Une «réconciliation» qui piège l’avenir

Une «réconciliation» qui piège l’avenir

Arezki Ait-Larbi, La libre Belgique, 09 mars 2006

Epilogue de la guerre civile (près de 200000 morts), la «réconciliation nationale» est dénoncée comme une monstruosité juridique.
Plusieurs centaines de terroristes ont été libérés.

Adoptés fin février, les textes d’application de la «Charte pour la paix et la réconciliation nationale», plébiscitée en septembre 2005, donnent l’absolution à tous les protagonistes de la «tragédie nationale». Présentés naguère comme des «monstres sanguinaires», plusieurs centaines de terroristes ont déjà retrouvé la liberté. Ceux, condamnés à de lourdes peines de prison ont été graciés; les autres, en instance de procès, ont bénéficié de «l’extinction de l’action publique». Pour les irréductibles des maquis, ils ont un délai de six mois pour se présenter devant les autorités et rejoindre «leurs foyers aussitôt accomplies les formalités requises». Une aide de l’Etat est octroyée aux familles de ceux qui ont été tués par les forces de l’ordre. Quant aux repentis de la «concorde civile» de janvier 2000, soumis à des mesures de probation, ils sont rétablis dans leurs droits civiques.

Chef de file des salafistes, le tonitruant Ali Belhadj, stigmatisé comme «principal instigateur de la tragédie nationale», a été, lui aussi, élargi lundi soir de la prison d’El Harrach, où il était incarcéré depuis juillet 2005; il était accusé d’avoir cautionné l’enlèvement, puis l’exécution de deux diplomates algériens en Irak (lire ci-contre). Condamné en 1992 à 12 ans de prison et libéré une première fois en juillet 2003, le Savonarole islamiste avait refusé de soutenir Abdelaziz Bouteflika. «Ceux qui ont commis des crimes contre les civils doivent payer, qu’ils soient militaires ou islamistes», répondait-il aux émissaires qui tentaient de l’amadouer. Lundi soir, à peine sorti de sa cellule, il défiait le Président algérien: «Il ne peut y avoir de réconciliation imposée par le pouvoir. Avant de parler de réconciliation, il faut d’abord dire la vérité sur tout ce qui s’est passé.»

Pour conforter son hégémonie sur la scène politique, le pouvoir a accompagné d’un bémol ses largesses en faveur des islamistes radicaux: l’allégeance au président Bouteflika. Pour avoir refusé de s’y soumettre, les chefs historiques du FIS sont interdits d’activité politique. Dans les coulisses du sérail, on prépare les anciens maquisards de l’Armée islamique du salut (AIS, branche armée du FIS), amnistiés en janvier 2000, à leur succéder. Madani Mezrag, leur «émir», ne cache pas ses ambitions: «En attendant la création d’un nouveau parti islamiste, nous participerons aux prochaines élections sous la bannière du FLN» (ex-parti unique, majoritaire) révélait-il, il y a quelques jours.

«Crimes contre l’humanité»

Par souci d’équilibre, les éléments des forces de sécurité accusés de violations des droits de l’homme sont, eux aussi, mis à l’abri des poursuites. Des peines de prison sont prévues contre quiconque tenterait «de fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont servi dignement, ou ternir l’image de l’Algérie au plan international».

Dans cette étrange fraternisation, la douleur des victimes est occultée. Aux familles des «disparus» qui réclament la vérité et la justice, le gouvernement propose une indemnisation, après «un jugement de décès (…) pour les personnes n’ayant pas donné signe de vie et dont le corps n’a pas été retrouvé». Cette quête de vérité est soutenue par de nombreuses ONG internationales (lire ci-dessous). A Alger, c’est la Ligue de défense des droits de l’homme, favorable au «dialogue et à la réconciliation» depuis le début de la crise en janvier 1992, qui rappelle que «les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, non amnistiables et non susceptibles d’extinction d’action publique». Son président, Hocine Zehouane, qui a succédé en novembre 2005 au vieux Abdennour Ali-Yahia, prépare un mémoire pour le Comité des droits de l’homme de l’Onu. Objectif: «Prouver l’illégalité et l’illégitimité de ces textes et contraindre leurs auteurs à se dévoiler devant les instances internationales.»

© La Libre Belgique 2006