Procès de l’affaire CNAN: 10 ans de prison et mandat d’arrêt requis contre le Saoudien Ghaith Pharaon

Procès de l’affaire CNAN

10 ans de prison et mandat d’arrêt requis contre le Saoudien Ghaith Pharaon

El Watan, 24 septembre 2016

Des peines de 10 et 8 ans de prison ferme assorties d’une amende d’un million de dinars ont été requises, jeudi, par le procureur du tribunal d’Alger, contre respectivement, Ali Boumbar et Ali Koudil, anciens PDG de la Cnan. La même peine assortie d’un mandat d’arrêt a été également demandée contre l’homme d’affaires saoudien Ghaith Rashed Pharaon et Mohamed Tahar Djoudi, tous deux considérés comme étant en état de fuite. L’affaire a été mise en délibéré et le verdict sera connu mercredi prochain.

Pendante depuis plus de 5 ans et après avoir connu deux audiences qui se sont terminées avec deux demandes d’information complémentaire, l’affaire Cnan Group (Compagnie nationale algérienne de navigation) a été enfin jugée par le pôle pénal spécialisé près la cour d’Alger, le verdict sera prononcé mercredi prochain.

Vingt et un prévenus, parmi lesquels deux anciens PDG du groupe, Ali Koudil et Ali Boumbar (le seul en détention, et ce, depuis 54 mois), de nombreux cadres de la compagnie ainsi que l’homme d’affaires saoudien Ghaith Rashed Pharaon (en fuite), sont poursuivis pour plusieurs chefs d’inculpation dont : «violation de la réglementation des marchés publics», «transfert illicite de devises», «dilapidation de deniers publics», «négligence flagrante ayant causé un grave préjudice», «abus de fonction» et «conflit d’intérêt».

En résumé, c’est toute la gestion de la compagnie et de sa flotte à travers de graves dysfonctionnements dans les lourdes factures suspicieuses des arrêts techniques des navires, du transfert douteux de ces derniers vers les chantiers navals étrangers, la cession des bateaux à des prix en deçà de leur valeur et surtout la cession des huit navires à l’homme d’affaires saoudien Ghaith Pharaon, dans le cadre d’une joint-venture, avec la filiale IBC de Cnan Group, qui s’est avérée, une arnaque, selon l’ordonnance de renvoi.

Autant d’affaires qui ont fini par pousser le Premier ministre à demander l’ouverture d’une enquête, à l’Inspection générale des finances (IGF). Les conclusions du rapport font état de graves anomalies et des dysfonctionnements, dont les responsabilités ont été limitées uniquement aux cadres dirigeants de la compagnie, alors les plus hauts responsables de l’Etat ont été destinataires de nombreuses lettres de dénonciation ayant même été rendues publiques à travers la presse nationale.

A aucun moment, Cnan Group n’a porté plainte y compris contre Pharaon, lorsqu’il a pris en otage les marins pour réclamer le payement de lourdes factures suspicieuses. Mieux encore, au moment où le Saoudien étranglait la compagnie maritime, le gouvernement lui cédait la cimenterie de Beni Saf, dont le contentieux n’a toujours pas été réglé.

Une gestion et de graves préjudices

Après une longue audition des prévenus, jeudi dernier, c’est au tour du procureur de faire son réquisitoire. Il commence par présenter les faits, en s’attardant sur Ali Koudil et Ali Boumbar qui, selon lui, en tant que premiers responsables de la compagnie, n’ont pas respecté la réglementation des marchés publics et causé ainsi un grave préjudice.

Il cite «l’affrètement des navires dans des conditions suspicieuses, loin de toute transparence, en privilégiant les uns au détriment des autres, la mise à l’arrêt technique des bateaux, le blanchiment d’argent de la cession des navires, la vente des billets de transport à Marseille, pour les voyages à bord du navire Arielle, sans que les revenus ne soient transférés pour profiter à l’entreprise et, enfin, la cession des 8 navires de la filiale IBC à Ghaith Pharaon, la vente de 779 containers de la compagnie, la vente à un prix dérisoire des biens mobiliers et des équipements de la succursale de Marseille à la société Navimed sont autant de graves négligences qui ont causé un lourd préjudice dont sont responsables les prévenus».

