“Les archives restituées par la France à l’Algérie sont insuffisantes”
Selon le DG du centre des archives nationales
“Les archives restituées par la France à l’Algérie sont insuffisantes”
Par : Hamid Saïdani, Liberté, 5 novembre 2007
Malgré les demandes instantes de l’Algérie, les archives de la période coloniale, constituant un pan important de la mémoire de la nation, sont toujours conservées dans les centres d’archivage de l’Hexagone.
À la faveur de l’organisation à Alger d’un séminaire national sur les bâtisses de la conservation des archives, le débat sur la revendication de la restitution des archives, relatives à la période de la présence française en Algérie, est revenu au devant de la scène. L’Algérie n’a pas cessé, depuis des décennies, de réclamer son droit sur ces documents de portée historique transférés sur le sol français à l’indépendance de l’Algérie. Une partie, paraît-il infime, de ces archives, avait été restituée à l’Algérie sous forme de geste de bonne volonté des autorités françaises de bâtir des relations politiques extirpées de la tension qui les ont toujours marquées. Mais ces actes épisodiques sont-ils vraiment suffisants pour relancer une bonne fois pour toutes la coopération bilatérale ? La réponse nous vient du directeur général du Centre national des archives, M. Abdelmadjid Chikhi qui a déclaré, hier, en marge du séminaire, que les archives restituées par la France à l’Algérie “restent insuffisantes”. M. Chikhi a confirmé que l’Algérie n’a jamais cessé de réclamer à la France ses archives spoliées pendant la période coloniale, ajoutant que les conventions internationales stipulent que “les archives sont le bien du pays dans lequel elles sont conçues”. La France, qui a toujours refusé d’accéder à cette demande, semble avoir sa propre perception des choses, selon laquelle ces archives constituent sa propriété du moment qu’elles concernent une période historique où l’Algérie était une partie du territoire français. Selon M. Chikhi, la France s’appuie sur ses lois spécifiques, notamment le décret promulgué par les autorités coloniales en 1834 en vertu duquel l’Algérie a été rattachée à la France. Cependant, et toujours selon les explications de M. Chikhi, ce décret a été rendu caduc par l’indépendance de l’Algérie. Ainsi, malgré les demandes instantes de l’Algérie, les archives de la période coloniale, constituant un pan important de la mémoire de la nation, sont toujours conservées dans les centres d’archivage de l’Hexagone. Pour les chercheurs des deux pays qui ont, eux aussi, réclamé le libre accès aux documents historiques classés, la France officielle tend à travers son refus de cacher à l’opinion tous les dépassements, exactions et violations commises durant la présence française en terre algérienne. Cette attitude découle, en vérité, de la position de la France officielle de refus de reconnaître les nombreux crimes perpétrés par l’administration coloniale en Algérie. Le libre accès à ces documents lèverait, sans aucun doute, tout le voile sur ces réalités de la période coloniale cachée jusqu’ici au commun des Français. Et c’est cela qui explique l’entêtement des autorités françaises à refuser d’ouvrir ce dossier.
Me Benbraham Fatima, porte-parole officielle de l’organisme national pour la libération des relations entre l’Algérie et la France, a expliqué récemment que les lois françaises “privent les chercheurs d’accéder aux archives publiques seulement après trente années et les dossiers de justice seulement après cent ans, pour ce qui est des dossiers des tribunaux spéciaux et de la République française et les compensations de guerre, la loi française les fixe à 60 ans”. Me Benbraham, avocate de profession, avait menacé d’avoir recours aux tribunaux internationaux comme un premier pas pour obliger les autorités françaises à ouvrir les archives aux chercheurs algériens pour avoir connaissance de tous les dossiers relatifs à la période coloniale. Dans sa lancée, elle n’avait pas écarté la possibilité d’avoir recours aux Nations unies pour pousser les Français à reconnaître les massacres qu’ils ont perpétrés en Algérie. Il est vrai, tout récemment, que cet aspect des relations algéro-françaises semblent bénéficier d’un certain intérêt. Les autorités françaises ont, apparemment, fini par admettre l’importance de cette mémoire pour la partie algérienne. Le fait le plus marquant à ce sujet demeure la remise des plans d’implantation des mines anti-personnel datant de la période coloniale. C’est d’ailleurs le chef d’état-major des forces armées françaises, le général Jean-Louis Georgelin, qui a officiellement remis à son homologue algérien, le général Ahmed Gaïd Salah, le 20 octobre dernier, la carte des mines antipersonnel posées par l’armée française entre 1956 et 1959, notamment sur les lignes Challe et Morice. Pour la partie française, cette décision, “qui était attendue par l’Algérie, marque la volonté des autorités françaises de progresser pour lever les obstacles hérités du passé et leur souhait de bâtir des relations de confiance avec l’Algérie”. Ce geste constituerait une réponse positive au discours de novembre 2005 du président Bouteflika qui avait dénoncé “le passé de la France coloniale, eu égard au nombre important de mines antipersonnel et de mines en général, qui ont été semées à travers le territoire national”, regrettant par la même occasion “le fait que la France n’ait pas daigné nous fournir la cartographie pouvant faciliter le déminage de ces régions”. En tout cas, le geste a été bien accueilli par les autorités algériennes. Cependant, cela ne saurait faire oublier ces montagnes de documents inhérents à une phase historique du pays et qui sont toujours otages d’une décision politique de l’autorité française.
H. SaÏdani