Commémoration des évènements du 17 octobre 1961

Commémoration des évènements du 17 octobre 1961

La loi du 23 février refait surface

El Watan, 17 octobre 2005

Le 17 octobre 1961, la police parisienne sous les ordres de Maurice Papon charge sauvagement des dizaines de milliers de manifestants pacifiques algériens : des hommes sont jetés dans la Seine, plus de dix mille personnes sont arrêtées et détenues pendant plusieurs jours et sont internées au palais des sports, au parc des expositions, au stade de Coubertin, au centre d’identification de Vincennes pendant près de quatre jours pendant lesquels les violences continuent ; beaucoup sont déportés vers l’Algérie.

Au lendemain de la manifestation, le bilan officiel est de deux morts algériens. Officiellement, on évoque des « tirs échangés » entre la police et les manifestants. Le gouvernement empêche la création d’une commission d’enquête et aucune des plaintes déposées n’aboutira. L’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) a appelé, hier, l’Etat français à « reconnaître les crimes contre l’humanité commis par ses responsables contre les Algériens aussi bien à l’intérieur de leur pays qu’à l’étranger », a rapporté l’APS. Le secrétaire général de l’ONM, Saïd Abadou, s’est interrogé « si le temps n’était-il pas venu pour la France de présenter ses excuses au peuple algérien pour les massacres, brimades, viols, spoliations et autres actes dégradants qu’il a subis, 132 ans durant ». La France se doit, a-t-il souligné, « de présenter ses excuses au peuple algérien et reconnaître les actes d’extermination et de massacres collectifs dont il a été victime et dont rares sont les cas similaires dans l’histoire contemporaine ». « Alors que nous étions convaincus que la France faisait preuve d’une réelle volonté pour conclure un traité d’amitié et de coopération avec l’Algérie à l’instar des autres pays amis, la voilà, a-t-il poursuivi, qu’elle adopte une loi faisant l’apologie du colonialisme et considérant l’extermination des autochtones et les tentatives d’effacement de leurs valeurs civilisationnelles, spirituelles et confessionnelles, comme des actes de bravoure devant valoir récompense et considération à leurs auteurs ». Avant-hier, le ministre français de l’Education, Gilles de Robien, a affirmé, dans une interview au Journal du Dimanche (JDD) paru hier et repris par l’AFP, que la loi du 23 février 2005 sur le « rôle positif » de la colonisation française « n’implique aucune modification des programmes actuels d’histoire ». Votée par l’Assemblée nationale française, cette loi demande que les programmes scolaires français « reconnaissent (…) et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». « L’article 4 de la loi du 23 février 2005 n’implique aucune modification des programmes actuels d’histoire qui permettent d’aborder le thème de la présence française outre-mer dans tous ses aspects et sous tous ses éclairages », a indiqué Gilles de Robien. « Il n’y a aucun domaine d’histoire officielle. En revanche, il y a des programmes officiels, arrêtés par le ministre », a-t-il précisé. « Les programmes d’histoire sont élaborés par des groupes d’experts composés d’universitaires, d’inspecteurs généraux et d’enseignants qui offrent toutes les garanties de qualité scientifique et pédagogique », a-t-il ajouté. Le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, a déclaré fin juin que cette loi « représente une cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme », en référence notamment à la répression sanglante des manifestations du 8 mai 1945. La promulgation de cette loi avait provoqué également de vigoureuses protestations en France, notamment d’historiens et d’enseignants, pointant « le mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide ».

Contre l’oubli

Historiens, sociologues, écrivains, architectes ou médecins, dans pratiquement tous les corps de métiers de la société française, des voix s’élèvent aujourd’hui pour déplorer le fait que « la réticence des politiques français à reconnaître les crimes du 17 octobre 1961 témoigne plus profondément de ce que l’histoire de la colonisation reste à faire », estime l’agence gouvernementale APS qui rapporte les déclarations de l’association française 17 Octobre 1961 : contre l’oubli : « Cette histoire n’est pas du ressort des seuls historiens : il appartient à la société toute entière de la mener, car la société toute entière est aujourd’hui encore structurée par cette histoire coloniale. » Le collectif 17 octobre 1961, composé notamment du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), des Indigènes de la République, de la Ligue française des droits de l’homme et de plusieurs partis politiques dont celui des Verts, a demandé « la reconnaissance officielle de ce massacre » et sa « prise en compte dans l’enseignement » en France. L’Union des Algériens en France et en Europe a renouvelé, à cette occasion, sa dénonciation de la loi du 23 février 2005. L’historien Benjamin Stora a déploré, pour sa part, le « silence des dirigeants et partis politiques » français sur les crimes coloniaux pour lesquels les pays victimes demandent une repentance officielle. Dans une déclaration à l’APS, Stora a souligné que le pardon revendiqué par les pays victimes de la colonisation « est du devoir des politiques qui doivent prendre toutes leurs responsabilités ». L’historien français Olivier Le Cour Grandmaison a souligné à l’APS que « les responsables politiques français qu’ils soient de droite ou de gauche sont encore incapables d’assumer le passé colonial de la France et de reconnaître les nombreux crimes commis dans les colonies en général, et en Algérie en particulier ». « Nous ne pouvons pas, à titre d’exemple, définir le nombre de personnes tuées le 17 octobre, car la préfecture de police de Paris interdit toujours l’accès aux archives relatives à cette date », a indiqué à l’APS Youcef Menasria, secrétaire général de l’Union des historiens algériens. Les seules données historiques fiables sur ces tragiques évènements seraient celles avancées par l’historien français Jean-Luc Einaudi, auteur du livre La bataille de Paris. L’auteur signale plusieurs centaines de morts dont 200 bien identifiés. Le bilan officiel établi par la préfecture de police parisienne de l’époque faisait état de « trois morts dont un par crise cardiaque ». Pour Menasria, l’ouverture par la France des archives de la guerre d’Algérie doit être « revendiquée de la manière la plus ferme » de même que « la reconnaissance des atrocités commises depuis 1830 ». L’historien El-Ali Gharbi, chercheur dans la même union, considère, pour sa part, que l’interdiction de l’accès aux archives est « contraire » aux valeurs de la démocratie et décourage tout chercheur. « J’étais dernièrement en France et j’ai dû payer 450 euros pour avoir quelques copies d’archives », s’est-il indigné en notant que les archives détenues en France, bien qu’enregistrées en Algérie, sont « soit fermées soit très coûteuses pour leurs consultants ». A rappeler que le 17 octobre est la Journée nationale de l’émigration. Ali Haroun, ancien responsable de la Fédération de France du FLN, a, de son côté, mis en cause, dans un entretien à l’APS, ce qu’il a appelé « la minimisation de l’apport de l’émigration » algérienne à la Révolution du fait que la Fédération de France du FLN « a été pendant 40 ans le parent pauvre de l’indépendance nationale ». Pour illustrer cet apport, il a cité l’exemple des 25 militants de la fédération qui ont été guillotinés sur les 50 condamnés à mort pour une communauté de quelque 250 000 personnes vivant en France.

Adlène Meddi

Agences