Vérité et justice : Les victimes élaborent leur contre-charte

Vérité et justice : Les victimes élaborent leur contre-charte

El Watan, 24 septembre 2010

Cinq ans après l’adoption par voie référendaire de la charte pour la paix et la réconciliation nationale le 29 septembre 2005, une coalition de cinq ONG algériennes commémore à leur manière, l’anniversaire : l’élaboration d’une contre-charte écrite par les victimes des violences, qui sera adoptée lors d’un vote symbolique demain 25 décembre devant l’ambassade d’Algérie à Paris à 15h.

Le document daté du 22 septembre, mis en ligne en intégralité sur elwatan.com, intitulé «Projet de charte pour la vérité, la paix et la justice», a été cosigné par le Comité des familles de disparus en Algérie (CFDA), SOS Disparus, Djazaïrouna et Somoud, ONG fédérées en «Coalition d’associations de victimes de terrorisme et de disparitions forcées». «Ce projet n’existe que cinq années plus tard parce qu’on attendait que l’Etat clôture les dispositions de sa charte pourtant limitées dans le temps, indique Nassera Dutour, présidente du CFDA, nous voulions savoir jusqu’où l’Etat était capable d’aller en prolongeant sans cesse ces dispositions.»

Dans le préambule de ce document, les rédacteurs rappellent que «la charte dite pour la paix et la réconciliation nationale de 2005 ne peut être considérée comme le texte fondateur d’une paix solide et d’une réconciliation saine et durable. La persistance de la violence, ces dernières années, montre que la charte de 2005 n’a pas atteint le but affiché par ses promoteurs. Il n’en pouvait être autrement avec un texte qui prône l’oubli et consacre l’impunité, s’inscrivant ainsi dans la tradition du régime de déni de l’histoire et de la mémoire, et de mépris des attentes et des besoins du peuple algérien en général et des victimes en particulier».

Un bilan public de la charte

Les ONG réfutent la thèse de la «tragédie nationale» instituée par la charte de 2005 qui dilue les responsabilités des violences, préparant ainsi l’impunité. «Le peuple algérien rappelle que l’Etat a le devoir de protéger ses citoyennes et citoyens et toute personne présente sur son territoire. Il estime nécessaire d’établir la responsabilité pénale des commanditaires, des instigateurs et des auteurs des violations graves des droits de l’homme quel que soit leur statut. Par ailleurs, le peuple algérien reconnaît la responsabilité de l’Etat pour les agissements de ceux de ses agents qui ont gravement violé les droits de l’homme», lit-on encore dans le préambule. Pour défaire les mécanismes d’impunité et de déni de justice et de vérité, le texte propose une série de mesures, à commencer par l’établissement et la publication, par les autorités, d’un «bilan exhaustif de l’application de la charte dite pour la paix et la réconciliation nationale de 2005.

Ce bilan comprendra notamment des informations détaillées sur l’application de l’ordonnance n°06-01 portant sur la mise en œuvre de la charte en indiquant non seulement le nombre de personnes ayant bénéficié de la grâce, de la commutation, de la remise de peine et de l’extinction de l’action publique, mais également pour quelles infractions et dans quelles conditions l’ordonnance n°06-01 leur a été appliquée».

Définir les responsabilités

La justice doit définir la responsabilité pénale individuelle des repentis et «les autorités étatiques compétentes doivent procéder spontanément à des enquêtes immédiates, exhaustives et impartiales sur chaque cas allégué d’exécution extrajudiciaire, de torture, de viol ou de disparition, dont le commanditaire, l’instigateur, l’auteur ou le complice aurait la qualité d’agent de l’Etat ou assimilé». Toute plainte pénale contre X ou contre un membre des groupes armés islamistes ou l’un de leurs soutiens relative à un cas de massacre collectif, d’attentat à l’explosif ayant entraîné la mort ou une invalidité physique, de torture, de viol ou de disparition doit être déclarée recevable et faire l’objet d’une enquête immédiate.

«Une grâce ou une amnistie pourrait être accordée aux individus condamnés, quel que soit leur statut, à l’exclusion des personnes reconnues coupables d’avoir commandité ou participé, comme auteur ou complice, à un massacre collectif, une exécution extrajudiciaire, un attentat à l’explosif ayant entraîné la mort ou l’invalidité physique, un acte de torture, une disparition ou un viol», précise le document. Et dans le sens de la recherche de la vérité, «toute information recueillie dans un cadre judiciaire ou autre relative au sort de toute personne ayant fait l’objet d’une exécution imputable à un groupe armé islamiste ou d’une exécution extrajudiciaire imputable à un agent de l’Etat ou assimilé, et dont le corps n’a pas été retrouvé, doit immédiatement faire l’objet de la part des autorités d’une enquête en vue d’élucider le sort de la victime, de localiser sa dépouille et de la remettre à sa famille pour lui offrir une sépulture.

La famille de la victime doit être informée des détails et du résultat final de l’enquête». «Les autorités doivent localiser les charniers et les tombes individuelles anonymes, identifier les personnes qui y sont enterrées, y compris par l’utilisation de tests ADN, et remettre leur dépouille à leurs familles en vue de leur offrir une sépulture ; les autorités étatiques compétentes doivent notamment identifier, par tous moyens légaux, les milliers de personnes enterrées sous X durant les années 1990, clarifier les circonstances dans lesquelles ces personnes ont été enterrées sous X et remettre leur dépouille à leur famille», propose ce projet de charte. Ce document s’attache au principe de «non-répétition», afin que les impunités ne favorisent pas la résurgence d’autres violences. Quatre principes sont énoncés : l’impartialité de la justice, la liberté d’expression, la protection des victimes du terrorisme et leurs familles ainsi que les familles de victimes des agents de l’Etat et enfin l’inéligibilité des «repentis» et l’interdiction pour eux d’être titulaires d’aucune fonction politique ou administrative.