Les avocats ne veulent pas du statut

plus de 1 000 signatures pour le retrait du projet

Les avocats ne veulent pas du statut

Par : Nissa Hammadi, Liberté, 16 juin 2011

Le projet de loi, portant organisation de la profession d’avocat, présenté mercredi dernier par le ministre de la Justice devant la commission des affaires juridiques et administratives et des libertés de l’APN, suscite de grandes inquiétudes au sein de la corporation des robes noires.

Près de mille avocats et avocates ont demandé au président du conseil de l’ordre du barreau d’Alger de convoquer une assemblée générale extraordinaire pour arrêter une position et les démarches à entreprendre par rapport à ce projet de loi. Ce conclave aura lieu, samedi prochain, à la salle de conférences de l’université de Bouzaréah. La tendance s’oriente d’ores et déjà vers des actions pour revendiquer le retrait pur et simple de ce texte dont certains de ses articles ont été, dès son annonce, dénoncés par cette corporation. Il s’agit notamment des articles 9, 24 et 124 qui font référence à d’éventuels incidents qui pourraient survenir lors des audiences et dont se rendrait coupable un avocat en plaidoirie devant le juge. Ces articles suggèrent la suspension pure et simple de l’avocat en attendant de le déférer devant le conseil de discipline. Selon ce nouveau texte, lorsque le bâtonnier est saisi par le procureur général sur le cas d’un avocat, il doit, à son tour, saisir le conseil de discipline qui doit statuer dans les deux mois de sa saisine. Passé ce délai, le ministre de la Justice peut actionner la commission nationale de recours qui doit, elle aussi, statuer sur l’action disciplinaire dans un délai de deux mois. Ce qui indigne les avocats, dont la profession est régie actuellement par un conseil de l’ordre, à l’instar des médecins et autres professions institutionnelles, c’est de voir un élément extérieur, en dehors de l’ordre des avocats, intervenir pour normaliser la profession. Cela, en plus du fait que, en attendant le verdict de la commission disciplinaire, l’avocat ne sera pas autorisé à plaider. Cette disposition constitue, selon les membres de cette corporation, une atteinte aux droits de la défense et des justiciables. En fait, l’article 24 accorde tout simplement une certaine autorité disciplinaire du parquet et du ministère de la Justice sur les avocats. Les décisions et délibérations des assemblées et même le conseil de l’Union et l’assemblée générale des barreaux — qui est l’instance souveraine — seront ainsi sous le contrôle du ministre de la Justice qui peut donc soumettre à la censure des juridictions administratives les décisions et délibérations des barreaux et de l’Union des barreaux. Selon le barreau d’Alger, les articles en question sont problématiques parce qu’ils constituent une sorte d’emprise sur la liberté d’action de l’avocat. L’avocat risque une suspension tout simplement en s’élevant contre le non-respect des règles de la procédure. L’obligation sera faite désormais à l’avocat, menacé de poursuite pénale, de ne pas se retirer d’une audience, même lorsque le déroulement d’un procès est biaisé.
“Si on ne protège pas l’avocat dans l’exercice de sa profession, on ne risque pas d’avoir une défense libre et indépendante. L’immunité de l’avocat au moment de l’exercice de la profession est la garante du respect des droits de la défense”, soutient-on à ce niveau. Enfin, la tranche jeune de la corporation conteste, quant à elle, un certain nombre de dispositions contenues dans le projet de loi. Il s’agit notamment de celles qui conditionnent la possibilité de plaider pour un jeune avocat au niveau de la cour après sept ans d’exercice auxquels s’ajoutent les deux années de stage et deux années de Capa. Pendant cette période, ils ne peuvent plaider qu’au niveau des tribunaux et risquent, de ce fait, la marginalisation et le manque d’expérience.


