Pourquoi l’Algérie est le premier importateur africain d’armes

Pourquoi l’Algérie est le premier importateur africain d’armes

El Watan, 30 janvier 2015

AQMI, prolifération des armes, frontières poreuses… Dans un contexte régional fragilisé par les crises malienne et libyenne, l’Algérie consacre des milliards à son armée. El Watan Week-end décrypte cette course à l’armement.

Si l’effort de comptabilité n’a jamais été fait, les experts estiment que l’Algérie a importé plus de 100 milliards de dollars d’armement depuis 1962 et entre le tiers et la moitié ces dix dernières années. L’embellie financière et la manne pétrolière ont beaucoup aidé à l’explosion des acquisitions, au point où Alger s’est vue propulsée, alors que l’économie mondiale était en berne, dans le carré très fermé des pays grands importateurs d’armes. En 2013, notre pays a figuré, pour la première fois, dans le top 10 des pays importateurs d’armes, aux côtés de l’Inde, de l’Arabie Saoudite et de la Chine, traditionnels barons du commerce.

Mieux, l’Algérie est non seulement le premier importateur d’armes en Afrique, mais elle représente, à elle seule, 36% des flux entrants vers le continent noir, loin devant le Maroc qui, faute de moyens, a abandonné la course à l’armement, au profit de stratégies d’équipement transverses lui permettant de répondre aux enjeux du moment. Parle-t-on d’une modernisation effrénée ? D’un gaspillage de deniers publics ? D’achats immodérés liés au caractère Comprador de l’Algérie des années 2000 ?

Ou bien il existe des raisons valables pour justifier ces achats ? Puis concrètement quelles ont été ces acquisitions ? Petit rappel historique à propos de l’armée et des troubles qu’a connus le pays : l’ANP, à l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962, s’est construite sur le socle d’une force essentiellement terrestre, très peu mécanisée mais rompue au feu et bien disciplinée, à laquelle a été adjoint une armée des frontières, mieux structurée et hiérarchisée, et quelques pilotes et deux demi-douzaines d’avions de chasse et d’hélicoptères. Très vite l’ANP a fait le choix de la Russie comme principal fournisseur, ce pays mettant en vente une gamme d’armement très complète, peu coûteuse, très robuste et suffisante aux besoins de l’armée algérienne.

Doctrine

Deux guerres israélo-arabes, une guerre froide algéro-marocaine et une crise financière plus tard amèneront l’ANP aux portes des années 1990 avec de bons équipements pour l’époque, mais beaucoup d’incertitudes. S’en suivront dix années où les livraisons d’armes sont complètement stoppées à cause d’un embargo de fait dicté par les pays occidentaux et l’effondrement de l’appareil militaro-industriel soviétique.

Résultat des courses, au début des années 2000, l’ANP accusait un retard d’au moins une génération avec un taux d’attrition très important de ses équipements stratégiques. Le focus étant à l’époque la lutte contre le terrorisme. Trois défis majeurs sont à relever : premièrement, rattraper le retard accumulé et revenir aux nombres de la fin des années 80. Ensuite, faire face aux nouveaux défis et aux menaces et enfin faire évoluer la doctrine militaire d’une doctrine de défense en une stratégie de résilience. Il fallait en urgence donc mettre au rebus les équipements obsolètes.

A la fin des années 90, ce sont plus de 200 appareils de types Mig 21 et 23 qui sont mis à la réforme, les T34 d’entrainement et les transporteurs Antonov 12 subiront le même sort. Des sous-marins Roméo, de première génération, des navires de débarquement Polnochny et les patrouilleurs lance-missiles OSA 1 et 2 ont aussi été rayés des listes de l’ANP entre 1992 et 2002. Les divisions blindées perdront aussi presque un millier de chars, les T62, déclassés et les T55 modernisés et réaffectés aux brigades d’infanterie mécanisée.

