Finances: Genèse d’un choix politique de non-gouvernance

Finances: Genèse d’un choix politique de non-gouvernance

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 3 septembre 2011

Après les agences postales, ce sont les banques publiques qui se plaignent d’un manque de liquidités alors que plus de 500 milliards de dinars dorment dans leurs coffres.

Ni la Banque d’Algérie, ni le ministère des Finances encore moins le ministère des Postes et des Technologies de l’information et de la communication (PTIC) n’ont pu, à ce jour, trouver une solution au problème de liquidités qui pénalise depuis quelques années lourdement les usagers des agences postales. Si la Banque d’Algérie s’est taillé sur mesure la tradition de ne pas communiquer en dehors des conférences de presse que ses responsables veulent bien animer au moment qu’ils jugent opportun, le ministère des Finances a décidé depuis l’arrivée de l’été d’hiberner. Ni la communication ni les responsables habilités à communiquer ne sont joignables et ce depuis plus de deux mois. Il reste cependant des cadres aux voix discrètes mais expertes qui tentent tant bien que mal d’expliquer les choses même si l’on susurre qu’instruction a été donnée par les hauts responsables de la présidence de la République de ne commenter aucun fait financier.

«Le problème de liquidités est un cercle infernal et vicieux», nous dit un des cadres du ministère de Karim Djoudi. Il reconnaît ainsi qu’ «il y a des tensions certes, mais il y a des pics de pics en raison d’une évolution exponentielle d’une demande qui n’en finit pas, qui court, comme c’est le cas en ces temps de fêtes et de rentrée sociale…» D’autres cadres confortent ces propos en expliquant que «les liquidités doivent en principe évoluer d’une manière gérable mais chez nous, leur taux d’utilité augmente parfois de 10% et plus d’un coup en raison de demandes pressantes, c’est trop quand on sait que c’est du physique qui sort et non de l’électronique». C’est ce qui est qualifié de «problème de demandes non incompressibles ou imprévisibles et parfois les deux à la fois». D’autant, disent les spécialistes de la finance, qu’ «on ne produit pas», ce qui complique davantage l’équation. Même si «avec ça, les banques publiques donnent elles aussi de l’argent aux postes en leur versant des ressources d’entreprises (excédents de trésorerie) et d’autres d’épargnants», les liquidités restent toujours celles qui leur manquent le plus.

500 milliards de dinars en attente d’investissements

Cette semaine, la sphère semble s’élargir et ce sont les banques publiques qui se plaignent du même phénomène. «Essayez de venir tôt pour être parmi les 10 premiers clients, comme ça, vous serez sûr d’être payé», dit un guichetier à un employé d’une entreprise qui peine depuis quelques jours à retirer sa paie. Pourtant, il n’est un secret pour personne que les banques enferment un excès de liquidités qui cache mal un atroce manque d’imagination de nos gouvernants. Il est fait état à ce sujet d’un pic enregistré à la fin de l’année dernière dans le montant des ressources «toutes maturités confondues» ramassées par les banques. Ces ressources, entre à terme et à vue, ou ce qui est appelé stock de ressources amassé ont atteint facilement, selon nos sources, les 500 milliards de dinars.

«Elles sont en augmentation permanente même si l’évolution diminue quelques fois», nous dit-on. Il est aussi observé un taux d’évolution de l’épargne de plus en plus fort. «La CNEP continue de recevoir régulièrement l’épargne des ménages et les fonds d’entreprises.» Tout cet argent, ce sont, expliquent des responsables d’établissements financiers publics, «des ressources qui alimentent notamment les demandes de crédits qui peuvent provenir de toutes les entités publiques et privées et à n’importe quel moment, c’est-à-dire de l’économie visible et invisible, informelle». Il existe, bien sûr, au niveau des banques, affirment-ils, de «l’argent en attente de placements parce qu’on ne donne jamais toutes les ressources en crédit». Refusant d’employer l’expression «l’argent qui dort», les spécialistes préfèrent le désigner comme étant «un volant important que les banques doivent préserver parce qu’à tout moment il y a des milliards qui peuvent être demandés». Ce sont alors «des dizaines de millions de dinars qui permettent de répondre à tout moment à des demandes de liquidités». Il est évident que pour réussir ce genre de «transactions, il y a des réglages qui se font». L’on rappelle que si l’Europe est tombée dans une crise financière sans précédent «c’est parce que les banques ont pris trop d’engagements en crédits par rapport aux ressources existantes». Pour plus de précision sur le cas national, il est fait état de plus de 500 milliards de dinars qui «dorment dans les banques sans contrepartie aucune».

