Abdelaziz Ziari : «On ne peut pas continuer dans cette voie»

Abdelaziz Ziari : «On ne peut pas continuer dans cette voie»

El Watan, 10 février 2014

Pour l’ancien président de l’APN, Abdelaziz Ziari, ce qui se passe est trop grave et menace la stabilité du pays. Il estime qu’il ne faut pas laisser Bouteflika entre les mains de la mafia politico-financière.

– Le secrétaire général du FLN vient de faire des déclarations incendiaires contre le général de corps d’armée Mohamed Médiène, dit Toufik. Qu’en pensez-vous ?

Je me suis autorisé à intervenir parce que j’estime que ce qui ce passe est excessivement grave et dangereux pour la stabilité du pays. Parce qu’on parle beaucoup de stabilité, je souhaite, effectivement, qu’on retrouve la raison et qu’on arrête ce carnage entre guillemets contre les institutions de la République. On ne peut pas continuer sur cette voie qui porte atteinte à l’Algérie et à ses institutions. On en a assez des manœuvres de basse politique qui peuvent encore une fois mettre le pays dans des situations de danger. J’en parle parce que j’ai vécu la période 1991-92 en tant que membre du gouvernement qui a arrêté les élections législatives. J’ai eu l’occasion de vivre la période qui a précédé avec toutes les manœuvres politiciennes et les activités de la mafia politico-financière qui avaient ouvert le chemin à la décennie rouge. Une période qui a été le résultat de la collusion entre l’argent sale et la politique. On est dans le même cas de figure. Un groupe composé de détenteurs de l’argent ayant des liens avec les milieux politiques manœuvre actuellement pour défendre ses intérêts matériels. Il considère naturellement que les services de sécurité, à leur tête le général Toufik, sont un obstacle, un mur qu’il veut détruire pour faire main basse totale sur l’appareil de l’Etat. Ces agressions contre le DRS et son chef sont le fait d’une mafia politico-financière qui craint pour l’avenir et fait feu de tout bois. Voilà la réalité. Les déclarations de Saadani, il faut les situer dans ce contexte. Ce qui nous fait mal est que cela soit fait au nom du FLN, qui est loin de toutes ces pratiques, son histoire en témoigne. Même à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la mafia politico-financière qui existait à l’époque n’avait aucune relation avec le parti. On a réussi à la vaincre.

– A quelques semaines de son déroulement, l’élection présidentielle est-elle un enjeu et une voie royale pour la mafia politico-financière que vous évoquez ?

C’est une voie pour leur permettre, lorsqu’ils auront éliminé les obstacles que représentent les responsables propres et probes – qui sont nombreux et dont fait partie le général Toufik – de faire main basse sur le pays. L’ancien ministre de la Justice, M. Charfi, vient de faire une déclaration sur l’intervention de Saadani auprès de lui pour camoufler ou innocenter tel ou tel responsable. A ce niveau-là, c’est absolument symptomatique de la démonstration de ce que je dis. Nous sommes conscients de cette réalité. C’est ce qui a poussé plusieurs responsables, au sein de l’Etat et du parti, à refuser de prendre part à la réunion d’août dernier à l’hôtel El Aurassi qui a vu la désignation, dans les conditions que vous savez, du secrétaire général du FLN. C’est ce qui nous laisse également, aujourd’hui, à aller vers une réunion du comité central pour élire un secrétaire général du FLN à bulletins secrets.

– Avant de passer à cette histoire du FLN, attardons-nous sur l’élection présidentielle qui est à nos portes. Ces gens que vous qualifiez de mafia politico-financière demandent avec insistance un quatrième mandat du président Bouteflika, qui leur permettra de rester au pouvoir. Ne pensez-vous pas que c’est là que réside le danger qu’encourt le pays ?

Non, je crois justement qu’il ne faut pas tomber dans ce piège. Parce que ce qui se passe aujourd’hui, ce n’est pas un désaccord sur le quatrième mandat du président de la République si celui-ci décidait d’y aller. Seulement, je crois que tout le monde qui est d’accord sur la nécessité que le président de la République s’exprime lui-même. Personne n’a le droit de s’exprimer en son nom. C’est lui le candidat et c’est lui qui est mieux placé que tout le monde pour savoir s’il veut ou s’il peut assumer ce quatrième mandat. Je crois que ce quatrième mandat est le voile derrière lequel se cachent des intérêts occultes qui, aujourd’hui, en prennent prétexte pour pouvoir, à l’avenir, faire main basse sur l’Algérie. C’est le comportement d’un groupe déterminé qui se cache derrière le quatrième mandat, profitant de la situation et du fait que le président de la République a été malade, qu’il a été absent pendant un certain nombre de mois.

