L’industrie algérienne fait face aux mêmes défis de gestion

La «supply chain» expliquée par trois responsables d’Ernst & Young

L’industrie algérienne fait face aux mêmes défis de gestion

par Abdelkader Zahar, Le Quotidien d’Oran, 4 mai 2010

Le savoir-faire n’est pas uniquement technologique. L’entreprise algérienne a encore beaucoup à apprendre en matière d’efficacité dans la gestion de l’ensemble de la chaîne de production.

La Supply Chain (SC), un concept qui a fait son entrée depuis plus de 15 ans en Europe.

Il en est à ses premiers pas en Algérie. Sa vocation est d’amener les entreprises à acquérir l’organisation nécessaire pour atteindre l’efficacité voulue. Trois responsables du cabinet d’audit et de conseil d’Ernst & Young, Thi-Tu-Khuong (Tuk) LE, Eric Salviac et Phetsamone Rasphone, respectivement Supply Chain Manager à la division Advisory du cabinet, Directeur exécutif Supply Chain, et E&Y Advisory Algérie, nous en parlent.

Qu’est-ce que la Supply Chain ?

Tuk LE : La «Supply Chain» (SC) c’est la chaîne de valeur qui permet de fournir le produit en correspondance aux besoins du client. C’est l’ensemble des étapes qu’une entreprise doit assurer pour pouvoir livrer le bon produit, au bon moment, en bonne quantité et au meilleur rapport qualité prix.

Un concept à tout moment, quels que soient le pays et l’environnement ?

Tuk LE : Ce concept est applicable dès lors qu’on doit satisfaire un client. N’importe quelle industrie algérienne fait face aux mêmes défis de la gestion : des stocks (problématique de trésorerie), de l’importation (avec des problèmes d’achat et d’approvisionnement), de la production, de la livraison (optimiser le transport). Les métiers de la SC sont orientés industrie.

S’agit-il de solutions toutes faites ou d’une méthodologie adaptable selon le client ?

Tuk LE : Nous avons des bases, des méthodologies, et des approches qui s’appliquent en fonction de nos clients. On ne traite pas de la même façon un client du secteur agroalimentaire et un autre qui fait de la grande distribution, de l’automobile, de la métallurgie. Chacun a ses problématiques, ses enjeux et ses contraintes. Dans l’agroalimentaire, par exemple, il y a des contraintes fortes de délai de péremption. Ce n’est pas le cas du secteur automobile qui a d’autres soucis comme la gestion des pièces de rechange, lequel problème ne se pose pas pour le secteur de la pharmacie où il est plutôt question de traçabilité par rapport à des lots de médicaments. Il y a des problématiques transversales, comme les achats et la gestion des stocks, mais par secteurs, il y a des problématiques supplémentaires qui se révèlent. Et, effectivement, l’Algérie est un pays qui a ses propres contraintes comme les surestaries, la problématique des lettres de crédit et autres.

Dans la SC il s’agit aussi de «redéfinir les rôles et les responsabilités» au sein de l’entreprise. Vous intervenez aussi dans la structure d’une entreprise ?

Tuk LE : Notre métier de base c’est de redéfinir les organisations. De quoi s’agit-il ? Demain, vous avez la stratégie d’implémenter un nouveau produit dans une nouvelle zone géographique. Il y a plusieurs démarches possibles : implanter une nouvelle usine, ou créer plutôt un magasin, et comment assurer tout le réseau de distribution, etc. C’est un projet qui est avant tout organisationnel.

Eric Salviac : L’entreprise n’a pas à se dire que «c’est trop compliqué» et penser qu’elle ne peut pas y arriver. On fait de la mise en place très opérationnelle de démarches concrètes qu’on a pu instaurer dans d’autres entreprises. Notre souci permanent, c’est de transférer le savoir-faire et les bonnes méthodes aux personnes de l’entreprise, pour qu’elles deviennent autonomes et augmentent leurs compétences pour l’avenir.

La mise en place d’une SC nécessite un minimum de transparence de la part des entreprises. Pensez-vous pouvoir obtenir toutes les informations nécessaires de la part des entreprises, en particulier familiales, qui hésiteront peut-être à tout divulguer ?

