que la révision constitutionnelle est une exigence nationale portée par de larges pans de la société.

Sous-traitance politique

Dans le fond , la démarche du parlement qui fait de la sous-traitance politique au profit du projet de révision constitutionnelle devant ouvrir la voie à un troisième mandat pour Bouteflika incline à penser que le débat sur la question de savoir si le projet de révision constitutionnelle sera soumis au peuple par voie référendaire ou par le truchement du parlement est déjà tranché dans les sphères de décision. Selon toute vraisemblance, à bien décoder les messages politiques clairs des présidents du parlement et du Sénat, c’est la seconde option qui a été retenue. L’idée d’un référendum s’annonce politiquement comme un pari très risqué quand on se rappelle le taux élevé de l’abstention enregistré lors des derniers scrutins. Les présidents de l’APN et du Sénat ont-ils été mandatés par Bouteflika ou son entourage pour apporter leur caution politique au projet de révision constitutionnelle et au principe d’un troisième mandat ? Qu’est-ce qui empêcherait le président Bouteflika d’annoncer lui-même la couleur au lieu de déléguer, par petites touches, ses pouvoirs à des institutions ou des personnalités qui le font à sa place ? La démarche suscite une suspicion légitime auprès de l’opinion. A présent que le parlement se soit saisi du dossier, la déclaration du chef du gouvernement, M. Belkhadem, selon laquelle la décision de réviser ou non la Constitution est du seul ressort du président de la République laissant entendre par là que rien n’est encore décidé tant que Bouteflika ne se serait pas prononcé sur le sujet, a beaucoup de peine à convaincre l’opinion que le train à très grande vitesse de la révision constitutionnelle n’est pas encore lancé alors qu’il a atteint sa vitesse de croisière avec le soutien institutionnel du parlement. Belkhadem jure la main sur le Coran ne rien savoir des intentions du Bouteflika en la matière. Ni s’il ambitionne de briguer ou non un troisième mandat ni ce qu’il envisage d’amender dans la Constitution. Comme il dit ignorer si Bouteflika entend apporter des aménagements de fond à la Constitution touchant aux équilibres institutionnels ou s’il cherche uniquement à revoir certaines dispositions constitutionnelles. L’allusion est certainement faite à l’article 74 régissant la question de la durée du mandat présidentiel. Pris à l’exercice difficile du jeu d’ombres chinoises auquel il s’est livré devant les parlementaires en s’exprimant sur le sujet, Belkhadem a trahi sans le vouloir un secret qu’il n’est pas censé savoir en révélant que dans la mouture officielle du projet de révision constitutionnelle l’Islam en tant que constante nationale ne sera pas touché. Ce qui laisse supposer qu’il est dans le secret des dieux, qu’il a entre les mains une copie du projet du président de la République. Alors, à quoi rime tout ce battage politico-médiatique auquel nous assistons ? Pourquoi et à quelle fin cultive-t-on ce faux suspense qui paralyse la vie du pays et place les partenaires étrangers dans une position d’expectative pour ne pas dire de doute et d’incertitude ? Qui cherche-t-on à convaincre et de quoi ?

Omar Berbiche


La vie politique nationale rythmée par le projet de révision constitutionnelle et un troisième mandat pour Abdelaziz Bouteflika

La fin imminente de l’exception algérienne

El Watan, 30 janvier 2008

La « Moubayâa » pour un troisième mandat en faveur de Abdelaziz Bouteflika qui fuse sur un ton monocorde des bouches de tous les responsables du pays est un signe qui ne trompe pas : l’Algérie version Bouteflika aura rattrapé les pays arabes les plus arriérés en termes de pratique démocratique.

