Bilan critique de 10 années de pouvoir

BILAN CRITIQUE DE DIX ANS DE POUVOIR

Par Maâmar BOUDERSA
Signataire de « l’Appel du 19 mars 2009 »

Le quotidien « El-Khabar » a publié, dans son édition du 6 avril 2009, sous forme de publicité, le programme électoral du candidat Bouteflika, où il énumère ses réalisations durant la décennie écoulée de son règne qui sont : 1) création de six millions de postes d’emplois, 2) livraison de 1,5 millions de logements, 3) un taux de croissance hors hydrocarbures de 5% en moyenne et 4) réduction de la dette extérieure.

Comme le bilan économique, politique et social de dix ans de règne n’a pas fait l’objet d’études et de débats contradictoires, tout lecteur peut croire à ce qui est avancé dans cette publicité.

Cette brève et synthétique étude veut combler cette lacune et apporter les preuves et les arguments que ce bilan positif est loin de refléter la réalité des faits qui restent têtus.

Pour cela, j’ai étudié les statistiques disponibles émanant aussi bien du FMI, de la Banque mondiale, de la Banque d’Algérie, de l’OPEC et du PNUD. La sincérité et la fiabilité de ces statistiques n’ont pas fait l’objet d’étude.

Pour prouver que ces réalisations sont fantaisistes, j’ai choisi l’étude des réalisations physiques de quelques agrégats économiques qui peuvent être considérés comme indicateurs de la tendance lourde qui ne peut être influencée par des exceptions conjoncturelles.

•  Classement de l’Algérie dans le monde selon le PNUD.

Le PNUD publie chaque année son rapport sur le développement humain et classe les pays selon le niveau de l’indice de développement humain qui est un indice composite composé de plusieurs facteurs économiques, politiques et sociaux.

Selon différents rapports du PNUD, l’Algérie était classée à la 106e place sur 177 pays, c’est-à-dire sur la liste des derniers pays dans le monde et cela en l’an 2000, alors que la Tunisie occupe la 97 ème place. En 2001, l’Algérie régresse à la 107 ème place et la Tunisie progresse à la 91 ème place. En l’an 2002, l’Algérie régresse encore à la 108 ème place et la Tunisie à la 92 ème , alors que les territoires occupés palestiniens occupent la 102 ème place, mieux de l’Algérie.

En l’an 2003, l’Algérie occupe la 103 ème place, alors que la Tunisie la 89 ème et les territoires palestiniens la 102 ème , mieux que l’Algérie. En 2004, elle occupe la 102 ème place contre la 87 ème pour la Tunisie et la 100 ème pour les Palestiniens qui restent mieux classés. Enfin en 2005, elle occupe la 104 ème place contre la 91 ème pour la Tunisie et la 106 ème pour les Palestiniens.

Ces différents classements sur une période de six ans montrent qu’il n’y a jamais eu de progrès notable durant la période, mais un statu-quo s’est installé. C’est-à-dire que l’Algérie n’a enregistré aucun progrès, aucun changement notable, mais des rafistolages de la façade pour tromper les uns et faire croire aux autres que le pouvoir incarné par le président-candidat a mis l’Algérie sur les rails de sortie de crise. Ce qu’infirment ces chiffres.

•  Production animale ou élevage.

La croissance du PIB est celle de la production. Pour cela, j’ai choisi quelques branches de l’économie nationale en tant qu’indicateurs d’ensemble. Celle de la production animale peut donner la tendance d’ensemble, comme celle du pétrole brut, du gaz et de la réalisation des logements.

Entre 1999 et 2006, période pour laquelle, nous disposons de données statistiques, l’évolution de la production animale indique qu’il n’y a pas eu de croissance durant la période et les années, où il a été constaté une augmentation, elle est très faible. Entre 1999 et 2000, il a été enregistré une chute  de la production des ovins de l’ordre de 3,2%, des bovins de l’ordre de 17,3%, des caprins une chute de l’ordre de 11%. Celle la production, très minime d’ailleurs des camelines, a enregistré une progression de l’ordre de 6,4%.

La production ovine a connu aussi une chute en 2001 et en 2003. Les seules augmentations ont été enregistrées en l’an 2004, 2005 et 2006, où les taux de croissance étaient respectivement de 4,5%, 3,4% et 2,4%, taux très loin de la moyenne de 5%.

