Avocats: Après la colère, la satisfaction

Après la colère, la satisfaction

El Watan, 21 juin 2007

Le conflit opposant les avocats aux pouvoirs publics semble tirer à sa fin. Une réunion a regroupé, hier au siège du ministère de la Justice, les 13 bâtonniers de l’Union des barreaux d’Algérie avec le secrétaire général de la chancellerie, réunion au cours de laquelle « tous les problèmes ont été posés, et des engagements ont été donnés pour qu’ils soient réglés ».

C’est ce qu’a déclaré hier M. Sillini à l’issue de la réunion qui a duré plus de cinq heures. L’avocat a estimé que le débat était très « satisfaisant » et a permis de « lever toute équivoque ». Selon lui, l’assemblée générale extraordinaire prévue aujourd’hui et demain n’a plus de raison d’être, alors que pour le boycott des audiences de la cour d’Alger, c’est au conseil de l’ordre, dont la réunion est prévue aujourd’hui, de prendre la décision qu’il faut du fait que le problème ne peut être réglé dans l’immédiat. M. Sillini s’est déclaré « satisfait » de la rencontre puisque, a-t-il noté, le ministère s’est montré « disponible » à clore définitivement cet épisode de contestation. Il est à signaler que les avocats ont observé lundi dernier un sit-in devant la cour d’Alger pour protester contre « les nombreuses violations aux droits et à la défense » dans les différents tribunaux et cours d’Algérie. A Alger, ils boycottent depuis près de trois semaines les audiences de la cour, poussant les magistrats à juger les affaires par défaut ou en l’absence de la défense. Une situation qui a commencé à exacerber les justiciables. Cette action a été menée pour dénoncer leur exclusion de la nouvelle bâtisse à travers le fait que les concepteurs n’avaient pas prévu de parking, de bureaux, de salles de conférence et de bibliothèque pour les avocats. Il est également important de rappeler que la crise entre le conseil de l’ordre et la chancellerie a commencé en février dernier, période où une plateforme de revendications a été adressée à la chancellerie.

Salima Tlemçani

 


Abdelmadjid Sillini. Président de l’Union des barreaux d’Algérie

« La justice de la célérité est une violation du droit à la défense »

El Watan, 21 juin 2007

Les avocats satisfaits du dialogue avec la chancellerie : résultat du mouvement de protestation mené depuis trois semaines. Des propos tenus par maître Abdelmadjid Sillini, président de l’Union nationale des barreaux d’Algérie et bâtonnier d’Alger, lors de l’entretien qu’il nous a accordé.

– La contestation entre déjà dans sa troisième semaine, du moins pour les avocats du barreau d’Alger. Quels sont les motifs de cette colère et quel bilan faites-vous des actions engagées ?
– Comme l’affirment tous mes confrères au niveau national, les droits des avocats rétrécissent comme une peau de chagrin et la situation va de mal en pis. C’est le ras-le-bol général. Aucun avocat ne peut prétendre aujourd’hui le contraire. La démarche actuelle de la chancellerie est l’exclusion de la corporation du secteur de la justice. La preuve la plus flagrante est la modification du plan de la nouvelle cour d’Alger pour supprimer les espaces prévus pour le barreau, en l’occurrence des bureaux, une salle de conférence et une bibliothèque, et qui sont nécessaires pour l’exercice de la profession. La défense fait partie de la justice et ne peut être à ce titre écartée.

– Certains de vos confrères estiment que les problèmes que rencontre la profession dépassent de loin les histoires de parking et de bureaux. Qu’en pensez-vous ?
– Je suis entièrement d’accord avec eux. Le mal est beaucoup plus profond. J’estime que l’avocat ne peut plus assumer sa mission dans les conditions actuelles. Il est carrément privé de son droit de plaider…

– Comment ?
– A travers le fait que l’on oblige les juges à ne pas dépasser trois audiences. Ce qui se fait au détriment de la défense, laquelle se retrouve empêchée de plaider. Le juge doit être un arbitre dans un procès et doit contribuer pour préserver l’équilibre dans le débat. Or l’approche actuelle viole ce principe. On veut donner l’impression qu’il n’y a plus de retard dans le jugement des affaires. Mais la réalité est tout autre. Plus de 80% des jugements et arrêts sont rendus par défaut, c’est-à-dire en l’absence des parties. La justice de célérité est rendue au détriment des justiciables. Les magistrats n’ont pas suffisamment de temps pour juger sérieusement une affaire. Ils obéissent à des instructions et par conséquent, ils n’assument pas leur mission d’arbitrage dans un procès.Je peux vous dire sans me tromper que 90% des avocats sont empêchés de plaider convenablement. Les codes de procédures sont quotidiennement violés. De ce fait, les barreaux ne peuvent peuvent cautionner une telle démarche qui est l’antinomie même d’un procès équitable. Il faut revenir au respect des parties et garantir l’équilibre dans un jugement.

– Est-ce que les actions menées jusqu’ici ont abouti à un résultat ?
– Elles ont abouti au moins à l’ouverture d’un dialogue avec la chancellerie. Nos interlocuteurs ont compris qu’ils ne peuvent continuer à fonctionner en excluant une partie importante dans la justice. Nos actions nous ont permis de pousser à l’ouverture du dialogue avec la chancellerie, laquelle s’est engagée à prendre en charge les revendications. Ce qui a permis de renvoyer la réunion extraordinaire du conseil national pour aujourd’hui et demain.

– Pourquoi, selon vous, certains bâtonniers se sont démarqués de vos actions, dont ceux de Constantine et de Batna ?
– Je ne peux commenter leur décision. Mais je tiens à préciser que notre réunion d’hier a regroupé les 13 bâtonniers des barreaux composant l’union nationale. Ce qui veut-dire que finalement, ils se sont tous inscrits dans la démarche et ne peuvent être à contre-courant de la plateforme de revendications remise au mois de février dernier au ministre de la Justice et dont le contenu n’a pas changé. Il s’agit, entre autres, de faire cesser rapidement les poursuites engagées contre les avocats dans le cadre de l’exercice de leur profession, juste parce que la corporation ne veut pas céder au sujet du projet de statut des avocats. Certains cercles de la chancellerie, qui voient les avocats comme des ennemis des magistrats, veulent un texte selon leur vision. Ils veulent, et pour ne citer que cet exemple, changer la composante de la chambre mixte (quatre avocats et trois magistrats) pour que les magistrats soient plus nombreux. Cette chambre, qui est une voie de recours pour les confrères traduits devant le conseil de discipline, a été qualifiée de modèle par la commission des droits de l’homme européenne. Elle a toujours fonctionné sans provoquer un quelconque incident. Ce sont les quelques points refusés et que certains cercles de la chancellerie veulent faire aboutir à tout prix. De plus, nous nous sommes rendu compte qu’à chaque fois que les avocats acceptent un point de ce statut ou en proposent un autre, le ministère refuse. L’esprit de confiance ne règne plus. Ce qui est inacceptable.Mais les engagements de la chancellerie me permettent d’être satisfait.

Salima Tlemçani