Les failles des armées dans la région MENA

The Economist livre une analyse critique

Les failles des armées dans la région MENA

El Watan, 23 août 2015

S’ils veulent être performants sur un champ de bataille, ils doivent d’abord améliorer l’état de leur gouvernance.» C’est la conclusion d’un long article du prestigieux The Economist consacré à l’état des armées dans la région de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Dans cet article livré vendredi dernier, The Economist, disséquant les maux du secteur de la défense dans les pays arabes, relève que malgré les budgets colossaux consacrés à l’armement des troupes, ce secteur reste très peu performant et efficace.

Signalant que les armées arabes n’ont pas eu beaucoup à s’exercer dans des conflits armés, le journal britannique note que depuis les événements de 2011, faussement qualifiés de Printemps arabe, les armées de la région se sont vues engagées dans des combats et conflits.

«Leur ennemis vont de l’Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak, ou encore contre les milices houthies au Yémen, et dans d’autres cas contre leurs propres populations civiles», analyse le journal.

«Avec la réticence des Américains et des Européens à engager encore leurs forces terrestres, la stabilité dans la région dépendra dans une large mesure de la capacité de combat des armées arabes. Sont-elles à la hauteur ?» s’interroge The Economist, répondant qu’il y a peu de raisons de l’espérer. «Même avec des armes et des soutiens occidentaux, beaucoup peinent à garder leur territoire quand les balles commencent à voler», assène le journal, qui cite la désintégration de la très équipée armée irakienne juste après la prise de Mossoul par de petites forces de l’EI.

Autre exemple, celui des armées du Yémen et de Libye. «Mises à l’épreuve sur leurs propres territoires, elles ont tout simplement éclaté», observe The Economist. L’armée libanaise, quant à elle, n’a de contrôle que sur une partie du pays et peine à arrêter le chaos à ses frontières provoqué par la guerre en Syrie.

Quelle est la faille dans ces armées arabes ? The Economist estime que le problème ne réside pas dans le manque d’argent ou d’équipement.

De l’argent gaspillé pour des engins inadaptés

«Les pays de la région consacrent de lourds budgets à la défense. Selon le think tank Institut international des études stratégiques, les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord représentent 8 des 15 plus grands consommateurs d’armement au monde. Le problème réside dans le fait qu’une grande part de cet argent est gaspillée», indique The Economist, en justifiant que des milliards sont dépensés pour l’achat d’engins «flashy» comme des avions de chasse ou des sous-marins qui ont l’air impressionnant mais qui ne sont pas appropriés au type de conflits pour lesquels ils sont utilisés.

Par ailleurs, précise encore le même journal, «le vol et la corruption sont généralisés dans ces institutions, ce qui fait que beaucoup d’équipements disparaissent ou sont conservés dans des casernes, ce qui explique d’ailleurs comment l’EI a pu tant s’équiper en Irak».

Autre plaie du secteur de la défense dans les pays de la région MENA : le manque de priorité dont devrait bénéficier le contrôle sur la logistique et la collecte de renseignements. «Les stratégies dans ces pays manquent de souplesse et sont respectées malgré leurs inefficacité», constate l’analyste britannique, en mettant le doigt sur un grave problème dans les armées arabes : l’absence d’autorité donnée aux jeunes sous-officiers.

Le manque de neutralité politique, une grave dérive

«Le respect de l’ancienneté est la norme dans les sociétés arabes, mais ceci fragilise les petites unités qui sont incapables d’agir rapidement sans attendre l’approbation d’en haut.» Plus grave que cela, souligne The Economist, la grande faiblesse réside dans le manque de neutralité des armées arabes.

«Elles ne fonctionnent pas comme des institutions professionnelles et neutres… Elles sont souvent fidèles à un régime ou une communauté ethnique ou religieuse plutôt qu’à l’Etat.» The Economist cite à ce titre l’exemple des armées syrienne, libyenne ou yéménite «déchirées par des loyautés tribales et régionales». L’implication des militaires dans les domaines économique et politique est une caractéristique de ces armées, surtout depuis les événements de 2011.

«Même les salaires des officiers supérieurs ont été nettement augmentés, car les régimes veulent dissuader des putschistes potentiels.»

La sous-traitance avec des milices dont usent certains régimes dans la région est qualifiée de «grave dérive». «Si les armées arabes sont un rempart contre la propagation de l’EI, elles ont toutefois besoin de profondes réformes», estime The Economist, en préconisant que la première des réformes soit de réduire leur nombre. «Beaucoup sont gonflés avec des troupes mal formées et mal payées.

Les régimes dans la région comptent sur le nombre pour contrer les coups d’Etat», indique le journal, en notant que «les petites forces professionnelles composées de recrues instruites et bien payées se révèlent plus efficaces dans les batailles».

Le think tank londonien International Institute for Strategic Studies indique pour sa part que les allocations budgétaires consacrés à la défense dans la région reflètent un sentiment d’insécurité. Elles sont aussi, selon le même Institut, les moins transparentes dans le monde.
Nadjia Bouaricha