Pour toutes ces raisons, le procureur commence par s’adresser à Ali Boumbar, assis seul dans le box et lui rappelle l’action en justice qu’il avait engagée contre une filiale de la compagnie installée en Belgique et qu’il dirigeait, tout en étant PDG de Cnan Group. Contre lui, il requiert la plus lourde peine, soit 10 ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million de dinars. Contre Ali Koudil, il demande 8 ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million de dinars.

Mandat d’arrêt et peine maximale de 10 ans contre les deux absents

Une peine de 7 ans de prison ferme et une amende d’un million de dinars a été requise contre Kamel Bouabbes et Mohand Ouramdane Amor et une peine de 5 ans de prison ferme et un million de dinars contre Mohamed Senousi (ancien président de la SGP Gestramar), Nasreddine Mansouri, Ali Djebari, Hamid Habchi, Abdelhamid Draa, Djamel Bouterfa, Mohamed Nabil Chaaf, Ahmed Amokrane, Omar Bouaiche, Khaled Benyahia et Mohamed Meziach.

Une autre peine de 3 ans de prison ferme et une amende d’un million de dinars a été requise contre Amara Mohamed Rafik Belhadj, une autre de deux ans, assortie d’une amende de 20 000 DA contre Laaziz Bouzidi, et Mohamed Mouloud Hached. Pour ce qui est des deux prévenus considérés comme étant en fuite, à savoir l’homme d’affaires saoudien Ghaith Rashed Pharaon et Mohamed Tahar Djoudi, le représentant du ministère public a requis la peine maximale de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million de dinars et du lancement d’un mandat d’arrêt.

Les demandes surprennent les prévenus et leurs avocats qui s’attendaient à des peines moins lourdes. La majorité des avocats ont préféré présenter leurs demandes par écrit étant donné qu’ils ont plaidé à deux reprises auparavant. Seuls quelques-uns se sont succédé devant la barre, pour clamer l’innocence de leurs mandants.

Le président donne la parole aux prévenus. Ali Boumbar déclare : «La seule chose de vraie dans ce dossier c’est ma signature sur le contrat de cession des navires à Pharaon. Elle est là, je le reconnais. Mais je n’ai pas pris la décision ni négocié le contenu de cet accord. C’est l’assemblée générale qui est propriétaire du groupe Cnan qui l’a décidée.

Je n’ai fait qu’apposer ma signature à côté de celle du président du conseil d’administration. Je n’avais aucun pouvoir pour donner des avantages. Il est dit que j’ai accepté l’offre de Pharaon. C’est faux parce qu’il y a eu une contre-offre de la Cnan. Ce qui s’est passé après relève de IBC et de Pharaon. Les navires sont toujours propriété de l’Algérie. Ils n’ont jamais été vendus.

C’est une cession des parts d’une filiale du groupe Cnan.» Il est interrompu par le procureur : «Monsieur le président, le prévenu est en train de revenir sur l’affaire alors qu’il lui est demandé juste le dernier mot. Il s’est expliqué durant l’interrogatoire. Il n’a pas le droit de revenir sur le fond…» Le président : «Je suis le seul habilité à remettre les pendules à l’heure. Je lui permets de se défendre parce qu’il est jugé sans avocat et que rien n’interdit de le laisser parler autant qu’il le veut.

Il est en détention depuis plus de 4 ans, il doit avoir des choses à dire.» Ali Boumbar reprend la parole et revient sur l’affaire de la plainte qu’il a déposée contre la filiale de Cnan Group en Belgique : «Une année après avoir quitté mon poste à la tête de cette filiale et après que les négociations aient échoué, j’ai déposé une plainte auprès des prud’hommes pour récupérer mes droits. Pour ce qui est de la vente du mobilier et des équipements du bureau de Marseille, l’IGF l’a estimé à 23 000 euros, et moi, j’ai obligé Navimed à le racheter à 81 000 euros, où est la dilapidation ? A propos des containers, j’ai fait un calcul.

J’aurais payé un loyer de 10 millions de dollars si je les avais gardés. Je les ai cédés à un million de dollars, alors que la partie adverse réclamait 2,7 millions de dollars. Le contrat a été signé en toute transparence. Je veux que justice me soit rendue. Je suis injustement incarcéré.» Ali Koudil est absent pour des raisons de santé et le président appelle les autres prévenus qui, tous, réclament la relaxe. L’affaire est mise en délibérée et le verdict sera connu mercredi 28 septembre.