La production bovine a enregistré une décroissance en 2002 et en 2004. Les années 2001, 2003,2005 et 2006 ont enregistré des augmentations qui étaient, dans l’ordre de 18,3%, 1,3%, 3,4% et 5,2%.

La production des caprins a connu une augmentation de 3,4% en 2001, de 5,6% en 2002, de 0,5% en 2003, de 3,8% en 2004, de 4% en 2005 et enfin de 2,2% en 2006. ON est loin de la moyenne de 5%.

•  La réalisation de logements.

Entre 1999 et 2006, il a été réalisé 1,1251 millions de logements, avec des réalisations annuelles qui ont atteint le maximum en 2006, soit 177 800 logements. Même avec ce rythme, le chiffre avancé de 1,5 millions de logements ne sera pas atteint, car il fallait réaliser le reste, soit 529100 logements en deux ans, soit le double et plus que durant les années passées, ce qui est impossible.

4) Evolution de la production de pétrole brut.

Durant la période allant de 1999 à 2008, la production de pétrole brut a connu deux augmentations exceptionnelles de l’ordre de 29% en 2003 et 39% en 2004. En dehors de ces deux années, la production de pétrole brut a connu une hausse de 6,18% en 2000, de 3% en 2005, de 1,2% en 2006, de 0,2% en 2007, de 1,3% en 2008, une chute de 2,43% en 2001 et de 6% en 2002. Ces chiffres montrent qu’on est loin des chiffres donnés par le pouvoir qui aime falsifier les statistiques et les données.

5) Quelle est la quantité réelle de la production de pétrole brut ?

La recherche nous a fait tomber sur deux chiffres différents de production du pétrole brut algérien, issus de deux sources différentes. Comme l’écart statistique est important, se pose la question de la quantité réelle de la production réelle de pétrole brut. Le tableau ci-après nous donne un aperçu général de la production de pétrole brut en milliers de barils par jour, selon deux sources différentes, B.P et OPEP.

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Source BP

1515

1578

1562

1680

1852

1946

2014

2003

2000

Source OPEP

749,6

796

776,6

729,9

942,4

1311,4

1352

1368,8

1371,6

Différence

765,4

782

785,4

950,1

909,6

634,6

662

634,2

628,4

Ce tableau montre que la différence entre la source BP et la source OPEP est énorme. Il ne s’agit pas d’un simple écart statistique qui est admissible, mais de grandes différences allant du simple au double. D’où la question légitime : quelle la production réelle du pétrole brut en Algérie ? Qui tire profit de la production non déclarée à l’OPEP ? A défaut, d’où BP tire ses données. A ce stade, il n’y a pas de réponse, mais des hypothèses de recherche, et la plus probable est que la production non déclarée est vendue sur le marché spot, c’est-à-dire en dehors des clients traditionnels de Sonatrach. C’est un marché informel qui bénéficie aux hommes influents du pouvoir. Comme c’est une simple hypothèse, seule une commission d’enquête indépendante peut arriver à connaître l’énigme de cette différence et à qui elle profite.

Cette importante quantité de pétrole brut n’est pas comptabilisée, ni en dinars, ni en devises, ce qui réduit les recettes des exportations.

6) Production de gaz.

Entre 1999 et 2007, la production de gaz a connu une décroissance de l’ordre de 1,8% en 2000, de 7,4% en 2001, de 1% en 2004, de 4,2% en 2006 et de 1,8% en 2007. Seules les années 2002, 2003 et 2005 ont connu une augmentation de la production de gaz de l’ordre de 2,8%, 3% et 7,6% respectivement.

Ces taux sont très loin de ceux du pouvoir. Ils montrent que même l’économie des hydrocarbures (pétrole brut et gaz) a connu une récession et une grave crise, masquées par la hausse conjoncturelle du prix de baril sur les bourses de Londres et de New York.

7) Bradage du gaz algérien sur le marché international.

A cause des prix bas de vente de son gaz par rapport aux prix internationaux, ce qui constitue un bradage, un dumping et une concurrence déloyale sur le marché international, l’Algérie a perdu, entre 1999 et 2007, entre 24 et 28 milliards de dollars durant la période.

8) Destination des exportations des hydrocarbures .

