Nouvelles cités, vieilles querelles !

Hausse de la criminalité à la périphérie des villes

Nouvelles cités, vieilles querelles !

El Watan, 1er février 2015

Les nouvelles cités construites à la périphérie des grandes villes du pays connaissent une poussée de violence périodique. Le décor des affrontements entre bandes rivales est souvent le même, avec toujours les mêmes protagonistes : des jeunes issus des vieux quartiers populaires.

Les autorités préfèrent nier l’existence de gangs. Le DGSN, Abdelghani Hamel, a démenti la constitution de gangs organisés. Pour lui, les rixes sont dues «à une forme de violence urbaine». «Je ne connais pas de gangs. Il y a plusieurs formes de criminalité et une violence urbaine qui mettent en cause des groupes (…). Il s’agit de délinquants qui sont peut-être eux-mêmes victimes de quelque chose», a estimé, la main sur le cœur, le premier policier du pays, qui s’exprimait lors des festivités organisées par son corps à Boumerdès en 2012, année durant laquelle les affrontements ont atteint leur paroxysme, particulièrement dans les quartiers de la capitale et de Constantine.

Même assurance à un niveau hiérarchique plus bas du corps de la police ou même chez les gendarmes. «Les jeunes s’organisent en petits groupes de deux à trois éléments tout au plus et n’ont aucun lien ni chef. Cela s’appelle dans notre jargon constitution d’association de malfaiteurs», précise un officier de la DGSN qui a requis l’anonymat. Réfutant le terme de «gang», le colonel Abdelhamid Kerroud, chargé de la communication à la Gendarmerie nationale, parle, de son côté, de «rivalité entre jeunes» et de «difficultés d’adaptation» dans les nouveaux sites d’accueil livrés ces dernières années.

Portrait-robot des délinquants

Qui sont ces jeunes ? Sont-ils des loups solitaires ou obéissent-ils aveuglément à des individus qui provoquent des troubles en espèrant «mater» par la terreur leurs probables rivaux ? A Ouled Fayet mais aussi à Baraki ou dans les «nouvelles villes» des grandes wilayas comme Constantine (Ali Mendjeli), des jeunes font main basse sur de nombreux territoires : ils saccages, agressent, volent et versent dans toutes sortes de trafics. Leur modus operandi est identique : des troubles en apparence et des arrangements criminels en sous-main. Le site AADL d’Ouled Fayet (Alger) a été livré il y a tout juste dix ans. Et depuis, c’est la «guerre» entre ses résidants et les délinquants du quartier et des cités limitrophes. «L’insécurité règne, elle a même progressé ces dernières années.

Les batailles rangées entre groupes rivaux du site El Oued et des jeunes de chez nous (1500 Logts) ont certes cessé, mais on voit toujours des jeunes circuler avec des sabres», signale un résidant de cette cité qui a requis l’anonymat de peur de représailles. Les cambriolages, les vols par effraction, le saccage de véhicules sont en hausse. «Au moins quinze appartements ont été visités depuis le mois de Ramadhan dernier. Il y a une dizaine de jours, une femme médecin de retour chez elle, s’est retrouvée nez à nez avec des cambrioleurs. Les trois jeunes, qui ne s’y attendaient pas, se sont précipités dehors en se jetant par le balcon.

L’infortunée a reconnu les trois malfaiteurs, dont un est ami avec son propre fils. Les gendarmes de la brigade où elle a déposé plainte n’ont rien pu faire à ce jour. Pourtant, l’un des cambrioleurs, qui semble être le chef de ce gang, portait un plâtre ! Il est connu de tous sous un sobriquet bizarre. Il semblerait que les entrées de sa mère, qui travaillerait à la Présidence, lui assurent l’impunité», s’indigne le quinquagénaire, qui affirme qu’il «n’en peut plus» de vivre dans une cité où «des hors-la-loi narguent les honnêtes gens».

Ayant sollicité toutes les autorités, même le défunt Ali Tounsi, des résidants, constitués en association, réclament avec insistance l’installation d’une antenne de sûreté urbaine de proximité (SUP). «Dans toute cette partie de la ville, il n’existe, pour notre grand malheur, qu’une seule et unique brigade de gendarmerie, dont les éléments sont dépassés par l’ampleur de la tâche. Ce n’est pourtant pas les assiettes de terrain qui manquent, ni même les locaux. L’AADL, qui a cédé ses propres locaux aux APC, aurait bien pu faciliter leur occupation par des services de la police.

Ce sont les délinquants qui s’y installent en premier. Un gars a transformé impunément un des locaux de l’immeuble F en chambre à coucher avec tout l’attirail : literie, télévision, etc. Personne n’osait l’approcher. Les Egyptiens ont également laissé un atelier de menuiserie, vite occupé par des délinquants qui en ont fait un «diki» (lieu de débauche). Une sûreté urbaine ou même une école pouvaient bien y être aménagés», relève notre interlocuteur.

