La thèse de l’affiliation du GSPC à Al-Qaïda perturbée

Affaire des touristes, attentats de Casablanca

La thèse de l’affiliation du GSPC à Al-Qaïda perturbée

Le Quotidien d’Oran, 18 mai 2003

Le GSPC semble se tenir à l’écart de la grande offensive terroriste actuelle d’Al-Qaïda. Cela repose la question de ses liens réels ou supposés avec l’activiste islamiste internationale.

Un peu plus d’une année après l’attentat de Jerba contre une synagogue en Tunisie, la terrible vague d’attentats terroristes qu’à connue Casablanca dans la nuit de vendredi confirme l’implantation sérieuse d’un réseau islamiste djihadiste international, sans doute Al-Qaïda, dans le Maghreb. Mais dans le même temps, elle perturbe totalement le scénario d’une affiliation directe du GSPC de Hassan Hattab à la mouvance d’Al-Qaïda. Un scénario que les autorités algériennes ont encore tenté de vendre à leurs partenaires étrangers à la faveur de l’affaire des touristes européens enlevés dans le Sahara.

En effet, il y a un tel écart dans les modes opératoires de ces deux organisations terroristes qu’il est difficile d’accréditer la thèse d’une coordination suivie entre la mouvance internationale d’Al-Qaïda et le GSPC en Algérie. En particulier, dans le contexte actuel où deux séries d’attentats de grande envergure se sont succédé en Arabie Saoudite puis au Maroc. Une offensive terroriste a manifestement été décidée contre les régimes arabes les plus compromis dans les plans de Washington, contre les intérêts occidentaux et contre les représentations dans le monde arabe d’une forme de normalité avec l’Etat d’Israël, même si l’attaque d’une synagogue ou d’un cimetière juif ressemble plus à de l’antisémitisme qu’à un acte politique anti-israélien. Il est tout aussi manifeste que le GSPC en Algérie se tient à l’écart de cette offensive. Sinon, comment expliquer qu’il ait pu détenir en otages, pendant plus de deux mois, une trentaine de ressortissants occidentaux en recherchant uniquement à les utiliser comme monnaie d’échange afin d’obtenir de l’argent «pour acheter des armes», selon le récit d’un des otages autrichiens de retour à Vienne? Cela même alors que l’organisation terroriste internationale «sacrifie» par vagues entières des «kamikazes» afin de causer le maximum de victimes américaines, européennes ou israélites. Il y a deux explications possibles à cet «écart de conduite» assez spectaculaire des activistes islamistes algériens. Ou bien le GSPC n’est pas autant affilié à la mouvance d’Al-Qaïda que l’on a bien voulu le laisser croire depuis le 11 septembre 2001, ou alors, les ravisseurs des 32 touristes européens, pour islamistes qu’ils sont, ne sont pas pour autant intégrés formellement au GSPC.

Il reste que le trouble est réel. Des touristes européens seraient, en Algérie, maintenus en vie pendant des mois par une organisation terroriste affiliée à Al-Qaïda pendant qu’ils sont déchiquetés par les bombes partout ailleurs dans le monde arabo-musulman, y compris désormais chez les proches voisins du Maroc. Il semble ici que tous les efforts des autorités algériennes pour mettre sur le GSPC l’étiquette définitivement «infamante» d’Al-Qaïda trouvent quelques limites. Le lien des ravisseurs, probablement islamistes, des touristes européens dans le Sahara algérien avec le GSPC a été proclamé par l’état-major de l’ANP. Il reste à établir dans la réalité. Le groupe terroriste de Mokhtar Benmokhtar, qui évolue dans le grand Sud algérien, et parfois au-delà, a sous-traité les dernières années pour Hassan Hattab. Il avait aussi ses intérêts propres, notamment dans le contrôle des multiples trafics avec l’Afrique subsaharienne à travers le Sahel.

L’armée algérienne n’échappe pas au soupçon d’avoir volontairement grossi le trait de cette collaboration entre le groupe Benmokhtar au sud et le GSPC au nord. La filière du sud est en définitive la plus crédible pour établir une passerelle territoriale entre les activités du GSPC et celle de la mouvance Al-Qaïda à partir du Soudan puis des pays voisins du Sahel. La présentation, l’automne dernier, par l’ANP d’un activiste étranger, Imad Ibn El-Wahid, abattu non loin de Batna, comme «l’émissaire de Ben Laden dans la région sahélo-maghrébine», a été un moment fort de l’affirmation de cette connexion GSPC-Al-Qaïda. Plus rien n’est venu depuis étayer cette piste. Par contre, l’assimilation du GSPC à Al-Qaïda a glissé imperceptiblement dans les moeurs d’écriture de la presse nationale et bientôt étrangère. Le lien du GSPC avec Al-Qaïda est rapidement devenu, après les attentats du 11 septembre 2001, un cheval de bataille de l’armée algérienne afin de pouvoir intégrer le «front mondial» de la lutte antiterroriste autour des Etats-Unis et de bénéficier des aides militaires qui lui étaient chichement comptées jusque-là. De ce point de vue, la campagne a été couronnée de quelques succès depuis une année, le spectre de Oussama Ben Laden étant bien plus dissuasif pour les services occidentaux que celui de Hassan Hattab. L’exagération des liens du GSPC avec la mouvance Al-Qaïda avait aussi une autre fonction pratique. Elle coupait l’herbe sous les pieds du président Bouteflika qui, à plus d’une reprise, avait laissé entendre qu’il était prêt à rechercher une concorde bis avec l’organisation de Hassan Hattab sur le modèle de celle signée avec l’AIS de Madani Mezrag. Les accusations de filiations du GSPC avec Al-Qaïda ont beaucoup gêné les velléités présidentielles.

El-Kadi Ihsane