Procès Frik: Une expertise controversée et une séance agitée

Procès Frik

Une expertise controversée et une séance agitée

Le Quotidien d’Oran, 25 avril 2005

Au 5e jour du procès de la dilapidation de biens publics de la wilaya d’Oran, au niveau du tribunal criminel près la Cour d’Alger, il revenait à l’expert chargé par l’instance de l’évaluation du préjudice causé à l’Etat d’apporter ses éclairages. Son estimation globale, contestée par la défense, s’élève à 195.977.838 dinars.

Les auditions d’hier ont été surtout marquées par une polémique opposant l’expert, les avocats de la défense et le ministère public. Elle concernait les prix mis en avant par l’évaluation. La querelle a porté plus précisément sur les prix officiels déclarés, ceux du marché, et les prix actualisés. L’expert désigné sur réquisition du tribunal le 20 avril 2004 a passé en revue les parcelles de terrain, les logements et locaux commerciaux objet de dilapidation de biens publics, selon l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation. Son estimation globale était d’un peu plus de 239 millions de dinars. Le tribunal lui demandera de corriger ce montant global, vu que certains lots concernés par l’expertise n’avaient pas été retenus dans cette affaire par la chambre d’accusation. La présidente l’a invité, au cours de son audition, à retirer de l’expertise les parcelles de terrain ne figurant pas dans l’arrêt de renvoi. Elle lui demandera également de rectifier certaines données qui n’ont pas été prises en considération dans l’expertise. Ces rectifications créeront un incident avec les avocats de la défense.

Pour la parcelle située à Hay El-Moudjahidine, il estimera qu’il y a eu détournement de terrain puisque le projet initial n’a pas été concrétisé. Cette parcelle a été cédée par l’agence foncière d’Oran en 1995 à l’ancien ministre des PTT pour une valeur de 600.000 dinars soit 557 dinars/m². Il la revendra quelque temps plus tard à une autre personne pour 2,7 millions de dinars, soit 2.500 dinars/m². « Une différence de 2,1 millions de dinars ». L’expert précisera que la terre, par sa configuration, est très « convoitée ». « Le prix du m² s’élève pour la même période à 5.000 dinars. L’estimation immobilière du terrain est donc de 5,403 millions de dinars. Le préjudice est de 10.206 millions de dinars », indiquera l’expert, tout en ajoutant que la vente aux enchères du terrain aurait rapporté plus de 10 millions de dinars.

Le terrain de Hay Ibn Rochd est à l’origine de l’incident avec la défense. Vendu initialement par l’Agerfo pour 3,6 millions de dinars à l’ancien ministre et à un général, il sera morcelé en trois lots, dont le plus important, de 1.208 m², sera cédé à une Sarl pour 2,22 millions de dinars. Son estimation est de 8,2 millions de dinars. L’estimation se base sur un prix moyen de 4.000 dinars/m². « Le préjudice est de 5,3 millions de dinars », estimera l’expert.

Il présentera une deuxième hypothèse sur la valeur actuelle du marché, qui sera contestée par la défense et refusée par la présidente du tribunal. Une véritable agitation de la défense se créera face à cette estimation de 25,5 millions de dinars, qui accusera l’expert de « manipulation et d’élucubration ». Ce qui vaudra à la défense les remontrances de la présidente et le rappel que l’expertise est à titre indicatif. L’expert mettra en avant « certaines omissions » existant dans le rapport transmis à la justice. Il se fera rappeler lui aussi à l’ordre. « Je n’aime pas être tarabusté », dira-t-il. Le terrain de Hay Seddikia a été vendu initialement par l’Agerfo à un particulier pour une valeur de 2,90 millions de dinars, qui l’échangera par la suite contre 2 magasins et un appartement. L’estimation immobilière s’élève à 52,40 millions de dinars, basée sur un prix du m² à 4.000 dinars. « Le préjudice est de 49,49 millions de dinars », dira l’expert. Pour la parcelle de Hay El-Othmania, vendue par l’Agerfo à une autre personne pour 217.120 dinars, qui la revendra par la suite pour 2,5 millions de dinars, l’expert relèvera que son prix immobilier est de 4,91 millions de dinars (5.000 dinars/m²) et « le préjudice causé s’élève à 4,69 millions de dinars ». Le terrain de Hay Salem, vendu à l’épouse de M. Frik par l’Agerfo pour 1,65 million de dinars, vaut, selon l’expert, « 6 millions de dinars ». Le préjudice causé est de 4,416 millions de dinars.

Pour Hay Fellaoussène, l’expert estimera que la valeur du m² est de 3.000 dinars. L’estimation immobilière est 79,80 millions de dinars. Le préjudice causé est de 79,53 millions de dinars. Quant au lot acheté par l’épouse de l’ex-directeur de l’agence foncière à El-Othmania, l’expert indiquera que le préjudice ne peut être quantifié, dans la mesure où 28 autres personnes ont acheté, dont « M. Balasse », ajoutera-t-il. La plus value par contre tirée par la vente du terrain s’élève à 300.000 dinars.

