La police parallèle a bel et bien existé !

Elle a été dissoute dans la discrétion

La police parallèle a bel et bien existé !

El Watan, 30 mai 2013

Le Premier ministre a procédé, en avril dernier et de la manière la plus discrète, à la dissolution d’un corps de «police» tout aussi discret appelé Centre opérationnel d’aide à la décision (Conad).

Ce corps, dont on ignore qui est le directeur et encore moins quelles ont été ses missions depuis sa création, en 2003, pour être placé sous le contrôle du ministère de l’Intérieur, s’en va comme il est arrivé, dans l’opacité la plus totale.
Les institutions de la République, comme l’Assemblée nationale, n’ont été associées ni à la décision de sa création ni à celle de sa dissolution et encore moins à savoir ce qu’il a bien pu faire en dix années d’existence.

«Cette manière de faire renvoie à la façon avec laquelle ce pays est géré, dans l’opacité. L’Algérie est gérée en dehors des dois de la République et des institutions», estime Mostefa Bouchachi, député FFS et ancien président de la Ligue de défense des droits de l’homme (Laddh). Notre interlocuteur s’insurge contre cet état de fait : «Les Algériens, ou la plupart d’entre eux, ignoraient l’existence d’une telle structure et il n’y a pas eu de débat dans les institutions à ce sujet. Il est inacceptable que les décisions qui concernent l’Algérie et les Algériens continuent à être prises en dehors des institutions.» Le justiciable, qui peut être victime des agissements d’une telle police, ne sait même pas à qui elle appartient ni par qui elle est dirigée. Il lui est donc difficile d’identifier ses agresseurs en cas d’atteinte à son intégrité physique ou morale.

Pour Boudjemaâ Ghechir, président de la Ligue des droits de l’homme (LADH), cette dissolution est une «bonne chose». «La dissolution de tout service de renseignement et d’enquête est une bonne chose. On estime, au niveau de notre ligue, qu’il faut réduire au maximum ces services qui sont tout le temps derrière les citoyens à essayer de tout savoir sur eux. Les citoyens doivent bénéficier de toute liberté d’être et d’agir et de toute la protection de leur vie politique, sociale, etc.» Et M. Ghechir d’ajouter : «Si chaque ministre créait son propre service de renseignement et de contrôle sur les citoyens, ce serait une catastrophe.

Nous l’avons vu de par le monde, une situation pareille engendre fatalement une guerre des services. Il est préférable de centraliser ces services en une seule structure qui devra travailler dans la transparence, la légalité et le strict respect de la Constitution et des lois de la République.» Notre interlocuteur estime que sa dissolution, d’ailleurs, n’obéit pas à une volonté de faire respecter les lois de la République mais de neutraliser un corps appartenant à un clan. «Je ne crois pas que l’intérêt du citoyen ait primé dans ce choix de dissolution, mais reflète plutôt une guerre des services», note-t-il.

Le vice-président de la Laddh, Kamel Daoud, dénonce pour sa part l’absence de communication fiable : «On ne sait rien de cette structure, a-t-elle été mise en place ? A-t-elle exercé ? Si elle est aujourd’hui dissoute, a-t-elle été opérationnelle et comment ? On est dans le flou absolu.» Et de noter, à la question de savoir s’il s’agit d’une police parallèle : «Mais la police parallèle, il n’y a que ça en Algérie. Même la police officielle est entre les mains de la police parallèle.» Kamel Daoud affirme en outre qu’«avec cette histoire, on est dans le cirage absolu et en pleine manipulation. Qu’ils nous disent alors comment va le président de la République !» Et d’enchaîner : «On est dans une situation de déni des droits de l’homme, à commencer par le droit à l’information.»
Nadjia Bouaricha


Mater l’opposition, terroriser les voix discordantes

Son créateur, Noureddine Zerhouni, voulait avoir entre les mains un véritable instrument de pouvoir. En le dissolvant dans la totale discrétion, le pouvoir ne voulait pas laisser de trace d’un appareil répressif dont les pratiques sont quasiment au-dessus des lois.

Le Centre opérationnel national d’aide à la décision (Conad), créé en octobre 2003, vient d’être dissous par décret exécutif (n°13, 156) publié le 15 avril dernier au Journal officiel. Aucune explication n’a été donnée à la décision prise par le Premier ministre Abdelmalek Sellal. Beaucoup de questions ont été posées sur l’utilité d’un tel organisme, une véritable «police parallèle» dotée d’un corps opérationnel qui agissait dans l’ombre. Les institutions de l’Etat, tous corps de sécurité confondus, étaient-elles incapables d’assurer des missions de renseignement, de prévision et de prévention des crises pour mettre en place d’autres structures ? Pour certains observateurs, l’ancien ministre de l’Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, «très proche du clan présidentiel», mettait, en créant ce centre, entre les mains de celui-ci, un véritable instrument de pouvoir. Selon certains membres de la classe politique, il avait surtout «pour mission de mater l’opposition et terroriser les voix discordantes».

Officiellement et d’après le décret d’octobre 2003 promulgué en pleine compétition politique de l’élection présidentielle de 2004, cette structure, «un service extérieur de l’administration centrale» était chargée auprès du ministère de l’Intérieur de «recueillir et d’exploiter toutes les informations se rapportant à la vie du pays, susceptibles de prévenir et de faciliter la gestion d’événements de portée nationale risquant de générer une situation de crise et nécessitant pour son règlement une coordination intersectorielle et une prise de décision immédiate». Pas seulement. Ce service avait aussi pour mission de récolter «auprès des parties concernées les informations et les éléments nécessaires aux actions de prévention et de protection des personnes et des biens ; d’informer en permanence le ministre chargé de l’Intérieur de tout événement pouvant déclencher la mise en place d’un dispositif d’intervention et de secours». Le hic et ce qui renforce les appréhensions des militants des droits de l’homme, cet organisme avait un organigramme dirigé par un directeur général assisté de quatre directeurs d’études – et selon des sources concordantes, ses effectifs étaient essentiellement recrutés dans la police –, que personne ne connaît. Jusqu’à ce jour, l’identité des responsables de ce centre est cachée.

Ce qui indéniablement accentue l’inquiétude que Noureddine Yazid Zerhouni avait mis en place une structure de l’ombre agissant en véritable police parallèle pour terroriser les opposants. L’on se rappelle d’ailleurs de certaines opérations de barbouzes menées à cette époque-là contre des militants politiques. Citant les plus spectaculaires, par exemple, celui qui avait ciblé l’avocat Rachid Ouali, qui a été menacé dans l’enceinte même de l’hôtel El Aurassi. Les barbouzes l’avaient humilié en lui déchirant son pantalon. Dernièrement, c’est le syndicaliste et militant du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le docteur Tahar Besbas, qui avait fait les frais de ces menaces sordides. Son fils a été approché par des individus se revendiquant des services en envoyant un message clair de menaces au père. Est-ce le service en question qui a été l’auteur de ces agressions ? L’énigme qui entoure son fonctionnement, la clandestinité dans laquelle il agissait font peser beaucoup de soupçons sur son implication dans des opérations coup-de-poing contre des membres de l’opposition. S’il a été créé, ce n’est certainement pas pour chômer.

Le gouvernement doit tirer au clair le fonctionnement clandestin de ce centre. Quel a été le travail qu’il a effectué ? Quelle est l’identité des personnes qui l’ont dirigé ? Des explications doivent être données, en tout cas pour éclairer l’opinion publique. La question est de savoir pourquoi le Conad a été créé et pour quelle raison il a été dissous.
Said Rabia