Un manque flagrant de capacités d’absorption

Les cadres du ministère des Finances soulignent que «ces ressources sont en attente au niveau des banques parce qu’il y un manque flagrant de capacités de leur absorption par l’économie en crédits sains, c’est-à-dire par des demandes solvables de crédits d’investissement ou d’exploitation avec un risque de non remboursement des plus faibles». L’on rappelle en référence aux données de la Banque d’Algérie que cette absorption par l’économie était de l’ordre de 16% en 2010. «La bonne gouvernance est celle qui fait au mieux, le maximum pour fructifier ces ressources en attente, au moins ne pas les gaspiller, et c’est la foi la plus faible», est-il commenté. Interrogés sur les raisons de ce manque «subit» de liquidités au niveau des banques, nos interlocuteurs en restent étonnés. «Peut-être parce que la fin de l’été est synonyme de toutes les dépenses particulièrement cette année, mais sincèrement, nous n’avons pas de réponse.» Ils sont persuadés cependant qu’il ne durera pas dans le temps comme c’est le cas au niveau des postes.

Un retour sur la question des placements algériens à l’étranger leur fera dire que «le niveau de couverture des réserves de change de l’Algérie est assez appréciable, il assure la couverture des engagements du pays vis-à-vis de l’étranger sur une période de quatre années». Ainsi, est-il expliqué, «plus il y a une couverture importante plus on se permet de faire des placements dans lesquels il y a un risque mais le rendement est élevé». L’on estime dans ce cas que «le gain ne peut être vu que dans la pluriannualité et non chaque année». Alors «on peut ne pas gagner mais on ne perd jamais». Les bénéfices sont «petits», estime-t-on, «de l’ordre d’à peine 4% chaque année». Ce qui donne sur 10 ans, 40%. Et là intervient d’autres explications : «si la même somme placée était investie dans l’immobilier à raison d’un gain de 20% par an, en 5 ans, nous aurons des bénéfices de 100% mais il peut y avoir des années où on perd 20%, ce n’est pas grave, on aura toujours gagné sur le long terme.» Ces calculs font dire aux cadres du ministère des Finances que «nous sommes une singularité parce qu’on ne segmente pas nos ressources, on se contente de les investir de la même façon quel que soit leur niveau». C’est, disent-ils, «comme celui qui va à la mer et ne reste que sur la plage». Une grande frustration ! Il est souligné que «la stratégie des placements dépend du niveau de couverture des réserves du pays, plus il est important, plus il faut oser ! Ce n’est pas le cas chez nous.»

«C’est une situation de non-gouvernance»

Les langues se délient et affirment qu’ «on n’ose pas parce que nous avons cette optique, celle de dire que c’est le bien de la collectivité, on n’a pas le droit de perdre. C’est le fil conducteur dans une gestion extrêmement sécuritaire». Ce qui mène droit vers l’aberration et l’absurde. «On n’optimisme pas alors que l’optimisation de l’argent est le cœur de la gestion financière», disent nos sources. Des responsables d’établissements financiers pensent alors que «le manque à gagner dans ce cas est déjà une perte pour le pays». Il est reproché aux gouvernants de se complaire dans «le confort alors que le pays possède de grands choix d’optimisation dans le pétrole par exemple». L’on reconnaît que c’est loin d’être des choix techniques «mais ce sont des choix éminemment politiques». Seulement, les décideurs préfèrent, indique-t-on, opter «pour des choix tranquilles pour rester dans le risque zéro». C’est ce que les spécialistes appellent «la non-gouvernance». L’option «tranquille» consiste par exemple à pomper le plus de pétrole sans jamais oser des placements à risque. «Nos placements actuels sont inférieurs au taux de l’inflation (qui est un nivellement de la parité du pouvoir d’achat). On lance sans conviction ni précision que l’Algérie aurait perdu depuis la crise aux Etats-Unis près de 23 milliards de dollars. Mais l’on soutient plutôt que «nous n’avons pas eu de rendements, l’argent n’a pas été fructifié, on a seulement évité son érosion». «Il faut qu’on sorte de la gestion du risque, il faut segmenter nos placements au tiers en valeur du trésor pour maintenir notre capital, au tiers en placements dans des actifs peu rentables mais sûrs où on gagne peu et au tiers dans l’immobilier et les groupes cotés sur la place mondiale où on gagne beaucoup», est-il soutenu. A défaut, «les modes de placements choisis sont une gestion de l’argent en bon père, oui mais non optimisé, il atteint des seuils de stagnation sur des montants importants». La conclusion donne froid dans le dos. «On est en train d’extraire des choses pour laisser aux générations à venir une valeur qui n’est pas sauvegardée. C’est une affaire de gouvernance non assumée !», disent nos experts et cadres financiers.