Ahmed Ouyahia : «La mort, si on ne réduit pas les importations»

Ahmed Ouyahia : «La mort, si on ne réduit pas les importations»

El Watan, 13 septembre 2015

A l’opposé des assurances du Premier ministre à propos de la crise économique, le chef du RND, Ahmed Ouyahia, prédit des lendemains incertains si le gouvernement ne prend pas de mesures audacieuses.

Alternant le costume de chef du RND et celui de chef de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia est apparu, hier, à l’occasion de sa conférence de presse trimestrielle, comme celui qui «ose» affronter les situations difficiles.

Nous devons dire quelques vérités, nous ne devons pas mentir aux Algériens. La situation est difficile et l’Algérie a besoin d’une trêve sociale», a affirmé Ahmed Ouyahia.

Et si le patron du RND se défend de tout «conflit entre lui et le Premier ministre Abdelmalek Sellal», il a tenu à marquer sa différence sur bien des choix du gouvernement. A commencer par le retour du crédit à la consommation. Le secrétaire général du RND s’est «opposé» à cette mesure stoppée en 2009 par Ouyahia lui-même.

«Le crédit à la consommation, nous n’avons pas de quoi le financer, c’est une solution facile», tance-t-il. Il va loin dans sa divergence en affirmant que le pays se trouve «face à un danger et que d’ici cinq ans il ne restera aucun dollar dans les caisses si nous ne réformons pas».

Et d’user d’une formule populaire pour dire toute la gravité de la situation : «Que Dieu nous préserve d’ici cinq ans», prévient encore celui qui a été trois fois chef de gouvernement.

Ouyahia estime que si «le pays dispose d’une marge de sécurité et surtout des capacités humaines et des potentiels économiques», il indique, par ailleurs, où le gouvernement devrait aller chercher les mesures à même de freiner la descente aux enfers, sur fond d’incertitudes politiques.

«Il faut en finir définitivement avec l’import-import», martèle-t-il en défendant l’instauration de la licence d’importation car sans elle, «nous irons à la mort», assène-t-il.

Tout en rappelant «toutes les facilités données aux investisseurs», Ahmed Ouyahia recommande «une lutte implacable contre la bureaucratie, la corruption et la compétition inégale de l’argent sale. Il faut tuer l’économie invisible et l’argent sale qui avaient tenté de frapper l’Etat en 2011».

Il est utile de rappeler à ce propos qu’Ahmed Ouyahia a été limogé du poste de Premier ministre au lendemain d’une déclaration affirmant que «c’est l’argent sale qui dirige».

Pour de nombreux observateurs, la situation n’a pas changé depuis et l’économie souterraine ne cesse de grandir et de gagner des espaces.

Les lobbys de l’informel, qui prend forme dans une oligarchie conquérante, apparaissent aujourd’hui comme une puissance contre laquelle le gouvernement ne peut rien. S’employant à jouer la synthèse entre courants opposés, Ouyahia va jusqu’à reprendre à son compte une des revendications phare du Parti des travailleurs : instaurer un impôt sur la fortune : «Le pays sera obligé tôt ou tard d’aller vers l’instauration de l’impôt sur la fortune.»

Soutien critique

Cependant, concernant les mesures annoncées dans le cadre de la loi de finances 2006 en cours d’élaboration, Ahmed Ouyahia s’est dit «favorable à l’instauration de la vignette sur les véhicules, c’est une nécessité».

Son penchant libéral assumé ne l’a pas empêché de défendre – du moins tactiquement – les politiques dites sociales engagées par l’Etat : «Nous ne pouvons pas renoncer au soutien des prix des produits de santé, de logement, sinon on aura un soulèvement dans la société.»

Et d’ajouter qu’«il faut aller vers un changement graduel». Pour lui, «la rationalisation des dépenses n’est pas catastrophique pour le citoyen, les gens doivent sentir la valeur de l’argent».

Tout comme le gouvernement, Ouyahia évite de parler d’austérité, alors que toutes les mesures déclinées y mènent tout droit.

Et pour ne pas «froisser» ses amis et adversaires au sein du pouvoir, Ouyahia «lave» le gouvernement de toute responsabilité de la crise qui enserre le pays de toutes parts : «La crise économique n’est pas une erreur du pouvoir en Algérie, mais est liée à la chute des cours du pétrole.»

Et pour répondre aux opposants qui reprochent au pouvoir d’avoir dépensé des milliards de dollars sans parvenir à diversifier et à relancer l’économie nationale, Ahmed Ouyahia s’est lancé dans un exercice dont lui seul détient la maîtrise, pour expliquer, chiffres à l’appui, toutes les «réalisations, infrastructures scolaires, sanitaires, logements».

Enfin, Ouyahia rassure Sellal, à la veille d’une rentrée politique et sociale difficile, affirmant qu’il est «d’accord à 90% avec le gouvernement».