Voilà comment nous percevons la situation et pourquoi nous devons réagir. On ne veut pas que ces calculs de basse politique aient des retentissements sur la stabilité du pays, sur la stabilité des institutions qui défendent la République. Ces manœuvres doivent être combattues et stoppées dans l’intérêt du pays d’abord. Le reste – le changement du secrétaire général du FLN – devient à la limite connexe, secondaire à ce qui est pour nous l’élément principal : sauvegarder la stabilité du pays et des institutions. Cette manœuvre de bas étage me semble porteuse de danger pour la sécurité nationale. Ce sont les ennemis de l’Algérie qui en profitent, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur.

– Le problème est que tout cela est lié à l’élection présidentielle…

Le choix du moment a obligé les uns et les autres à mettre bas les masques. C’est l’avantage d’ailleurs de cette circonstance. Parfois les masques tombent. On peut se voiler, on peut se cacher jusqu’à une conjoncture comme celle-là, qui dévoile les gens. La situation doit être rapidement éclaircie parce que nous sommes à la veille d’une échéance extrêmement importante. C’est une élection présidentielle qui déterminera l’avenir d’un pays pour cinq ans. Les choses sont à présent claires. Vous avez d’un côté un courant nationaliste, patriotique, et Mme Louisa Hanoune (dont je ne partage les idées politiques mais pour laquelle j’ai un grand respect) l’a bien affirmé et ce qu’elle a dit est extrêmement juste. Vous avez donc ce courant nationaliste et patriotique qui voit d’abord les intérêts du pays et l’avenir des enfants de ce pays et, de l’autre, la mafia politico-financière dont l’intérêt est de conserver le plus longtemps possible des attributs et la prébende dont elle dispose dans un système politique.

– Le silence du Président ne contribue-t-il pas, en ce moment, au pourrissement de la situation ?

Oui, évidemment. Le DRS et son patron, comme l’histoire l’a montré, sont des éléments de stabilité qui défendent la République ; c’est la colonne vertébrale de ce courant nationaliste et patriotique. Ce n’est un secret pour personne. Tout le monde, tous les Algériens souhaitent que le président Bouteflika intervienne pour remettre de l’ordre dans cette cacophonie. N’oubliez pas que le Président est ministre de la Défense nationale. C’est un militant du FLN comme nous et aussi son président d’honneur.

– Et s’il continuait à se taire ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas devin. L’expérience du passé me dit qu’il ne faut pas laisser ce genre de situation pourrir. Nous avons connu des événements comme cela et ça a tourné à la tragédie. Je citerais comme exemple la déclaration de Abdelhamid Brahimi sur les «26 milliards», qui avait mis le feu aux poudres alors qu’il n’y avait aucun élément probant.

– Est-ce la mafia politico-financière qui a désigné Amar Saadani à la tête du FLN ?

Nous avons observé que la mafia politico-financière a manœuvré par tous les moyens pour atteindre des niveaux et des postes vitaux au sein de l’Etat et dans le parti. A présent, elle a des éléments qui sont des structures de décision du FLN, et ce, malgré leur insignifiant parcours au sein du parti.

– Qu’est-ce qui empêche les militants du parti, dont vous-même, à se réapproprier le FLN et ce, depuis août 2013 ?

Nous avons effectivement mobilisé près des trois quarts des membres du comité central, qui ont demandé la réunion d’urgence d’une session du CC pour pouvoir étudier le problème qui se pose dans notre parti et sortir avec une direction qui unisse les militants, qui défende les positions traditionnelles du FLN, un parti qui a une histoire et une identité, un programme et des valeurs. Nous avons demandé officiellement une réunion du comité central sur la base de ces signatures. Nous attendons l’autorisation pour mettre un terme à ce désordre.

– Quand avez-vous déposé la demande ?