Des tifosi aux mafiosi en herbe

La violence urbaine n’est pas signalée que dans la proche banlieue de la capitale mais dans tout le pays. A M’sila, des délinquants provoquent régulièrement de grosses frayeurs chez les populations du chef-lieu de la wilaya Dans la nouvelle ville tentaculaire Ali Mendjeli (Constantine), la population se sent offerte pieds et poings liés aux délinquants. Bagarres, incendie de véhicules, trafics, saccages, etc., sont le lot de la population, qui attend avec impatience les résultats de l’«opération de redéploiement» annoncée par la DGSN. Dernièrement, après l’incendie de plusieurs véhicules de particuliers, une vingtaine de jeunes ont été arrêtés et écroués.

Un match de football a été organisé entre jeunes de quartiers rivaux de la tentaculaire UV14. L’initiative de la DGSN ne semble pas trop convaincre les résidants, qui craignent la persistance de la délinquance et la formation d’un «embryon de mafia locale».
Pourquoi toute cette violence ? Y a-t-il une politique délibérée ou carrément une mauvaise gestion de l’administration centrale, qui persiste dans sa politique de réalisation de nouvelles villes (Sidi Abdallah, Boughezoul, pôles urbains à Alger, etc.) sans équipements pour les jeunes ?

La wilaya d’Alger a relogé, depuis le début des années 2000, plus de 50 000 familles (chiffre confirmé par l’actuel directeur du logement d’Alger, M. Loumi), originaires des quartiers populaires de ce que les ronds-de-cuir de la rue Zighoud Youcef, siège de la wilaya d’Alger, appellent l’«intra-muros». Destination de ces familles : de nouveaux sites d’habitation, souvent dépourvus d’infrastructures de loisirs, d’écoles, etc. et donc n’offrant rien à la frange juvénile.

L’administration, croyant bien faire, a voulu créer une sorte de «mixité sociale». «La wilaya a cru bien faire en mélangeant des gens qui se sont toujours aimablement détestés à cause du football, pour faire court. Un gars de Belcourt ne se sentira jamais à l’aise avec son nouveau voisin originaire de Bab El Oued. Ce dernier acceptera mal d’avoir comme voisin de palier un type d’El Harrach et ainsi de suite. L’esprit de «houma» est là depuis toujours. Sur cet état d’esprit se sont greffés des trafics en tous genres. La drogue est l’occupation de tout ce beau monde», explique doctement un ancien directeur à la wilaya, qui parle de l’«échec de la politique de relogement» à Alger.

«Approche sociologique» de la délinquance

La Gendarmerie nationale affirme privilégier plusieurs méthodes pour la prise en charge de la violence. Une «approche sociologique» de la population a ainsi été mise en place depuis au moins deux ans.

«L’approche est venue après que nous ayons constaté une hausse des actes violents dans les nouvelles cités, et ce, depuis au moins deux ans. Avant chaque opération de relogement, nous menons une étude sociale des populations qui seront déplacées vers les nouveaux sites d’accueil.

Nous disposons, pour ce faire, des fiches des familles qui nous permettent de connaître dans le détail le nombre de membres, le travail du père et de la mère, les occupations des frères, la scolarité des enfants… Des fichiers de personnes ayant eu des antécédents criminels sont établis et remis aux brigades des sites d’accueil. Nous recensons par ailleurs le parc roulant.

Nous disposons d’un fichier des propriétaires de véhicules, ce qui nous permet de prévoir les problèmes de sécurité et de circulation induits par le déplacement d’une forte population d’un quartier de la ville vers un autre», précise le colonel Kerroud.

En plus de l’approche sociologique, la gendarmerie s’appuie sur la sensibilisation. «Dès le premier jour de l’opération, on introduit une brigade de protection des mineurs sur les sites d’accueil. Les jeunes relogés sont sensibilisés sur la dangerosité, par exemple, des stupéfiants», signale l’officier. N. Id.

Nouvelles structures dans les pôles urbains

Les gendarmes semblent prendre la mesure de la délinquance dans les nouvelles cités. Faisant régulièrement face à la critique de la population, qui leur reproche leur manque d’engagement, les «darki» ont décidé de renforcer leur présence dans les nouveaux sites d’habitation et ainsi mettre faire face aux rixes.

Cinq brigades territoriales et deux groupements de sécurité et d’intervention ont été ouvertes dans les cités 776 et 668 Logements à Heraoua, 648 Logements à Ramdhania (Eucalyptus), 843 Logements à Sidi Slimane (Khraïssia), 3216 Logements à Chaâïbia (Ouled Ch’bel), et enfin à la cité des 2160 Logements à Sidi M’hamed (Birtouta).

Un même programme de redéploiement est prévu dans les différents sites à travers le territoire national. A défaut, précise le chargé de communication de la gendarmerie, le colonel Kerroud, des patrouilles, appuyées par les barrages filtrants, sont installées aux abords des agglomérations. Les sections de sécurité et d’intervention (SSI) sont aussi mises à contribution. N. Id.

Nadir Iddir