La France rattrapée par son passé colonial

La France rattrapée par son passé colonial

Une loi scélérate à supprimer

Le Quotidien d’Oran, 18 octobre 2005

«Il faut faire avec la loi du 23 février de même qu’avec toutes les lois scélérates: la supprimer, purement et simplement». L’éditorialiste du journal français Libération n’y va pas par quatre chemins pour dénoncer une loi qu’il qualifie de «bassesse» avant de conclure que la chose positive faite par la France dans les colonies et en Algérie est d’en être partie.

La commémoration du massacre du 17 octobre 1961 montre que la mobilisation contre la loi scélérate ne faiblit pas. Les historiens français qui ont été les premiers à fustiger une loi qui leur impose une forme de lecture officielle de l’histoire restent mobilisés. Des dizaines de milliers de professeurs d’histoire français continuent à rejeter dans le fond et dans la forme un texte dont ils demandent l’abrogation. C’est une forme de désobéissance civile des enseignants qui rend déjà le texte législatif inapplicable. Chose désormais confortée par le ministre de l’Education français, théoriquement en charge de l’injonction législative contenue dans l’art 4 de la loi exigeant que les «programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit».

Dans une déclaration au Journal du Dimanche, le ministre de l’Education, Gilles de Robien, prend acte de la résolution des enseignants français en soulignant que «l’article 4 de la loi du 23 février 2005 n’implique aucune modification des programmes actuels d’histoire qui permettent d’aborder le thème de la présence française outre-mer dans tous ses aspects et tous ses éclairages». Bref, les enseignants d’histoire français ne sont pas tenus de mettre en application cette loi imposant une reconnaissance des aspects «positifs» de la colonisation. Un «habile déminage» estime Libération d’une loi qui, aujourd’hui même, dans une France rattrapée par un passé colonial qui «nourrit au présent des identités traumatiques concurrentes».

La loi du 23 février n’est pas une provocation pour les seuls Algériens, elle a des effets pervers dans le tissu social français lui-même. «La ligne de fracture mémorielle recouvre ainsi une ligne de fracture sociale. Les plaies d’une mémoire coloniale meurtrie (qui pouvait être bien souvent perdue mais se reconstitue rapidement, même de façon mythique) sont comme réactivées par le contexte de la dureté économique, sociale, politique, pour les jeunes issus de l’immigration…». Qu’une loi édicte que la colonisation a eu un «rôle positif» n’est pas la meilleure manière d’appréhender une histoire qui continue à être si présente par le biais d’héritiers français qui réclament réparation de la faute coloniale et esclavagiste.

La loi du 23 février 2005 est d’autant plus choquante qu’elle va à l’encontre des traditions républicaines françaises en établissant une «histoire officielle». Si elle est appliquée, note le journal Libération, il faudrait interdire tous les manuels actuellement en circulation qui ne s’en tiennent pas, loin s’en faut, à une vision «positive» de la présence française outre-mer. En outre, ce texte législatif qui s’impose en théorie à tous, «va à l’encontre de la liberté des enseignants garantie elle aussi par la loi». Bref, l’esprit revanchard des députés de droite à l’initiative de l’article contesté de la loi du 23 février 2005 ne crée pas seulement des problèmes diplomatiques entre l’Algérie et la France, mais alimente les antagonismes au sein de la société française elle-même.

Une petite bonne nouvelle annoncée par Libération, l’archiviste Brigitte Lainé, mise au placard avec son collègue Phillipe Grand pour avoir témoigné, de manière décisive, en faveur de Jean-Luc Einaudi au procès que lui a intenté Maurice Papon, a retrouvé sa place. Phillipe Grand est parti à la retraite sans avoir pu rétablir sa situation, mais Brigitte Lainé a obtenu gain de cause auprès du Tribunal administratif contre une «sanction disciplinaire déguisée». Six ans et demi de mise au placard pour avoir dit dans un procès la vérité rencontrée dans les archives…

M. Saâdoune