Eric Salviac : Divulguer à l’extérieur, non ! C’est le cas de toutes les entreprises qu’elles soient algériennes ou autres. Notre cabinet est soumis à des règles de confidentialité et de non diffusion de l’information. Ce que l’on fait avec une entreprise reste complètement confidentiel, on s’engage à ce qu’aucune information ne soit divulguée à l’extérieur. Comme nous sommes appelés à travailler en coopération avec l’entreprise, il est évidemment nécessaire que nous ayons accès à un certain nombre d’informations de l’entreprise pour pouvoir l’aider et faire avec elle un projet réussi.

Tuk LE : Lorsqu’on travaille pour deux concurrents on s’interdit de transmettre leur savoir-faire. La seule chose que l’on transmet aux deux entreprises, c’est notre savoir-faire, notre méthodologie, notre façon de mener leurs projets respectifs. Par rapport aux entreprises familiales, nous demandons des prérequis : la disponibilité des équipes et les informations. S’il s’agit d’informations vraiment confidentielles, nous leur transmettons le socle et à eux d’y injecter les données et de les remettre à l’équipe informatique qui est de la même entreprise. Le métier de la Supply Chain en Algérie est relativement nouveau. Notre objectif est de sensibiliser les entreprises, notamment industrielles, à cette problématique, pour qu’elles soient plus performantes, surtout si elles veulent se lancer des partenariats avec des sociétés étrangères.

Vous organisez le 6 mai prochain, en partenariat avec le FCE, une rencontre sur la «Performance de l’entreprise» consacrée à la Supply Chain. Quels sont vos objectifs ?

Eric Salviac : La première motivation qui nous pousse à monter cette manifestation, c’est qu’Ernst & Young a beaucoup de demandes sur le sujet de la Supply Chain. Il y a une vraie appétence d’entreprises algériennes qui expriment le besoin de passer à des stades d’organisation plus évolués, et d’intégrer de nouvelles méthodes pour êtres plus efficaces.

Le cabinet Ernst & Young est présent depuis longtemps en Algérie. Comment évaluez vous cette présence ?

Phetsamone Rasphone : Ernst & Young est présent en Algérie depuis une vingtaine d’années. Nous travaillons avec un certain nombre de grandes entreprises. On s’est implanté physiquement, il y a quatre ans, car le marché algérien devient attractif en matière de conseil. Des entreprises privées sont prêtes pour ce genre de prestations. On a besoin d’avoir des équipes locales composées de jeunes algériens formés à nos métiers, pour pouvoir communiquer notre expérience et notre savoir aux entreprises algériennes.

Vous les trouvez facilement les compétences algériennes ?

Phetsamone Rasphone : Le bureau d’Alger compte une cinquantaine de collaborateurs, dont 48 algériens, et l’on compte en recruter une bonne vingtaine l’année prochaine pour l’ensemble de nos métiers, y compris ceux de la Supply Chain. Les profils qui nous intéressent pour la SC sont plutôt des ingénieurs sortant des meilleures universités et écoles algériennes, en particulier l’Ecole Polytechnique, dont on espère qu’elle sera un vivier pour nos consultants de demain.

Tuk LE : L’objectif est de former des consultants qui au bout de deux ou trois ans seront suffisamment matures pour assurer eux-mêmes les missions, et aptes à assurer la formation des plus jeunes et ainsi de suite.

Des success stories ?

Tuk LE : Sans citer des noms, nous travaillons aujourd’hui pour une entreprise privée leader, qui se positionne sur différents secteurs (agroalimentaire, distribution,…), que nous aidons à rationnaliser l’ensemble de la chaîne (achat, approvisionnement, gestion des stocks, production, distribution, la gestion du service après vente, toute la planification transversale des activités, ainsi que la partie comptabilité et finances). On accompagne le client sur des problématiques de réorganisation, de redéfinition des processus, avec les rôles et les responsabilités. On les assiste à mettre en place un système d’information y compris l’outil de planification. C’est un grand projet. Il peut y en avoir d’autres où l’on ne prend que la partie gestion de la maintenance et des pièces de rechange, d’autres où l’on fait que du procurment (achat/approvisionnement).