Désormais, le principe de l’alternance au pouvoir, si cher à Montesquieu, est déclaré hérétique par les nouveaux « prophètes » de la République. Le tandem Abdelkader Bensalah, président du Sénat, et Abdelaziz Ziari, président de l’APN, nous apprend que la limitation des mandats présidentiels à deux est en soi une atteinte à la démocratie ! Faut-il remarquer, soit dit en passant, que c’était sous les ordres du même Bensalah que fut adoptée l’actuelle Constitution, aujourd’hui décriée, qui limite justement le règne présidentiel à seulement dix ans, sous l’impulsion de l’ex-président Liamine Zeroual. Mais les temps ont changé, et M. Bensalah semble avoir mis à niveau ses « convictions » selon l’ego du maître du moment. Le président Zeroual, pourtant général de l’armée, avait donné une formidable leçon de démocratie et de sens de la mesure en se retirant avant même que son mandat ne s’achève. Son geste hautement politique devrait paraître ringard, voire risible aux yeux de ceux qui lui tressaient alors les lauriers et font aujourd’hui la claque à celui qui s’apprête à faire exactement le contraire, c’est-à-dire prolonger, à l’infini si possible, son sultanat. C’est que les soutiens ex cathedra prononcés par le duo Bensalah-Ziari censés représenter le peuple constituent incontestablement un acte fondateur d’une République héréditaire à la tunisienne et à l’égyptienne. Ceux qui rêvaient encore des lendemains qui chantent pour la démocratie devraient maintenant faire le deuil de l’exception algérienne. Cet îlot de liberté, qui illuminait durant les années 1990 la grisaille despotique des potentats arabes, sera envahi par la mode de gouvernance anachronique façon Moubarak, Benali, Ali Abdellah Salah, El Gheddafi, El Assad et autres roitelets arabes. Fatalement, l’Algérie rejoindra, sans gloire, des pays comme l’Egypte, la Tunisie, le Yémen, la Syrie dont les régimes dictatoriaux y sont proverbiaux aux yeux du monde entier. Et pour notre pays qui aura payé un très lourd tribut pour la démocratie avec les émeutes d’octobre et la décennie du terrorisme barbare, la régression sera sans doute abyssale. L’équation en gestation se décline ainsi : l’Algérie est appelée à faire table rase de ses acquis et ses conquêtes démocratiques — pluralisme politique, ouverture médiatique, liberté d’association… — au profit d’une mise au pas de la société via un régime omnipotent et omniprésent.

Mise à niveau arabe

Curieusement, cette sombre perspective reçoit une standing ovation de pratiquement toute la « classe » politique invitée à rentrer, de gré ou de force, dans les rangs à la queue leu leu. Et malheur aux derniers, aux hésitants… Ce bel unanimisme aurait pu rasséréner s’il s’agissait d’un projet politique progressiste dans une Algérie en plein doute. Or nous sommes véritablement face à un attentat politique en bonne et due forme contre la démocratie, la liberté et plus généralement le principe d’autodétermination. On ne peut soupçonner le peuple algérien frondeur d’être à ce point arriéré pour donner son onction à un dessein politique qui le renvoie tout droit vers la période de la glaciation de feu Boumediène. La gifle du 17 mai renseigne au demeurant sur l’incroyable fossé séparant les Algériens de ceux qui les gouvernent, à quelques niveaux qu’ils soient. Mais rien ne semble, hélas, pouvoir arrêter cette marche inébranlable de l’Algérie version Bouteflika acte III, vers le cercle très fermé des régimes autocratiques arabes. Triste sort que celui d’une Algérie démocratique qui, au lieu de contaminer ses voisins — le Maroc et la Tunisie — dont les peuples nous enviaient la liberté, a fini par (re)choper le virus de la dictature civile par le fait d’une vision messianique d’un Bouteflika « sauveur » que les metteurs en scène de la République se chargent de vendre au peuple par de théâtrales prières à une « Ouhda Thalitha » relayées par l’ENTV. Tout se passe comme si, en Algérie, il n’y aurait pas de vie sans Bouteflika. Ce procédé, qui ne fait même pas rire, aura achevé de discréditer la politique dans un pays où le Président s’apprête à changer de statut en recevant la couronne du roi ou du sultan à la faveur d’un troisième puis, qui sait, un quatrième mandat. Et ceux qui contestent à Bouteflika ce règne sont évidemment estampillés ennemis de la République ou ce qui en reste, par les thuriféraires du régime. « L’Algérie libre et démocratique » restera un slogan creux au soir d’avril 2009. Notre pays cédera sa place à la… Mauritanie, au Mali et au Sénégal qui ont désormais les yeux rivés vers le Nord. Quant à l’Algérie, le soleil brûlant de l’Orient rétrograde a fait perdre la boussole de la démocratie à ses dirigeants si tentés par une autre traversée du désert, plus confortable celle-là. Et pour longtemps si possible…

Hassan Moali