Des policiers se plaignent de Ali Tounsi au président Bouteflika

Des policiers se plaignent de Ali Tounsi au président Bouteflika

Des officiers accusent

Salima Tlemçani, El Watan, 23 février 2003

Une cinquantaine d’officiers de police ont transmis dimanche dernier une lettre de cinq pages au président de la République dans laquelle ils dressent un tableau noir de la situation qui prévaut au niveau de la sûreté nationale marquée par «la détérioration des conditions socioprofessionnelles des policiers, des dépassements, l’injustice et les abus».

Ils accusent leur directeur général, Ali Tounsi, et son secrétaire général d’être «derrière» cette situation et demandent au président de la République de prendre «des mesures rigoureuses» contre «ces responsables, car il y va de l’avenir du pays, de ses enfants et de l’institution policière». Contacté à plusieurs reprises, il nous a été impossible d’arracher l’avis du directeur général de la sûreté nationale, M. Ali Tounsi, au sujet de cette lettre. Son secrétaire nous a renvoyé hier vers le directeur de la communication, lequel a été destinataire du contenu de la lettre. Pendant toute la journée d’hier, aucune réponse à nos sollicitations ne nous a été donnée. La DGSN a préféré s’enfermer dans un mutisme total plutôt que de répondre aux graves accusations portées à son encontre dans cette lettre de cinq pages, à travers laquelle des policiers ont lancé un véritable cri d’alarme. Ils interpellent le président en lui promettant de révéler, «preuve à l’appui, de graves scandales» pour peu que «des garanties de sécurité» leur sont données.
Nous, cadres de différents grades et services de la sûreté nationale, après maintes attentes, venons par la présente recourir à votre personne (…) Le moment est venu pour mettre un terme aux excès et abus auxquels font face certains membres de la sûreté nationale (…)», «corps qui souffre lui-même d’insécurité depuis la nomination à sa tête de Ali Tounsi et de son secrétaire général Mahmoud Amokrane…» Pour les signataires, le corps de la sûreté nationale est en «décomposition», «il est pourri et est devenu un empire ou une entreprise privée». Pour étayer leurs propos, les signataires citent l’affaire de «la dame à la Polo rouge» et pour laquelle cinq cadres de la police en ont fait les frais et celle des deux policiers «séquestrés au niveau de la caserne d’El Hamiz après avoir été brutalisés par la brigade spéciale, envoyée par le directeur général pour les appréhender et user de violence à leur encontre pour avoir accompli leur mission en dressant un PV pour stationnement interdit à sa fille (du DGSN, ndlr)». Les cadres de la sûreté nationale révèlent en outre que leur directeur général «est le premier à transgresser les lois et à ruiner l’économie» de leur institution «en faisant bénéficier ses proches d’avantages que ces mêmes lois ne permettent pas». Ils citent le cas, par exemple, des équipements de transmission «dont bénéficiait la dame à la Polo rouge» sans parler des voitures de services qu’utilisent des personnes étrangères à ce corps de la sécurité, alors que l’institution manque cruellement de moyens qui lui permettraient d’accomplir sa mission dans de bonnes conditions. Les signataires portent à la connaissance du président de la République qu’ils détiennent des dossiers «graves, voire compromettants et sensibles qui touchent à la gestion des finances de la Direction générale de la sûreté nationale». Mais, tiennent-ils à préciser, «nous les dévoilerons en temps opportun lorsque nous aurons reçu des garanties de la part de vos services». Ils lui rappellent que le DGSN était, lors de la campagne électorale présidentielle d’avril 1999, «hostile» à sa candidature. «Pour preuve, il a apporté son soutien à celle de Youcef Khatib, et aurait fait nommer son frère comme directeur de campagne de celui-ci. Il est allé jusqu’à contacter plusieurs hauts responsables dans le but de vous barrer la route et vous évincer de la Présidence. Tout se passait en coulisses avec l’appui et le soutien de ses proches et alliés, parmi eux Mahmoud Amokrane, chef de sûreté de wilaya de Boumerdès, qui occupe actuellement le poste de secrétaire général de la DGSN.» Les signataires déclarent au chef de l’Etat que sa responsabilité consiste en «la protection et la préservation de ce corps des mains dangereuses qui font mine d’être au service de la loi et de servir la sûreté, alors qu’ils ne font que servir leurs propres intérêts…». Ils s’interrogent dans cette lettre sur les véritables raisons qui poussent de nombreux policiers à se suicider, sur le sort réservé aux cadres démis de leur fonction «à cause de leur aptitude professionnelle, leur rectitude et leur intégrité» et sur le devenir de la sûreté nationale «si les responsables actuels persistent à rester à sa tête». Les policiers contestataires estiment que la mesure, jugée «grave», liée au port de la tenue réglementaire par l’ensemble des éléments de la sûreté, «transgresse le droit commun et le code de la Fonction publique, voire même les lois constitutionnelles. Ce qui a envenimé la situation au sein de la police et suscité une polémique et un mécontentement au sein des agents de la sûreté nationale…» Ils se demandent d’ailleurs si cette mesure ne s’apparente pas à une entreprise destinée à faire changer les missions et rôles de la police, et dans ce cas précis, ils se demandent quelles en seraient les répercussions (…)». Ils expliquent que leur institution est composée de 110 000 hommes, dont 10 000 en tenue réglementaire et le reste en civile. «Pour chacun de ces 100 000 hommes, il faut 4 tenues réglementaires ; 2 pour l’hiver et 2 autres pour l’été. Ce qui nous donne 400 000 nouvelles tenues par an. N’est-ce pas là un gâchis pour l’économie de ce corps et une malversation en vue de détourner des fonds…» Ils affirment enfin que la situation ne fait qu’«empirer, et il est temps», ajoutent-ils, «d’arrêter l’hémorragie…» Par ailleurs, il convient de signaler que les signataires sont en train de préparer un mémorandum d’une centaine de pages qu’ils comptent rendre public dans les tout prochains jours. Leur réaction intervient au moment où les policiers des 48 sûretés de wilayas à travers le pays ont été destinataires d’une déclaration pour la création d’un syndicat national de la police, une organisation qui semble faire sérieusement son chemin…