L’analyse de la destination des exportations des hydrocarbures de l’Algérie montre la nouvelle force qui dicte la politique énergétique au pouvoir. En 1999, la part des USA était de 3,5% dans les exportations du pétrole brut. Le reste étant partagé entre le Canada, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Espagne.

En 2007, la part des USA a atteint 45,7% des exportations algériennes, ce qui les met en position de monopole et donc dictant leur volonté au pouvoir. La loi sur les hydrocarbures n’a été que la révélation de ce nouveau pouvoir invisible. Ce sont les sociétés américaines qui dictent leur volonté au pouvoir. L’Algérie a perdu sa souveraineté sur l’exploitation de ses ressources énergétiques.

9) Evolution des prix de quelques produits énergétiques.

En 2004, le pouvoir a augmenté les prix de quelques produits énergétiques de large consommation. Le prix de la bouteille de butane est passé de 157 dinars à 200 dinars, soit une hausse de 27%, celui de la bouteille de propane est passé de 278 dinars à 400 dinars, soit une hausse de 44%. Les autres produits énergétiques ont connu aussi une hausse, mais d’une importance moindre.

10) Evolution de la valeur du dinar.

Durant cette période, le dinar a été dévalué clandestinement en 99, en 2000, 2001, 2002,2005. Sa valeur a connu un léger redressement en 2003, 2004,2006 et 2007 et cela malgré l’augmentation des réserves de change.

Dans une véritable économie de marché, la monnaie nationale est soumise à la règle de l’offre et de la demande des devises. Sa valeur augmente, si l’offre est abondante, elle diminue si l’offre est rare.

L’analyse de l’évolution de la valeur du dinar par rapport au dollar prouve que l’Algérie n’a pas de réserves de change pour soutenir la valeur de sa monnaie, qui est très faible et source d’inflation importée.

La raison est que c’est le FMI qui dicte la politique monétaire et de crédit à suivre jusqu’à l’an 2023, suite à l’application des conditions de rééchelonnement. Le pouvoir a refusé de payer par anticipation les dettes algériennes vis-à-vis de cette nouvelle dictature qui lui a imposé de stériliser les réserves de change, comme le révèle le rapport de la Banque mondiale consacré aux finances publiques algériennes établi le 15 août 2007 qui a constaté le gaspillage de 115 milliards de dollars, consacrés à la relance économique.

Cette stérilisation des réserves de change coûte très cher à l’économie nationale du fait que ses ressources financières ne peuvent pas être affectées au développement du marché intérieur. Le pouvoir se tait sur ce gaspillage, car il a déjà stérilisé la société algérienne en réduisant le taux de croissance démographique à 1,2 %. L’Algérien et l’Algérienne repousse l’âge du mariage et nous avons à faire à une société de célibataires endurcis.

11) Où sont comptabilisés les avoirs en devises transformés en bons de Trésor US ?

L’analyse aussi bien de la balance de paiement de l’Algérie, ainsi que la situation de la Banque d’Algérie montre qu’il y a une opacité comptable qui ne permet pas de trouver les comptes où sont logés aussi bien les 40 milliards de dollars transformés en bons de Trésor Us ainsi que leurs revenus annuels.

On trouve dans la situation de la Banque d’Algérie une rubrique intitulée «  avoirs à l’étranger en devises » sans aucune autre précision. Ces avoirs ont augmenté de 4,8 milliards de dollars en 1999 à 56,6 milliards de dollars en 2005. Il n’y a aucune autre précision sur ces avoirs et en quelles monnaies et quel est leur statut. Sont-elles placées dans un compte courant ? En quelle monnaie ? Sont-elles placées en tant qu’investissement ? A moyen terme ? A court terme ? A long terme ? A quels taux ? Il n’y a aucune précision. C’est l’opacité la plus totale, comme c’est le cas de la production du pétrole brut.

12) Chômage et création d’emplois.

Durant la période allant de 1999 à 2007, pour laquelle nous disposons de données statistiques, la population active est passée de 8,583 millions à 10,514, soit une augmentation de 1,93 millions durant la période, ou en moyenne 240 000 par an. Selon ces données, créer 1, 93 millions d’emploi équivaut au plein emploi. Ce qui est faux. Créer 6 millions d’emplois, cela suppose que l’Algérie est devenue une importatrice de main-d’ouvre, de l’ordre de 4 millions, ce qui est faux.