M. Belayat l’a fait à la fin de la semaine dernière. Depuis ce début de semaine court le délai pour avoir la réponse. En nous assurant bien entendu de la qualité des signatures, de la réalité des signatures. Un travail sérieux et organisé a été fait. Nous utilisons les moyens que nous offre la loi. Il y a d’autres moyens, mais nous refusons d’aller dans cette voie. Vous avez bien vu que les mouhafadhas bouillonnent, que la base du parti est prête à éclater. Nous ne souhaitons pas, nous qui avons exercé des responsabilités dans l’appareil de l’Etat, à créer un désordre à l’ordre public. Nous ne souhaitons pas que ces magouilles politiciennes aboutissent à un désordre public. C’est pour cela que nous disons arrêtons ce jeu malsain et les déclarations irresponsables des membres de la direction politique du parti. Il n’y a aucune raison, même s’ils le pensent, d’aller exposer cela dans la presse. C’est effectivement chercher à créer des désordres sérieux. C’est une incitation au désordre dans le pays. Ce sont des signaux que l’on donne à des puissances étrangères auxquelles, à la limite, on facilite le travail contre l’une de nos institutions la plus efficace et la plus utile pour la défense du pays.

– Amar Saadani a dit : «S’il m’arrive un malheur c’est le général Toufik»…

C’est un non-sens. Il n’y a pas un responsable politique au monde, quelles que soient les circonstances, qui puisse dire des choses pareilles sur le responsable des services de renseignement. Même les opposants ne le disent pas. L’ennemi ne peut le dire. Ce sont des déclarations irresponsables qui expriment en réalité l’incompétence et la non-qualification politique de cette personne. Il est anormal et impensable que le FLN ait à sa tête quelqu’un qui a un tel comportement.

– Est-ce que la mafia politico-financière n’existe qu’au FLN ?

Non. Mais c’est la première fois qu’elle a trouvé la voie libre au sein du parti. C’est le parti de la majorité et si elle a pu s’y introduire, on peut dire qu’elle a relativement réussi à atteindre un de ses objectifs.

– Puisque c’est cette mafia politico-financière qui traduit la volonté d’un quatrième mandat, allez-vous adhérer à cet appel ?

Je crois qu’il ne faut pas faire l’amalgame. Le quatrième mandat n’est pas l’incarnation de ce groupe. Je pense que le quatrième mandat est une couverture. Au-delà du quatrième mandat, je pense que cette mafia n’a pas trouvé de chef de file crédible à soutenir. Voilà la raison pour laquelle elle se réfugie derrière le quatrième mandat. Parce que le quatrième mandat, il n’y a pas que ceux la qui le souhaite, il y a des partis, il y a le FLN, je me suis exprimé moi-même la dessus. Si le chef de l’Etat souhaite et surtout se sent en mesure d’accomplir ce quatrième mandat, il est évident qu’il trouvera tout le soutien nécessaire. Nous ne voulons pas le laisser aux mains de cette mafia politico-financière. Les attaques contre le général Toufik visent à déstabiliser le président de la République. Ils savent très bien que le général Toufik est un os très difficile à avaler. Ils ne peuvent atteindre le Président tant que le général Toufik est là. C’est pour cela que cela devient un obstacle pour les ambitions de ce groupe. Je dis basta.

– Mais Saadani est un proche du Président…

Beaucoup de gens peuvent dire qu’ils font partie de ses proches. Mais le système politique est complexe. Il y a des intérêts qui se cachent derrière le Président. Il y a aussi des responsables propres, intègres et nationalistes. Il ne faut pas laisser le chef de l’Etat entre les mains de ce groupe.

– Comment expliquez-vous que le ministère de la Défense nationale n’ait pas encore réagi aux déclarations de Saadani ?

Je ne peux pas vous répondre. Comment j’explique les choses : si on suit cette logique, ça va devenir une question entre l’institution militaire et le FLN, puisque Saadani a parlé au nom du parti, et les deux, c’est le chef de l’Etat qui les préside : il est ministre de la Défense et président d’honneur du FLN. C’est une situation qui n’est pas naturelle. Pour ne pas compliquer les choses, je préfère ne pas aborder ce sujet. C’est la seule lecture qu’il faut faire, sinon ça va devenir un scandale politique.

Said Rabia