Ali Tounsi victime collatérale de la lutte contre la corruption ?

Un assassinat sur fond de malversations et de scandales financiers

Ali Tounsi victime collatérale de la lutte contre la corruption ?

El Watan, 27 février 2010

L’assassinat, jeudi, du directeur général de la Sûreté nationale, Ali Tounsi, intervient dans un contexte marqué par la multiplication de révélations dans la presse sur de nombreuses affaires de corruption.

Depuis le début de l’année, de nombreux cadres du ministère des Travaux publics et de la compagnie pétrolière Sonatrach sont soit arrêtés soit placés sous contrôle judiciaire pour corruption et conclusion de marchés selon des procédés contraires à la loi. La corruption ne semble pas avoir épargné la police puisque le mobile de l’assassinat du colonel Tounsi aurait aussi un lien étroit avec la décision prise par celui-ci de suspendre de ses fonctions Choueib Oultache, un de ses plus proches collaborateurs et ami. Un ami auquel il aurait été notamment reproché sa gestion indélicate de l’unité dont il avait la charge. Rendu fou de rage par la nouvelle de sa mise à l’écart, M. Oultache aurait ainsi tiré à bout portant sur le directeur général de la Sûreté nationale en pleine séance de travail.

Egalement ancien colonel des forces aériennes à la retraite, Chouieb Oultache avait été nommé, en 2003, à la tête de la division héliportée de la DGSN stationnée à Dar El Beida, à proximité de l’aéroport international d’Alger. Selon un article publié par le quotidien arabophone Ennahar le jour même de l’assassinat, quelques jours auparavant le colonel Ali Tounsi avait en effet décidé de limoger M. Oultache et de geler les contrats d’achats d’équipements qu’il avait signés au nom de la direction de la Sûreté nationale. La raison ? Ceux-là seraient entachés de nombreuses irrégularités. En réalité, ce n’est pas la première fois que ce service de sécurité est éclaboussé par un tel scandale. Ces dix dernières années, de nombreux officiers de la DGSN se sont vu poursuivis devant la justice soit pour corruption soit pour malversations. De nombreux articles de presse consacrés à la gestion de ce corps, dont les éléments dépassent aujourd’hui les effectifs de l’Armée nationale populaire, ont souvent mis en lumière des liens étroits entre les responsables de la DGSN incriminés et le monde des affaires.

L’éclatement au grand jour de ces affaires de corruption a fini, en tout cas, par jeter le discrédit sur la DGSN qui a pourtant payé un lourd tribut dans sa lutte contre le terrorisme. Les renseignements généraux (RG) est sans aucun doute le corps qui a le plus souffert de cette mauvaise publicité. Beaucoup de ses éléments interprètent encore les attaques dont ils sont régulièrement la cible comme une volonté claire de dynamiter les enquêtes ouvertes par leur service sur des affaires de corruption impliquant de hauts responsables de l’Etat. Cela même si ceux-ci ne nient pas l’existence, au sein de la Sûreté nationale, d’un grand nombre de policiers « ripoux ». Le tout parfois additionné, disent-ils, à un manque de volonté de certains « boss » d’aller au fond des choses.

L’hypothèse est en tout cas des plus probables puisque de nombreuses sources révèlent que ce sont les éléments des Renseignements généraux qui ont, en premier, alerté les responsables de l’Etat concernant l’existence d’importantes irrégularités dans la passation du marché de l’autoroute Est-Ouest. Et il s’en est écoulé du temps avant que l’affaire n’éclate au grand jour. Et la remarque vaut aussi pour de nombreux autres grands dossiers. Inutile de dire que le bras de fer qui a opposé, l’été dernier, le ministre de l’Intérieur et le colonel Ali Tounsi – dont les tenants et les aboutissants restent à ce jour à éclaircir – a contribué à instaurer un climat de démobilisation et de suspicion dans tout le corps de la police.

Compte tenu de la situation, il va sans dire que la mission du successeur de Ali Tounsi ne sera pas de tout repos.

Par Zine Cherfaoui


L’information d’Ennahar aurait mis le feu aux poudres

El Watan, 27 février 2010

Les premiers témoignages confirment. A l’origine du drame qui a coûté, jeudi dernier, la vie au patron de la Sûreté nationale, il y aurait une information donnée, le même jour, par le quotidien arabophone Ennahar.

Un article d’information publié par le journal, qui n’a fait que son travail faut-il le souligner, citait nommément le chef de l’unité aérienne de la Sûreté nationale, Oultache Choueib, auteur des coups de feu mortels sur le directeur général de la DGSN. Sous le titre « A cause des transactions douteuses concernant l’acquisition du matériel de transmission : Ali Tounsi gèle les prérogatives du chef de l’unité aérienne de la Sûreté nationale », l’article en question révèle une décision prise par Ali Tounsi à l’encontre de Oultache Choueib. « Ali Tounsi a décidé de geler les prérogatives du chef de l’unité aérienne de la Sûreté nationale de Dar El Beïda après avoir reçu des informations évoquant l’existence de transactions douteuses parmi les marchés conclus par cette unité ces derniers mois », souligne le quotidien en citant des sources concordantes.

La révélation de ces transactions « douteuses » est intervenue, ajoute l’auteur de l’article, suite à une enquête menée par les services de la police judiciaire. Les transactions en question portent sur l’acquisition de matériel de transmission auprès d’entreprises étrangères. « C’est ce qui a amené Ali Tounsi à geler des accords concernant l’acquisition du matériel de transmission au nom de la DGSN, en attendant la finalisation de l’enquête en question », explique l’article. La même information évoque aussi « l’implication » du fils de Oultache Choueib dans ces transactions, puisqu’il est « suspecté d’être l’intermédiaire entre les entreprises étrangères et l’unité en question ». « Selon nos sources, les marchés passés avec ces entreprises étrangères ont été conclus à travers une médiation et non pas en passant par des appels d’offres. L’existence de la corruption dans ce genre de marchés n’est pas à écarter », ajoute Ennahar.

Rappelant l’instruction de Ali Tounsi, en 2009, portant sur l’ouverture d’enquêtes sur de hauts responsables de la DGSN, le journal affirme que le nom de Oultache Choueib a été également cité dans « le scandale de la steppe ». Ali Tounsi, selon certaines versions, aurait convoqué une réunion des directeurs centraux de son institution pour annoncer cette décision au concerné. « La publication de cet article, le même jour, aurait irrité le chef de l’unité en question qui n’a pas maîtrisé ses nerfs. Il s’est présenté dans la matinée de jeudi dans le bureau de Ali Tounsi, le journal à la main. Et le drame s’est produit quelques minutes après », raconte-t-on. Mais seule l’enquête est en mesure de définir les circonstances exactes de ce drame…

Par Madjid Makedhi