Pour les 17 hectares de Misserghine, achetés à 120 millions de dinars par l’Agerfo, il dira que le préjudice n’est calculé que sur 5 hectares qui n’ont pas été utilisés. Il s’élève, pour lui, à 36,94 millions de dinars. Quant aux logements sociaux, l’expert précisera que l’on ne peut évaluer un préjudice car les logements sont incessibles. « Il n’y a pas de préjudice. Si ces logements ont été attribués à tort, des mesures peuvent être prises pour les récupérer », indiquera-t-il. Il n’a pas pu non plus déterminer le dépassement de 13% du quota du wali, il soulignera seulement que sur tous les logements sociaux distribués, seulement 9 ont été attribués à des personnes ayant déjà un appartement. Concernant les cinq locaux commerciaux, trois n’étaient pas concernés par l’expertise, ceux attribués à l’épouse de M. Frik et à son gendre ont été estimés. Pour celui de Mme Frik, il estimera que le préjudice est de 3,3 millions de dinars. Celui de son gendre est de 2,193 millions de dinars. 3 locaux et 3 parcelles de terrain n’étaient pas concernés par l’expertise, rappellera la présidente du tribunal. Le montant global du préjudice estimé s’élève à 195.977.838 dinars.

Les avocats de la défense contesteront les estimations de l’expert. Leurs questions seront centrées dans un premier temps sur le temps qu’il a mis pour réaliser son expertise et celui qu’il a passé à Oran ainsi que sur le montant de l’expertise. « Je suis resté le temps qu’il fallait », dira-t-il, refusant de répondre pour le reste. Il refusera également de répondre à l’explication du terme « raisonnablement » utilisé pour qualifier le prix moyen du m². « Ah non ! Là ce n’est pas pareil », s’exclamera la présidente. Ce prix moyen de référence utilisé par l’expert a été critiqué par la défense. « Pourquoi ne s’est-il pas basé sur les prix des transactions à ce moment-là ? », a interrogé un avocat. L’expert répondra que ce prix est basé sur les investigations qu’il a menées. Quant aux locaux commerciaux, il dira qu’il a pris en considération « les prix déclarés et non les prix réels » des transactions de revente et du droit de bail dont il a eu connaissance auprès d’un acheteur. L’ex-directeur de l’agence foncière demandera pourquoi il a pris deux procédures différentes pour estimer le préjudice à Ibn Rochd et à Hay Othmania. Il répondra que c’est le travail d’expertise.

Un avocat mettra en avant la présence de la partie civile, le directeur du contentieux de la wilaya, lors des réunions de l’expert avec l’exécutif local. Il l’interrogera également sur les planches présentées, d’autant que celle de Misserghine met en avant un projet de route, dira-t-il, alors que c’est une autoroute de 4 voies ouverte à la circulation depuis deux ans. « S’il n’a pas pu voir la route, je ne vois pas comment il a pu voir les prix », dira Me Gouadni. L’expert s’énervera à ce moment-là. L’avocat se fera rappeler à l’ordre par la présidente. « Je conteste la qualité du document remis à la justice. J’ai peut-être une attitude qui déplaît, mais ce rapport me déplaît », justifiera-t-il.

L’audience s’est poursuivie par l’audition du représentant de la partie civile, la wilaya, en l’occurrence le DRAG. Il relatera la genèse des faits. « Mandaté par le wali, j’ai déposé plainte. Il y avait eu des dénonciations, des lettres anonymes, des rencontres avec des citoyens et des électeurs concernant le foncier. Il a demandé à la police d’ouvrir une enquête administrative à ce sujet durant le mandat de M. Frik. En consultant les éléments de l’enquête policière, on m’a demandé de cerner les carences et toutes les violations constatées », dira-t-il.

C’est le wali, ajoutera-t-il, qui le lui a demandé. La défense demandera « acte » de ces déclarations concernant la consultation des éléments de l’enquête policière au préalable. Il réagira sur les déclarations de M. Frik concernant le rôle d’alerte et de contrôle de la DRAG pour le terrain Ibn Rochd affecté au préalable aux PTT. La présidente l’interrogera sur ce fait précisément. Il dira que la DRAG n’a aucun outil de contrôle préalable, car cela relève des domaines. Il n’a appris que par la suite que le terrain était déjà affecté. Il ne pouvait non plus quantifier le laps de temps mis entre la signature de l’arrêté et la plainte déposée par les PTT au niveau de la chambre administrative.

Les auditions se sont terminées avec l’intervention de la représentante des PTT d’Oran. Le tribunal écoutera aujourd’hui le réquisitoire du procureur général et les plaidoiries de la défense.

Samar Smati