Rééquiper

La défense aérienne du territoire a aussi vu déclasser son épine dorsale, le Sam 2, devenu complètement obsolète et toute une gamme de radars d’ancienne génération, comme les P14 et P15. Ajouter à cela des milliers d’armes personnelles et de véhicules désuets à remplacer et c’est une armée entière à rééquiper. En 2007 le déclic a lieu, à la faveur d’une visite historique du président russe, Vladimir Poutine, à Alger, un accord sur la conversion d’une dette de 4,7 milliards de dollars en une commande de 7 milliards de dollars d’armes de pointe. Des avions de chasse, des sous-marins et le nec plus ultra de la défense anti-aérienne sont dans le lot.

La Chine se met au diapason et propose, elle aussi, un accès à son catalogue d’armement, mais c’est l’Allemagne, qui brise le cycle de méfiance des pays occidentaux envers l’Algérie. En 2011, un méga contrat de 10 milliards d’euros est signé entre les deux pays. A la clé, des blindés, des frégates et des équipements électroniques sont vendus à l’ANP. Cerise sur le gâteau est qu’un programme industriel est mis en place, il prévoit le montage de blindés Fuch 2, de véhicules de transport Mercedes et d’équipements électroniques. L’Italie aussi devenue un fournisseur majeur de l’ANP, la marine et l’aviation en sont de gros clients.

Même les Etats-Unis ont eu leur part du gâteau en vendant à l’Algérie des radars ANTPS78 et des avions. Plus que le besoin de se rééquiper, l’ANP a dû faire face à de nouvelles donnes régionales et même nationale. Avec la multiplication des conflits à ses frontières, comme en Libye et au Mali et la transformation de la région du Sahel et même d’une partie du Sud algérien en zone de guerre contre le terrorisme, l’ANP a redécouvert l’étendue du plus grand pays d’Afrique.

Numérisation

Limitée pendant près de quarante ans à la protection de la bande côtière et à la frontière ouest, l’armée algérienne a été obligée de se redéployer dans l’immensité du désert et donc compenser le manque d’hommes par un saut qualitatif en termes de technologie. Un gros effort sera fourni dans l’augmentation des moyens de reconnaissance et de mobilité des troupes avec l’acquisition d’hélicoptères, de drones et d’avions à la fois pour le transport et la reconnaissance. Le choix des équipements a été très influencé par les conflits qui ont eu lieu ces 20 dernières années. L’Irak, le Kosovo, la Géorgie et la Libye ont tous fait face à des guerres totalement asymétriques face à des ennemis beaucoup mieux équipés et plus nombreux.

Ceci a fini de convaincre les responsables militaires de la nécessité de se doter d’équipement de pointe, ne permettant pas de gagner des guerres, mais qui offriraient l’opportunité à l’armée qui se défend d’infliger des pertes trop importantes à l’ennemi pour qu’il puisse poursuivre son offensive. L’achat d’avions, de frégates avec de véritables capacités anti-aériennes, de sous-marins, de chasseurs Su 30 et la modernisation de la défense anti-aérienne avec les S300 PMU2 et les Pantsir S1 est clairement orienté dans ce sens.

L’accent a aussi été mis sur la numérisation du champ de bataille et l’utilisation effective des moyens de reconnaissance. Il reste que cette modernisation est loin d’être achevée, des manques sont encore ressentis dans les différents corps d’armée. L’arrivée en fin de vie de plusieurs équipements indispensables comme les hélicoptères d’attaque Mi-24, les bombardiers Su24, les intercepteurs Mig-25 et les Mig-29, accentue l’urgence de leur remplacement par des Mi28 des Su 34 et des Su 35. Le vieillissement et l’attrition de la flotte de transport appellent aussi à d’autres investissements.

Le besoin flagrant en drones d’attaque et en satellites de communication se fait sentir, de même pour l’équipement individuel du combattant qui est complètement désuet. Tout cela fait que le rythme des dépenses de l’ANP risque de se poursuivre encore pendant un quinquennat, afin de combler l’ensemble des lacunes matérielles. Restera le challenge le plus important à réaliser par le ministère de la Défense nationale, celui de la mise à niveau des personnels et la modernisation structurelle de l’ANP.

Akram Kharief