Salima Tlemçani


Une cession et de graves préjudices

Deux ans après sa venue en Algérie vers 2007, Ghaith Rashed Pharaon obtient le rachat de 51% du capital d’International Bulk Carriers (IBC), une filiale du groupe CNAN.

L’opération a été chapeautée par la SGP Gestramar et Pharaon s’est engagé publiquement à investir 50 millions de dollars dans le renouvellement de la flotte et son développement. Mais une fois dans le capital d’IBC, Pharaon prend possession d’une flotte de 8 navires pour seulement 9 millions de dollars. Il met 5 millions de dollars dans les comptes d’IBC, considérés comme un prêt remboursable (selon le contrat de cession, sur cinq ans, un million de dollars par an), avec le produit de l’affrètement de la flotte.

Or, deux ans plus tard, deux cadres de CTI Group, dont il est propriétaire, vont créer, aux îles Caïmans, la société Leadarrow avec un capital social de 1000 dollars. Celle-ci va tout de suite bénéficier de l’exploitation des 8 navires cédés à Pharaon. Cette exploitation devient de plus en plus coûteuse pour la Cnan, mise dans l’obligation de payer les factures suspicieuses de réparation dans les chantiers roumains et grecs pour uniquement trois navires, le Blida, le Nememcha et le Nedroma.

Evaluées initialement à 3 millions de dollars, celles-ci vont atteindre les 17 millions. De quoi acheter une nouvelle flotte. Les cinq navires restants rapportent au Saoudien plusieurs dizaines de millions de dollars. Vers 2009, l’ex-présidente-directrice générale du groupe Cnan, après avoir suspecté une surfacturation des travaux de réparation, exige de la CTI la présentation des factures détaillées avant tout virement au profit de Leadarrow. Le montant payé par la compagnie a déjà atteint 4 millions de dollars. Devant le refus de CTI, les virements sont bloqués.

C’est alors que Pharaon décide d’agir par le biais de la société Leadarrow, laquelle dépose une plainte auprès du tribunal maritime de Londres. La bataille juridique dure plus de 16 mois à l’issue desquels Cnan Group obtient gain de cause. Pour le tribunal, Leadarrow n’a pas à payer les réparations des navires et IBC-Cnan n’a pas à rembourser les frais de Leadarrow qui, de ce fait, ne peut prétendre à une compensation entre ce qu’elle doit payer comme réparations et comme revenu à IBC.

En clair, Pharaon est totalement débouté. La décision est définitive. Elle n’est sujette à aucun recours. Pharaon saisit alors la Chambre internationale de commerce (CIC) de Paris, au moment où l’équipe juridique, qui a géré son dossier à la Cnan, est sommée au départ sans explication. Ses alliances avec certains hauts responsables lui ont permis d’écarter tous les cadres qui gênaient ses intérêts et gagner haut la main son procès. Il oblige la compagnie à lui payer 17 millions de dollars, de quoi acheter une nouvelle flotte.

La décision de la CCI de Paris a fait tache d’huile dans le milieu de l’arbitrage. En effet, Brahim Fardallah, l’arbitre choisi par Ghaith Pharaon, a violé l’«obligation de déclarer tout lien avec l’une ou l’autre partie en conflit», comme le stipule la charte de l’institution commerciale. Il a tout simplement évité de révéler le fait qu’il habite le même immeuble et le même palier que Ghaith Rashed Pharaon, dans le 8e arrondissement, à Paris (France). Une faute qui aurait donné une autre tournure au procès. Fort de la décision, Pharaon s’accapare de trois navires, le Nedroma et le Nememcha, après avoir vendu le MV Blida dans des conditions suspicieuses.

L’homme d’affaires continuait de bénéficier de privilèges alors qu’il avait déjà désarmé et abandonné l’ensemble de la flotte qui lui a été confiée ? les navires Djebel Onk, Djbel Refaa et Djebel Ksel ont été désarmés et amarrés en Pirée (Grèce), et Blida déclaré en totale déperdition sans aviser la CNAN, pour empocher plus de 4 millions de dollars auprès des assurances et enfin Nememcha, Aïn Témouchent, Nedroma et El Hadjar totalement abandonnés en Asie.

Salima Tlemçani