Téhéran cherche l’appui d’Alger

Le secrétaire général du Conseil national iranien pour la sécurité en Algérie

Téhéran cherche l’appui d’Alger

Le Quotidien d’Oran, 15 février 2005

Dès l’arrivée hier à l’aéroport international d’Alger du secrétaire général du Conseil national iranien pour la sécurité, le chef de la diplomatie algérienne a quelque peu balisé le cadre des discussions qu’il compte mener avec lui en soulignant l’importance des questions à l’ordre du jour notamment celles liées à la sécurité.

C’est aujourd’hui que Hodjat El Islam Hassan Rouhani entame des discussions avec le chef de la diplomatie algérienne, Abdelaziz Belkhadem, et sera certainement reçu dans la même journée par le président de la République. Il aura aussi des entretiens avec les présidents des chambres basse et haute. A son arrivée hier à l’aéroport d’Alger, le secrétaire général du Conseil national iranien pour la sécurité a déclaré que «l’Algérie est un pays ami avec lequel l’Iran entretient des relations qui ont beaucoup progressé ces dernières années». Il a surtout affirmé que son séjour à Alger lui permet de s’entretenir et d’échanger des points de vue avec les plus hautes autorités algériennes sur des questions importantes. Belkhadem a tenu à clarifier davantage le contenu des consultations prévues en évoquant notamment celles liées à la sécurité.

L’arrivée à Alger de cette importante personnalité dans l’édifice politique de la République islamique d’Iran dans une conjoncture aussi particulière n’a rien de fortuit. La diplomatie l’enveloppe en tout cas du label de «grande importance». D’abord, il est utile de noter que la visite de Hodjat El Islam Hassan Rouhani, la première du genre, intervient alors que les relations entre les deux pays amorcent un réchauffement remarquable après un gel qui a duré près de dix ans. En 1993, l’Algérie avait, en effet, accusé l’Iran d’être derrière la montée chez elle du terrorisme islamiste. L’arrivée de Bouteflika à la présidence de la République y a remédié surtout après sa rencontre à New York en 2002 avec Mohammad Khatami qui a provoqué le déclic de leur reprise. La visite d’Etat entreprise par le Président en Iran en octobre 2003, celle en 2004 à Alger de Khatami ainsi que celle du ministre iranien des Affaires étrangères, ont consacré à ces relations bilatérales un renforcement notable qu’a appuyé la signature conjointe de cinq accords de coopération dans le secteur de la justice, des finances, de l’industrie et du transport aérien.

Téhéran envoie, aujourd’hui, un émissaire de premier rang à Alger alors que ses relations avec le reste du monde s’embrouillent dangereusement. Les Etats-Unis de Bush veulent faire de l’Iran le pays à abattre après l’avoir accusé de produire du nucléaire militaire. L’Union européenne se met de la partie et préfère l’inviter, pour sa part, à la table des négociations pour l’amener à se départir de son projet de construction d’un réacteur de recherche à eau lourde. Rien n’y fait même si l’UE a tenté de le «soudoyer» en lui proposant ce que les analystes qualifient de «forte contrepartie», à savoir un réacteur à eau légère qu’elle promet de lui fournir. Avec en sus, son exigence à l’Iran de prouver la nature purement civile de ses activités nucléaires. C’est par la voix de son ministre des Affaires étrangères que Téhéran a exprimé son rejet d’un tel troc. L’Iran a déclaré se donner quelques mois, «le temps de conclure ses négociations sur un programme de coopération avec les Européens», pour reprendre ses activités d’enrichissement d’uranium. Les Allemands s’en mêlent aussi pour laisser dire par leur chef de la diplomatie que «si l’Iran se comporte de manière déraisonnable, si par exemple il reprend l’enrichissement, cela conduira au Conseil de sécurité de l’ONU». Pendant ce temps, l’Amérique de Bush persiste et signe. Elle est persuadée que l’Iran dissimule un programme nucléaire militaire.

L’Algérie a elle aussi eu sa partie de pression de la part des Occidentaux qui lui avaient reproché, l’année dernière, de posséder un réacteur inclus dans un programme nucléaire de type militaire. A cette période, même le Maroc s’est senti obligé d’étaler ses inquiétudes à ce sujet. «Le Maroc suit avec attention et par souci de précaution les promesses algériennes d’autoriser la multiplication des inspections de son programme nucléaire», avait déclaré en décembre dernier à la MAP (Maroc Agence Presse) une source marocaine qui avait tenu à garder l’anonymat. «Le programme nucléaire algérien suscite l’inquiétude pour la stabilité de la région», avait-elle précisé. Au regard de ces événements, il faut croire que l’Algérie et l’Iran vivent une même époque en matière de pressions des puissants de ce monde. A la différence, faut-il le noter, que pour les transcender, l’Algérie s’est prémunie de la normalité exigée sous couvert d’une légalité absolue en matière de programmes nucléaires. Elle a signé en 1995 le traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Elle s’est engagée ensuite à signer le protocole additionnel du traité de non-prolifération nucléaire. Belkhadem a pris cet engagement l’année dernière devant le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Il l’a réitéré lors de la visite, la même année, à Alger de la troïka du G8.

Chargé de la sécurité, le responsable iranien est certainement aujourd’hui à Alger, pour s’imprégner de la démarche algérienne et pourquoi pas de s’appuyer quelque peu sur elle pour expliquer sa bonne foi en matière de nucléaire.

Ceci étant dit, il reste persuadé qu’il n’a rien à perdre en persistant à vouloir ignorer les pressions américaines. Il s’est rendu compte tout autant que tout le monde que l’Amérique de Bush s’enlise quotidiennement dans une crise sans précédent en Irak de laquelle elle se cherche une sortie plus ou moins honorable. Elle n’a nullement besoin de s’embrouiller militairement avec l’Iran. De surcroît, un pays dont la capacité nucléaire ne doit pas être négligeable.

Ghania Oukazi