«Les principaux groupes prétoriens s’entredéchirent à l’ombre du 4e mandat»

«Les principaux groupes prétoriens s’entredéchirent à l’ombre du 4e mandat»

El Watan 2014, 7 février 2014

Le casus belli n’oppose pas le DRS et Abdelaziz Bouteflika mais deux groupes prétoriens entre eux, le « clan présidentiel » se rangeant avec le vainqueur. Objectif : le partage du pouvoir en vue de l’après-Bouteflika.

La lecture consacrée par la presse algérienne au sujet de la charge virulente portée par le secrétaire général Amar Saadani contre le patron du DRS, le général des corps d’armée Mohamed-Lamine Mediene ne résiste pas, de mon point de vue, à l’examen des faits.

Cette narration prétend d’abord que le DRS est « opposé à un quatrième mandat ». Dans ce récit, la violente attaque de Saadani est décrite tantôt comme l’expression de la « panique » du « clan Bouteflika », tantôt comme une manœuvre de « division et de déstabilisation » des appareils de l’Armée actionnée en vue d’assurer le « quatrième mandat ». Si le DRS est réellement contre le projet de « quatrième mandat », ni le RND, ni l’UGTA, deux appareils bien contrôlés, s’il en est, par la police politique, n’auraient apporté leur soutien catégorique au « quatrième mandat ». Ces deux appareils ont appelé, au même titre que le protégé du DRS, le Premier ministre Sellal, au quatrième mandat -peu après que Benflis ait officialisé sa candidature à la Présidentielle. Dans le langage codé du régime algérien, le positionnement de l’UGTA et du RND ainsi que celui du Premier ministre indique l’orientation de la police politique.

Timing

Le timing de l’attaque portée par Saadani contre le patron du DRS est très intéressant : il intervient après que le très influente police politique ait donné à ces deux principaux appareils le feu vert pour lancer la campagne du quatrième mandat. La question qui surgit à présent est la suivante : pourquoi Bouteflika irait porter, par Saadani interposé, une attaque frontale sans précédent dans les annales du sérail, contre le puissant patron du DRS alors que ce dernier vient tout juste de manifester, par l’intermédiaire du Premier ministre, de l’UGTA et du RND, son soutien au quatrième mandat ? Pourquoi prendrait-il ce risque sachant pertinemment que c’est la police politique qui fait et défait les élections dans le système autoritaire algérien ? Pourquoi Bouteflika, soutenu par le DRS depuis sa cooptation en 1999, ne l’a-t-il pas fait en 15 ans de règne et le ferait-il aujourd’hui qu’il est manifestement trop affaibli par les séquelles de son dernier AVC ? Bouteflika avait tenté, au début de son deuxième mandat, de prendre le contrôle sur le redoutable DRS à travers le fameux projet de création d’un « ministère de la sécurité ».

Prétendue « omnipotence du clan présidentiel »

Il n’y est pas parvenu, en dépit du soutien de certains prétoriens. Pis, l’entreprise présidentielle visant à asseoir le leadership de Bouteflika sur le collège des prétoriens a été décapité avec la chute, en mai 2010, de ses deux tours stratégiques, Zerhouni au Ministère de l’Intérieur, et Khelil au Ministère de l’Energie. Peut-il le faire maintenant qu’il est, non seulement neutralisé politiquement, mais impotent physiquement ? Sans l’exclure, l’explication consacrée ne me paraît pas très convaincante. Le piège qui guette l’analyse consiste à déduire du quatrième mandat une prétendue « omnipotence du clan présidentiel ». Le même raccourci avait été commis dans l’appréciation du troisième mandat. Il faut se rendre à l’évidence : la condition de possibilité qui préside à la reconduction de Bouteflika est bel et bien la prévalence du collège des prétoriens.

Relais médiatiques du DRS

Pour quel autre patron roule alors le client Saadani – qui a défendu avec zèle le projet de révision constitutionnelle avant la Présidentielle alors même que Bouteflika est opposé à l’idée de l’élection d’un président et d’un vice-président ? La réponse à cette question réside dans les appels incessants lancés par les relais médiatiques du DRS au chef d’état-major pressant ce dernier à condamner le secrétaire général du FLN. Il est intéressant d’observer que quatre jours après la violente charge de Saadani, le chef d’état-major, habituellement si prompt à dénoncer les critiques adressées à l’Armée, ne dépose pas plainte contre l’auteur du violent réquisitoire prononcé contre le général des corps d’armée Mediene.

Troisième acteur

Nous sommes manifestement en présence d’un troisième acteur. Le casus belli opposerait moins le président -impotent- au DRS que deux groupes prétoriens entre eux, le « clan présidentiel » se rangeant avec le vainqueur. N’étant manifestement pas parvenus depuis avril dernier à dégager un « consensus » post-Bouteflika, les principaux groupes prétoriens s’entredéchirent à l’ombre du quatrième mandat. Si les prétoriens étaient parvenus dans le passé à dégager des « consensus » sur le partage du pouvoir comme en 1965, en 1979, en 1992 et en 1999, ceux d’aujourd’hui ne semblent pas en mesure de le faire.

Apprentis sorciers

L’enjeu réel de cette « nouvelle guerre de clans » n’est pas la prétendue instauration d’un « Etat civil » en lieu et place d’un « Etat-DRS », pas davantage « l’argent sale » contre le « rempart de l’Etat national», mais davantage plutôt le partage du pouvoir entre prétoriens en vue de l’après-Bouteflika. Des « 3 B » à nos jours, l’histoire du système politique algérien est émaillé d’affrontements et de règlements de comptes, souvent sanglants, entre prétoriens. La dernière remonte à avril 2001 quand une coalition de prétoriens avait déjà demandé le « départ » de Toufik, avec les dégâts collatéraux que l’on connait. Alors que des apprentis sorciers enfoncent le Mzab millénaire dans la spirale de la violence intercommunautaire, l’affrontement qui déchire le collège prétorien aujourd’hui met à nu le niveau de délitement institutionnel de l’Etat. Ce nouvel épisode de la « guerre des clans », expression terminale du processus prétorien imposé dès avant l’indépendance, se joue alors que la société, gangrenée par la violence et la corruption, accuse un lourd déficit de capital social -sans lequel il est difficile de construire des alternatives viables.

Mohammed Hachemaoui
Politologue et auteur de Clientélisme et patronage dans l’Algérie contemporaine, Paris, Karthala, collection Iremam (Institut d’études et de recherches sur le monde musulman).