Moines de Tibehirine: lois d’amnistie et lenteurs de la justice dénoncées par la partie civile

Moines de Tibehirine: lois d’amnistie et lenteurs de la justice dénoncées par la partie civile

AP | 24.03.06 | 15:11

PARIS (AP) — Dix ans après l’enlèvement de sept moines français à Tibehirine en Algérie, assassinés en mai 1996, l’avocat de leurs familles dénonce la lenteur de l’instruction menée en France par le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière et les récentes lois d’amnistie votées en Algérie.

Depuis l’ouverture en février 2004 d’une information judiciaire, « peu de choses ont été faites », a dénoncé vendredi Me Patrick Baudouin lors d’une conférence de presse à la FIDH (Fédération internationale des droits de l’Homme).

Pour le juge, « la vérité doit être cherchée en Algérie », a noté l’avocat. « C’est contestable. Car il y a un volet algérien, mais il doit y avoir un autre volet dans cette affaire car nous avons peu d’illusions sur la position algérienne ».

Selon Me Baudouin, l’enquête en Algérie sera d’autant plus difficile que des lois d’amnistie ont été votées dans ce pays pour tous les auteurs des infractions commises durant les années noires. Et elles prévoient trois à cinq ans de prison pour toute personne qui utiliserait « les blessures de la tragédie d’Etat » pour ternir l’image de l’Algérie ou fragiliser l’Etat.

L’avocat demande donc au juge Bruguière d’entendre une liste de 36 personnes pour faire avancer l’enquête. Des auditions que le juge a acceptées d’effectuer, mais après le retour de la commission rogatoire internationale lancée en Algérie en 2004.

Il s’agit notamment de l’ancien Premier ministre Alain Juppé, de ses ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères de l’époque, Jean-Louis Debré et Hervé de Charette, de Jean-Charles Marchiani, intervenu dans les négociations, du général Philippe Rondot (DST) et de trois islamistes repentis: Ali Benhadjar, un ex-émir du GIA, Mohammed Samraoui, un ancien colonel du DRS (Département algérien de renseignement et de sécurité), et Abdelkader Tigha, un cadre du DRS.

Me Baudouin a dénoncé l’attitude du magistrat qui est sourd aux demandes des parties civiles. « La réputation du juge Bruguière est largement surfaite. S’il a connu certains succès, il y a aussi une panoplie d’échecs qui parsèment désormais sa carrière », a lancé l’avocat.

Devant l’insistance de la partie civile, M. Bruguière a promis de rapatrier le volet algérien de l’enquête d’ici la fin avril et d’entendre la plupart des personnes sur la liste d’ici cet été.

En attendant, les familles des moines et des confrères ont prévu un pèlerinage en Algérie pour commémorer les dix ans de leur enlèvement. « Environ 70 personnes ont prévu d’y aller », a déclaré le père Armand Veilleux, numéro deux de l’ordre cistercien.

Les sept moines trappistes ont été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 par un groupe d’hommes armés. Le 26 avril, un premier communiqué du GIA revendiquait l’enlèvement. Le 21 mai, le GIA annonçait l’exécution des moines. Dix jours plus tard, les autorités algériennes révéleront la découverte de leurs têtes.

Têtes dont Me Baudouin demandera peut-être l’autopsie. « Je les ai vues pour les identifier », a déclaré le père Veilleux. « Elles me paraissaient comme momifiées. On m’a expliqué qu’elles avaient été enterrées, puis déterrées et nettoyées ». AP