Inertie chronique au sommet

INERTIE CHRONIQUE AU SOMMET

Nuage d’été ou réelle crise politique ?

Le Soir d’Algérie, 21 juillet 2005

Quinze mois après la reconduction de Abdelaziz Bouteflika à la tête du pays, l’État algérien est comme frappé d’une paralysie chronique. Ravagé par les luttes de clans, le pouvoir sombre dans une interminable quête d’équilibrisme avec son lot de querelles et de règlements de comptes.
Kamel Amarni Alger (Le Soir) – Des signes extérieurs qui ne trompent pas : un gouvernement «incomplet», une «alliance présidentielle» dont la seule activité publique se réduit à des polémiques et des querelles, des institutions vacantes, des projets sans cesse ajournés, des scandales et des affaires de corruption qui empoisonnent la vie publique, un gigantesque programme quinquennal de soutien à la relance économique de 55 milliards de dollars qui n’est toujours pas entamé faute… de projets ! Bref, Bouteflika n’a pas encore commencé son second mandat !
La «vacance» : nouvelle forme de gouvernance
L’Algérie est-elle en pleine crise politique ? En tout cas, dans un pays en situation ordinaire, rien ne peut expliquer le fait de laisser vacantes d’importantes institutions pendant plusieurs mois. Le cas Bedjaoui est à ce titre assez révélateur. Précédemment président du Conseil constitutionnel, Mohamed Bedjaoui, éminent juriste à la renommée mondiale et très proche de Abdelaziz Bouteflika, devient, à la faveur du dernier remaniement ministériel de début mai 2005, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères en remplacement de Abdelaziz Belkhadem. Or, si le Conseil constitutionnel est laissé, depuis lors, sans président, la fonction de ministre des Affaires étrangères est toujours, elle, exercée « réellement » par Abdelaziz Belkhadem ! Deux questions s’imposent dès lors : pourquoi avoir changé de titulaire au ministère des Affaires étrangères ? Qu’est-ce qui motive le fait de ne pas doter une institution aussi névralgique que le Conseil constitutionnel d’un président ? Un cas qui n’est pas isolé en plus. «L’allergie» de Bouteflika à la presse peut-elle à elle seule expliquer le même phénomène qui frappe le ministère de la Communication ? Ça serait un raccourci de facilité d’autant qu’un autre portefeuille, à savoir le ministère délégué à la Communauté algérienne à l’étranger, est lui aussi sans titulaire. Ainsi que la fonction de wali de Blida…
Des «affaires» en série mais sans lendemain
L’affaire dite Bourricha, du nom de l’ex-wali de Blida, intrigue l’opinion publique, tétanise les institutions et plonge les fonctionnaires dans la terreur. Et pour cause ! Ex-animateur des comités de soutien au «candidat du consensus» aux présidentielles de 1999, cet ami d’enfance à Abdelaziz Bouteflika était tout-puissant wali de Blida où les partisans d’un «second mandat» agissaient particulièrement en terrain conquis lors de la grande bataille électoraliste de 2003- 2004. Comme son homologue de Tipasa sous Chadli, cet ex-wali était «intouchable». Jusqu’à ce printemps 2005 lorsque, du jour au lendemain, il se retrouve emporté par un déluge «d’affaires». De scandale en scandale, l’affaire Bourricha prend, en un temps record, des proportions importantes avec un véritable «défilé » d’accusés de «haut rang tous notoirement réputés proches de Bouteflika. Mais si Bourricha est limogé, son fils est mis sous mandat de dépôt, l’affaire, elle, est «tue» aussi vite qu’elle a été « déclenchée ». Même topo s’agissant de «l’affaire Hadji», richissime homme d’affaires. Mis sous mandat de dépôt, avec, comme dans le cas de l’affaire précédente, un autre groupe de personnalités proches de Bouteflika «impliquées», le scandale rejoint le registre de «l’anonymat». A bien des égards, ces deux «affaires» rappellent le scandale Khalifa. Une «affaire» n’ayant servi qu’à quelques règlements de comptes ou de moyen de pression politique mais jamais traitée jusqu’au bout.
Ouyahia assume, Belkhadem s’en plaint…
Ces affaires-là, sont-elles un moyen de pression d’un clan sur un autre au pouvoir ? Il y a lieu d’y conclure lorsque deux hauts responsables divergent fondamentalement sur la chose. Chef du gouvernement et patron du Rassemblement national démocratique, Ahmed Ouyahia fait carrément sienne cette «campagne de moralisation de la vie publique». Lors de son passage à l’APN fin mai dernier, le chef du gouvernement affirmait que «si l’Etat algérien était, par le passé, absorbé par la lutte antiterroriste, il est décidé à combattre fermement la corruption». Ministre d’Etat, représentant personnel du président de la République, Abdelaziz Belkhadem, un très proche de Bouteflika, et , par ailleurs, secrétaire général du Front de libération nationale, surprenait, lui, par son hostilité à ce qu’il a qualifié «de campagne mains propres qui vise le FLN» ! «Que ceux qui croient pouvoir affaiblir le FLN et qui se sont lancés déjà dans la campagne électorale sachent que nous ne nous laisserons pas faire et que le FLN prouvera, en 2007, qu’il reste la première force politique du pays», dira en substance Belkhadem lors de ses fréquentes sorties publiques. «Le FLN, soutient Belkhadem, est contre la politique des règlements de comptes mais est plutôt pour l’application des lois». Propos auxquels Ahmed Ouyahia répondra ironiquement à travers la même tribune de l’APN. «Je ne comprends pas que certains frères, responsables de surcroît, puissent être contre l’application de la loi» !
La Constitution, suprême enjeu
En l’absence de vie politique normale avec, notamment, les restrictions imposées à l’opposition et aux médias depuis le 8 avril 2004, il reste difficile de trouver des matériaux fiables d’analyse d’une situation politique opaque et confuse. N’empêche que bien des observateurs sont unanimes quant à lier l’inertie ambiante aux profondes divergences au sommet de l’Etat sur l’opportunité d’une révision de la Constitution. Souhaitée par Bouteflika pour s’assurer un surcroît de prérogatives mais surtout un troisième mandat qu’empêche l’actuelle Constitution, cette révision ne semble pas «agréer» les autres décideurs. S’il se confirme de jour en jour que le projet «d’amnistie générale» de Bouteflika est abandonné faute de consensus au sommet, il n’est pas fortuit que Belkhadem défende, seul, «la nécessité d’une révision constitutionnelle pour une meilleure clarification de la nature du régime». Ceci tandis qu’Ouyahia par exemple, à travers des proches à lui au RND, soutient lui que «la révision constitutionnelle n’est pas à l’ordre du jour». Voire même … inopportune. K. A.