En somme, c’est un Ouyahia fidèle à l’étiquette que lui colle Louisa Hanoune : «Il a l’art de tout justifier et avec aplomb.» Louer et blâmer.

«Il n’y a pas de conflit au sommet du pouvoir»

Face à l’épais brouillard qui couvre la vie politique nationale et particulièrement les manœuvres dans le sérail, l’intervention d’Ahmed Ouyahia était très attendue, tant l’homme n’esquive aucun sujet… enfin presque.

D’abord, les changements au sein de l’armée intervenus récemment : «Je parle en tant que directeur de cabinet et j’affirme que ces changements et mandements sont naturels.

A ceux qui pensent que le pays est menacé parce que le Groupe d’intervention spécial (GIS) est dissous, je dirais que le président Bouteflika n’est pas Néron, il n’est pas un opposant pour casser l’appareil de sécurité nationale.» Créé en 1989, le Groupe d’intervention spécial, seule unité d’élite à l’époque, n’a plus sa raison d’être, selon le directeur de cabinet de la Présidence.

«Nous sommes en 2015, le terrorisme a reculé et l’Algérie dispose de dizaines d’unités spéciales au sein de la police, de la gendarmerie et de l’armée est en mesure d’intervenir notamment dans les villes», précise-t-il. Faisant les éloges du chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, l’homme qui garde la maison présidentielle en l’absence de Bouteflika, il assure également qu’il est «normal que le Service de coordination opérationnelle et de renseignement antiterroriste (Scorat) passe sous la coupe de l’état-major» et non plus sous le contrôle du DRS. Mais si Ouyahia analyse ces changement dans le cadre d’une réforme par étape engagée par Bouteflika, il n’a pas voulu commenter l’arrestation du général Hassan, ancien chef de l’antiterrorisme au sein du DRS.

Alors qu’elle alimente les spéculations les plus affolantes, Ahmed Ouyahia s’est contenté de dire que «personnellement, je souhaite tout le bien au général Hassan, l’affaire est entre les mains de la justice». C’est dire que l’affaire est grave.

S’agissant des intentions de l’ancien chef terroriste, Madani Mezrag, de créer un parti politique, celui qui avait reçu le chef de l’AIS à la Présidence est catégorique : «La loi sur la réconciliation nationale est claire, elle interdit la création d’un parti à ceux qui ont une responsabilité dans la tragédie nationale.» Et d’affirmer formellement que «l’Etat ne laissera pas Mezrag fonder un parti politique».

Au sujet de la révision de la Constitution, M. Ouyahia a assuré qu’elle «interviendra probablement avant la fin de l’année. Le dossier n’est pas encore finalisé. La révision devait avoir lieu en 2013 si ce n’était la maladie du Président».

Et c’est dans ce sens qu’il a exclu «une lutte au sommet du pouvoir». Ahmed Ouyahia a saisi l’occasion de sa conférence de presse pour rassurer aussi ses alliés dans la coalition gouvernementale après les mésententes entre lui et le secrétaire général du FLN à propos de la création d’un pôle des partis de la coalition : «Notre camp doit se renforcer tant le contexte est difficile. Nous travaillons dans la même direction, il ne s’agit pas d’une affaire d’appellation, mais d’un choix stratégique.»

Le chef du RND, qui nourrit l’ambition présidentielle et à qui l’on reproche une «impopularité légendaire», a tenu à dire qu’il est «en paix avec sa conscience. Probablement, j’ai commis des erreurs dans mon parcours politique, mais je suis rentré blanc et sorti blanc».

Hacen Ouali


Ahmed Ouyahia : « J’ai commis des erreurs… »

Achira Mammeri, TSA, 12 septembre 2015

La révision de la Constitution se fera « logiquement et probablement avant la fin de l’année », a déclaré ce samedi 12 septembre, le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, au cours d’une conférence de presse à Alger, en précisant que le projet était « en phase de finalisation ». M. Ouyahia a dit ignorer le mode d’adoption de la nouvelle Constitution, par référendum populaire ou par voie parlementaire. « Le projet appartient au Président », a-t-il dit.

Mezrag et le DRS

Le chef de cabinet du président Bouteflika a estimé que la crise économique « n’était pas le résultat des erreurs du système ». Il a assuré que Madani Mezrag n’a pas l’intention de créer un parti politique. « L’État ne le laissera pas faire », a-t-il lancé, en qualifiant de « normal » les changements opérés au sein du DRS. « Le Groupe d’intervention spéciale (GIS) a été dissout en 2015. Il a été créé en 1989 dans une conjoncture sécuritaire particulière. En 2015, l’Algérie a retrouvé la paix et la sécurité ».

