Addat, 20 ans, torture à Alger

Addat, 20 ans, torture à Alger

Grangereau Philippe, Libération, 21 Novembre 1988, in Comité national contre la torture , Cahier noir d’octobre , Entreprise nationale des arts graphiques, Alger, 1989, publié par Algeria-Watch, 5 octobre 2008

Sévices sexuels, gégène, bastonnade, interpelle en octobre dernier, pendant les emeutes, un jeune algérien décrit son calvaire dans les geôles de sûreté.

« On nous a fait descendre au sous-sol de l’immeuble de la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale) de Bab-el-oued, face au lycée Emir Abdelkader, avec 200 autres jeunes personnes arrêtées ce 5 octobre. Dans les escaliers, les militaires étaient en train de remonter un corps inerte couvert d’ecchymoses sur un brancard, avec un linceul jeté négligemment dessus. »

C’est a ce moment que Addat Hakoum, 20 ans, a compris qu’il n’allait jamais oublier…
Un par un pour commencer, ses camarades passent a l’épreuve du seau. La tête plongée dans une eau saturée de liquide vaisselle, beaucoup suffoquent, s’évanouissent. Asthmatique, Addat, est quant a lui, immédiatement pris d’une crise : c’est ce qui lui épargnera les violences physiques les plus dures, mais pas les sévices sexuels. On l’amène dans une salle a l’ecart. A trois reprises, a un quart d’heure d’intervalle, les militaires le sodomisent, « l’un de sang froid, les deux autres comme si c’était routinier », le forcent avec d’autres à « s’asseoir » des heures durant, nus sur des bouteilles. Son anus sombre dans une douleur « intense ».

Retour a la cellule commune. Les cris, les beuglements de souffrance « sont partout, tout le temps », ils ne traversent pas les murs, épais, de la grande « salle de torture », elle est séparée en deux. Derrière un grillage, sont entassés, par terre, les « 200 personnes sous surveillance ». Elles sont appelées une par une, ou trois par trois de 1’autre côte pour passer à la torture, sous le regard effaré des suivants et des précédents.

Le « coordinateur » ( un capitaine des commandos) et deux officiers de la sécurité militaire, observent eux aussi, témoigne Addat. La gégène, trois chaises spéciales ou Addat voit les torturés sursauter de douleur au milieu de fils pinces au cou, aux bras, aux organes génitaux. L’allée de bouteille de verre brisées, où à coup de matraques les détenus sont forcés de ramper nus. Les membres entailles, Addat, préfère ne pas les regarder pour que le cauchemar cesse.

« Les hommes en uniforme frappaient certains d’entre nous pour les faire saigner. Les autres écopaient d’un traitement aussi violent, mais les militaires prenaient garde a ne pas laisser de traces. J’ignore pourtant comment ils choisissaient… il n’y avait pas de logique ».

« L’échelle »: les compagnons de cellule de Addat, tous des hommes, y sont attachés sur le dos, puis on laisse tomber l’échelle un nombre de fois indéfini.
« Pourquoi nous torturaient-ils ? obtenir des informations ne semblait pas être un motif primordial… Je pense qu’ils cherchaient à nous faire peur », raconte Addat. « Comme moi. pratiquement tous les autres ont été arrêtés au hasard, dans les rues ou chez eux ».

Simple et horrible, beaucoup subissent le coup du « tiroir »: les militaires y placent les organes génitaux, puis on ferme brutalement. avec un éclatement de douleur.

Deux jours plus tard, le 7 octobre, un des amis d’enfance d’Addat. un policier, réussit à le faire sortir de l’immeuble de la DGSN7. Une semaine après, cet ami parvient à lui rendre ses papiers. tous confisqués lors de son arrestation. Apres s’être caché plusieurs semaines (aujourd’hui encore, des gens sont arrêtés. tous les jours), Adda décide de venir en France, où il n’a pas de famille. Par chance il n’est pas arrêté à l’aéroport.

II se trouve depuis quelques jours a l’hôpital Saint Louis à Paris. II souffre .surtout de crise de nerfs quotidiennes et d’insomnie. « Dès que la nuit tombe, je revois mon arrestation. J’étais venu d’Alger a Bab-el-oued pour rencontrer ma petite amie. J’étais bien habille, en costume, même pas en jeans, qui est une tenue « suspecte ». Dans la rue, les casques bleus ( CRS Algériens) m’ont demandé d’où j’étais, quand je leur ai dit que je venais de Baraki, ils m’ont frappé à coup de crosse en me disant « tu es venu là pour foutre la pagaille ! »
C’est là que ça a commencé !