Me Benissad, avocat et vice-président de la Laddh, à “Liberté”

“Il faut se mobiliser contre la remise en cause de l’indépendance du barreau”

Par : Nissa Hammadi, Liberté, 16 juin 2011

Liberté : Quelle est votre position par rapport au projet de loi relatif à l’organisation de la profession d’avocat ?
Me Benissad : La philosophie du projet de loi à travers certaines de ses dispositions est une atteinte au principe de l’indépendance du barreau et, par conséquent, aux droits de la défense. Pourtant la Constitution algérienne et les instruments juridiques internationaux, notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international sur les droits civils et politiques ratifiés par l’Algérie et publiés au Journal officiel de la République algérienne, garantissent les droits de la défense. Par les droits de la défense, il faut entendre les droits des justiciables et, donc, les droits des citoyens dont les avocats ne sont que les voix ou les porte-voix. Le huitième congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants avait adopté à La Havane, en septembre 1990, les principes de base relatifs au rôle du barreau, principes destinés à aider les états dans la promotion et la concrétisation du juste rôle de l’avocat dans la société. Ce sont ces principes que l’assemblée générale des Nations unies, dans sa résolution 45/21 de décembre 1990, a déclaré “accueillir avec satisfaction” en invitant les gouvernements à s’en inspirer pour l’élaboration de textes législatifs et de directives appropriés et à faire des efforts pour appliquer les principes énoncés dans ces résolutions, les principes de base évoquent le rôle du barreau, la liberté d’exercice de la profession d’avocat. Le texte étant déclaratoire, donc non contraignant, mais constituant à n’en pas douter des obligations morales pour les états membres dont notre pays fait partie.

Des ateliers ont été formés au niveau du barreau d’Alger pour étudier article par article ce projet de loi. Qu’est-ce qui ressort d’emblée de la lecture de ce texte ?
Une étude du conseil de l’ordre fait ressortir que le terme ministre de la Justice garde des Sceaux est utilisé 42 fois dans le projet de loi, de l’accès à la profession jusqu’aux conditions d’exercice de la profession. Un certain nombre de dispositions sont de véritables atteintes aux droits de la défense et à son indépendance, notamment celles se rapportant aux incidents d’audience dont la teneur de l’article constitue une épée de Damoclès sur l’avocat et qui remet en cause le principe de la libre plaidoirie et une ingérence dans le pouvoir disciplinaire du bâtonnier. Il en est de même pour le pouvoir dévolu au juge pour effectuer des perquisitions de cabinets d’avocats sans la présence du bâtonnier ou de son représentant, portant ainsi atteinte à l’inviolabilité du cabinet d’avocat et au secret professionnel auquel il est tenu. Le ministre de la Justice garde des Sceaux peut introduire des recours sur pratiquement toutes les délibérations des conseils de l’ordre, des assemblées générales des avocats, des assemblées générales des conseils de l’ordre et des délibérations de l’union nationale des barreaux, et même des élections des conseils de l’ordre. Ceci étant dit, les avocats ne sont pas au-dessus des lois, et il appartient aux ordres des avocats de sévir à l’encontre des avocats véreux et indélicats pour ne laisser aucune équivoque en matière disciplinaire.

Qu’est-ce qu’il y a lieu de faire aujourd’hui ?
à mon avis, il y a lieu de limiter l’élection du bâtonnier à un seul mandat de trois ans non renouvelable pour permettre l’alternance et veiller aussi au respect des règles déontologiques et de la loi. C’est au projet de loi d’être en conformité avec la Constitution et les conventions internationales des droits de l’Homme ratifiées par l’Algérie ainsi que les traditions du barreau et non le contraire. C’est vrai que l’indépendance ne s’offre pas. C’est un bien que la profession devrait cultiver et garder jalousement à l’abri de toute attaque. Un pouvoir judiciaire indépendant et un barreau indépendant constituent les deux piliers du régime de droit. Si ces deux piliers perdent de leur indépendance, ce sera la mort du régime de droit.
Là où il n’y a pas de régime de droit, il n’y a pas de droits de l’Homme. Un homme dépouillé de ses droits est un homme dépouillé de sa qualité d’homme. La civilisation ne se mesure pas à la fortune ou aux biens matériels dont jouissent les gens, mais, comme le disait un grand philosophe, “c’est la manière dont la justice est rendue, la manière dont les hommes réagissent à l’injustice et cherchent à la réparer”. Les avocats ainsi que tous ceux et celles dans notre pays qui sont épris des idéaux de justice doivent se mobiliser contre la remise en cause de l’indépendance du barreau.