Durant la même période, la population occupée est passée de 4,898 millions en 1999 à 6,771 millions en 2007. La différence donne un nombre de chômeurs qui serait de 3,685 millions en 1999, soit un taux de chômage de 43% et de 3,743 millions en 2007, soit un taux de chômage de 35,6%.

Mais pour falsifier la réalité, le pouvoir comptabilise les emplois temporaires, le travail à domicile s’il existe, les appelés du service national, les apprentis de la formation professionnelle, et les autres emplois payés en deçà du SNMG, comme le filet social, ESIL (Emploi Salarié d’Initiative Locale), TUP-HIMO (Travaux d’utilité publique à haute Intensité de Main-d’ouvre), AIG (Activité d’Intérêt Général, CPE (contrat de pré-emploi), etc.

Cette méthode de falsification des statistiques et des données sur le chômage n’a pas convaincu ni le FMI, ni la Banque mondiale. C’est une méthode qui fausse la réalité des faits.

Toutes ces données et d’autres non abordées dans cette étude montrent qu l’Algérie est restée plongée dans une grave crise économique, politique et sociale. Dix ans de règne sont dix ans de retard en plus, dix ans de perdu sans résultats palpables, sauf le mensonge grossier.

La fraude électorale.

Je terminerais cette brève étude pour apporter la preuve de la fraude électorale et de la falsification des résultats, à travers l’étude de la constitution, du code électoral et de la pratique du pouvoir.

Selon l’article l’aliéna 2 de l’article 163 de la constitution, le conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum, à l’élection du président de la république et des élections législatives. Il proclame les résultats.

Cette disposition constitutionnelle a trouvé une application dans le code électoral à travers les articles 116, 117, 165,166, 167 et 171 qui donnent le pouvoir au conseil constitutionnel de recevoir les procès-verbaux des résultats de vote. Il proclame les résultats et reçoit les recours.

Dans la réalité des faits et l’expérience passée est là pour le prouver, le pouvoir du conseil constitutionnel a été usurpé par le ministre de l’intérieur qui proclame les résultats et le conseil constitutionnel les valide.

Là se pose la question : qui envoie les procès-verbaux des résultats des élections de la commission électorale de la wilaya au ministre de l’intérieur ? La loi oblige ces commissions composées de juges désignés par le ministre de la justice d’envoyer leurs procès-verbaux au conseil constitutionnel et non ailleurs. Ces commissions électorales de wilaya existent-elles dans la pratique ? Autant de questions sans réponse.

Mieux encore, le code électoral ne prévoit pas la création de commission de préparation des élections que préside le chef du gouvernement, devenu par un trait de plume premier ministre. A quoi sert-elle ? A qui elle rend compte ?

Ce qui est valable pour cette commission non prévue par la loi l’est aussi pour la commission politique de surveillance des élections. Elle n’a aucune existence légale et ne sert qu’à masquer la fraude, comme l’usurpation du pouvoir du conseil constitutionnel par le ministre de l’intérieur.

D’autres méthodes de fraude sont aussi comptabilisées. Il s’agit de la durée des scrutins à l’étranger et pour les bureaux de vote ambulants, où la durée du scrutin dépasse la durée légale qui est d’un seul jour.

Les articles 33 et 34 de la loi électorale sont clairs. Ils accordent le pouvoir aux walis, après autorisation du ministre de l’intérieur d’avancer et/ ou retarder les heures d’ouverture et/ou de fermeture des bureaux de vote. De même que le ministre de l’intérieur peut autoriser les walis, à leur demande d’avancer de 72 heures la date d’ouverture du scrutin. Cette avance ne veut pas dire allonger la durée du scrutin qui doit être d’un seul jour.

De même pour le vote à l’étranger, où le ministre des affaires étrangères peut autoriser les consuls et les ambassadeurs, à leur demande toujours, d’avancer la date du scrutin de 120 heures ? Ce qui ne veut pas dire prolonger la durée du scrutin qui doit d’être d’un seul jour. La réalité des faits montre que le pouvoir viole la loi et allonge la durée du scrutin aussi bien pour les bureaux de vote ambulants que pour le vote à l’étranger.

Comme le pouvoir falsifie les données économiques et sociales, il falsifie les résultats des élections qui ne le sont plus.

Maâmar Boudersa

Le 08 avril 2009