« La sécurité du pays n’est pas menacée »

Ouyahia affirme que la dissolution du GIS (Groupe d’intervention spéciale du DRS) n’aura pas d’impact sur la sécurité du pays. « La sécurité du pays n’est pas menacée par la dissolution de ce corps. Il y a des milliers et des milliers de régiments capables d’intervenir pour la sécurité du pays. Il y a des groupes spéciaux à la police et à la gendarmerie qui sont capables d’intervenir ».
Arrestation du général Hassan

Le patron du RND a toutefois refusé de commenter l’affaire de l’arrestation du général Hassan, ancien chef des troupes antiterroristes du DRS. « Je ne peux pas faire un commentaire sur l’arrestation du général Hassan à qui je souhaite le bien. L’affaire est entre les mains de la justice », a-t-il dit.

« Ce n’est pas une guerre menée par Bouteflika »

Ouyahia a assuré que Bouteflika n’était pas en guerre contre le DRS. « Beaucoup de rumeurs et d’analyses se font autour des changements dans le corps du DRS. Des services sont placés sous l’égide du frère Gaid Salah que je respecte et qui est très actif sur le terrain. Il n’y a pas de lecture à faire. Ce n’est pas une guerre menée par Bouteflika ».

« Je n’ai pas commis un crime »

Sur son initiative de constituer un front avec le FLN, TAJ et le MPA, le chef du RND a estimé qu’ « il n’avait pas commis un crime en l’annonçant ». Cette initiative n’a pas été acceptée par le secrétaire général du FLN Amar Saâdani. « Saâdani a émis des réserves, il est libre. Mais il est important de savoir que nous menons le même combat avec le FLN ». « On n’a pas reculé sur cette initiative », a-t-il assuré, en se montrant ouvert au dialogue : « Le FLN veut procéder autrement. Au RND on reste ouvert. On n’accorde pas beaucoup d’importance au détails ».

« On ira droit au mur si… »

Le patron du RND a abordé la crise économique qui frappe le pays, conséquence de la chute des prix du pétrole, en se prononçant contre le recours à l’endettement extérieur. « Au RND, on aura mal au cœur au cas où cette décision est prise », a-t-il avoué, en estimant qu’ «aucun pays n’a donné autant de facilitations aux investisseurs. Mais en Algérie, il y a la corruption et la bureaucratie ». Pour Ouyahia, les Algériens ne « travaillent pas assez ».

Ouyahia plaide aussi contre le retour du crédit à la consommation qu’il a interdit en 2009 et que le gouvernement Sellal veut réintroduire. « On aura un pincement au cœur. C’est une solution facile ».

Le patron du RND met en garde contre l’inaction du gouvernement. « On ira droit au mur si on ne revoit pas certains aspects et si on ne diminue pas les importations », prévient-il, en précisant qu’il n’était pas contre Sellal.

« Je ne suis pas contre Sellal »

« Je ne suis pas contre Sellal. Au delà de la relation personnelle que j’ai avec Sellal. Je suis le chef de cabinet du président comment pourrais-je contredire son premier ministre ? »

Ouyahia a jugé vitale une réduction des importations pour faire face à la crise. « Si on ne réduit pas les importations nous irons à la mort », a-t-il insisté, en annonçant que son parti « votera » la loi de finances pour 2016.

« Un seul président qui dirige »

Il a assuré qu’il « n’y a aucun conflit au sommet de l’État. Il y a un seul président qui dirige et qui dispose de tous ses pouvoirs ».

Ouyahia a déclaré que la réconciliation nationale « ne sera ni élargie, ni revue ». « Ce qui se dit sur ce dossier relève de la spéculation ».
Ouyahia répond à Larcher sur la règle 49/51

Le chef de cabinet de Bouteflika a répondu aussi au président du Sénat français, Gérard Larcher, qui a estimé hier à Alger que la règle 49/51 posait problème aux investisseurs français. « Il est venu pour défendre les intérêts des investisseurs. Au RND, on ne défend pas cette vision. Au niveau du gouvernement aussi, il n’y a pas de volonté de supprimer cette règle ».

« Madani Mezrag tient des réunions à Jijel depuis 2000 »

Ouyahia est revenu sur l’initiative de Madani Mazrag de créer un parti politique en affirmant que l’ancien émir de l’ex-AIS tenait régulièrement des réunions dans les maquis de Jijel, depuis 2000, pour discuter avec les anciens de l’AIS et pour évoquer des questions sociales et autres. Pour lui, la polémique qui a entouré la dernière réunion de Mezrag à Jijel relève de la « manipulation ».
« J’ai commis des erreurs »

Ahmed Ouyahia qui a plaidé pour une lutte contre l’économie informelle a reconnu avoir commis des erreurs durant sa carrière politique. « Dans mon parcours politique et personnel, j’ai commis des erreurs. Mais je suis rentré blanc et sorti blanc », a-t-il dit à la fin de sa conférence de presse.