« Zerhouni prépare le fichage de tous les Algériens »

Maître Ali Yahia Abdenour. Président d’honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme

« Zerhouni prépare le fichage de tous les Algériens »

El Watan, 7 avril 2010

Le ministère de l’Intérieur vient de lancer son « opération-pilote » portant sur l’établissement de nouveaux documents d’identité. Des documents biométriques électroniques, comportant une masse de données personnelles. M. Zerhouni prévoit aussi la mise en place d’un registre national de l’état civil ainsi que l’institution d’un numéro identifiant national unique (CINU), un matricule attribué à chacun des Algériens. Ne craignez-vous pas un fichage généralisé de tous les Algériens ?

Absolument. Plus que le fichage – qui se fait déjà en dehors des lois – l’enjeu est le contrôle des Algériens. Je crois qu’il faut reprendre l’expression « vous êtes fichés » en ajoutant « de la naissance jusqu’à la mort ». L’objectif est clair. Il s’agit de contrôler l’Algérien de sa naissance jusqu’à sa mort. Les formulaires des documents d’identité biométriques (téléchargeables sur le site web du ministère de l’Intérieur) sont à ce titre plus qu’éloquents. Le demandeur de ce nouveau type de documents doit répondre à un large éventail de questions : qui avez-vous connu à l’école ? Avec qui vous avez passé le service militaire ?, etc. Des questions sans aucun rapport avec les données nécessaires à l’établissement d’un passeport ou d’une carte d’identité. Cela dépasse les limites. Il faut que le ministre de l’Intérieur comprenne que l’Algérie n’est pas celle des années 1980. Dans les quatre Constitutions algériennes, entre 28 et 32 articles traitent des libertés individuelles. C’est-à-dire que tout Algérien a des droits qu’il ne peut opposer à l’Etat. Je ne parle pas des pactes et conventions internationaux qui vont dans le sens de l’individualisme et de la défense de la personne humaine. Les attributs de l’identité relèvent des droits de la personne. Des droits inaliénables.

La démarche des pouvoirs publics n’a pas été accompagnée par la mise en place – comme cela s’est fait ailleurs – d’une autorité indépendante chargée de contrôler et de vérifier la légalité du traitement des données à caractère personnel et qui doit assurer le respect des libertés et droits fondamentaux des personnes…

Il me semble que c’est trop demander à ce régime. Un régime autoritaire, totalitaire. Le ministre de l’Intérieur n’acceptera pas qu’une structure indépendante puisse contrôler ce que fait l’administration. Personne ne peut contrôler le ministre de l’Intérieur qui s’attribue tous les droits, s’estime au-dessus des lois. Ni le Parlement ni la justice, habilités en la matière, ne peuvent le faire. Moi-même j’ai relevé, en passant, que M. Zerhouni a violé – par arrêtés – 57 fois la Constitution. Doit-on aller à la justice pour relever que la démarche du ministre est en contradiction avec la loi, la Constitution et les lois internationales – supérieures aux lois nationales ?… Je pense que c’est inutile : la justice est sous contrôle. Ce que nous, avocats, appelons « la justice debout », cela ne veut rien dire d’autre que les procureurs sont à genoux et que les juges sont à plat ventre. Mais il faut dire que le ministre de l’Intérieur procède depuis dix ans par vagues, rognant sur les libertés publiques et privées. De l’Algérien, M. Zerhouni veut faire un automate bon à appliquer les directives et la politique du Pouvoir. Si l’Algérien se situe en dehors de ce schéma, au tournant, il se fait écraser.

Par Mohand Aziri