Lettre ouverte: Salaires insuffisants et chômage en question
Lettre ouverte à ceux qui nous gouvernent
Salaires insuffisants et chômage en question
Par Hafiane Hachemi, Le Quotidien d’Oran, 17 juin 2006
Tout d’abord, la situation de tous les agents de la fonction publique en général et des retraités en particulier est très grave. En effet, les salaires que perçoivent les fonctionnaires de l’Etat, et encore moins les pensionnés parmi eux, sont très en deçà de ce qu’ils devraient percevoir, vu la cherté du coût de la vie et des prix affichés sur tous les produits nécessaires à la subsistance de tout un chacun.
C’est ainsi que l’on voit des fonctionnaires retraités ayant occupé des postes moyens ou assez importants dans la fonction publique obligés de puiser sur leurs maigres économies ou bien vendre leurs objets personnels pour finir les fins de mois afin de faire vivre leurs familles. N’est-ce pas une honte pour l’Etat que de payer une retraite de misère pour des fonctionnaires qui l’ont si bien servi durant plus de trente années de bons et loyaux services et qui se trouvent réduits à cet état de pauvreté ?
Par ailleurs, pour quelles raisons les augmentations octroyées aux fonctionnaires encore en service ne sont pas aussi accordées à ceux qui ont pris leur retraite ? Dans la plupart des autres pays, les augmentations concernent tous les fonctionnaires, y compris les retraités. C’est une mesure indigne et injuste pratiquée dans notre pays, qui est une forme d’ingratitude de l’Etat envers ceux qui l’ont servi. On se demande aussi à quoi sert le syndicat, s’il y en a un en Algérie. Dans tous les cas, c’est une pratique inéquitable que l’Etat fasse de la discrimination entre les fonctionnaires actifs et ceux qui sont en retraite. Est-ce là une manière de leur témoigner sa reconnaissance ou bien l’administration est-elle devenue ingrate à un point jamais atteint auparavant ?
D’autre part, les fonctionnaires encore en service ne sont guère mieux lotis. Eux aussi perçoivent des salaires insuffisants, qui ne leur permettent guère de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires et à ceux de leurs familles.
Bref, il existe un fossé énorme entre les salaires perçus et le coût de la vie. Pourquoi alors s’étonner qu’il y ait de la corruption et des détournements de deniers publics. Quant aux fonctionnaires honnêtes, ils crient haut et fort qu’ils n’arrivent plus à faire vivre leurs familles avec leurs maigres salaires. Et si cette injuste et malheureuse situation perdure, certains de ces serviteurs de l’Etat recourront forcément à des pratiques malhonnêtes pour s’assurer du minimum vital. Ce serait dommage alors pour le pays.
Par contre, nous voyons fleurir une autre frange de la société qui donne l’impression que notre pays se porte bien et qu’il y a un bien-être chez les Algériens: train de vie royal, villas somptueuses et voitures de luxe. Alors là, je peux affirmer une chose dont je suis certain: c’est que les richesses de l’Algérie sont très mal réparties. A certains on donne trop de dinars, et à la plupart des Algériens pas assez pour vivre: voilà une autre injustice flagrante.
« En vérité, Dieu ordonne l’équité, la bienfaisance, l’assistance aux proches parents. Il interdit la turpitude, l’acte répréhensible et l’injustice. Il vous exhorte afin que vous réfléchissiez » (sourate 16, verset 90).
« Donnez la pleine mesure et le poids exact. Ne causez pas du tort dans les biens des hommes et ne semez pas la corruption sur terre » (sourate 11, verset 95).
La politique économique et sociale de notre pays mériterait d’être revue et corrigée car la pauvreté évidente qui frappe de plus en plus les Algériens produit déjà ses effets néfastes et donne naissance ainsi à des fléaux sociaux beaucoup plus graves comme la mendicité, les vols avec agression et violence, la drogue, la prostitution, la corruption et les détournements des deniers publics qui sont, finalement et tout compte fait, beaucoup plus préjudiciables et dommageables à l’Etat algérien que le fait d’ajuster les salaires de tous les employés quels qu’ils soient et de tous les fonctionnaires de l’Etat, actifs ou en retraite, et de leur accorder une augmentation substantielle de manière à leur assurer un minimum vital décent, c’est-à-dire un pouvoir d’achat suffisant qui doit suivre la courbe du coût de la vie.
D’autre part, si je puis me permettre de poser quelques questions, que fait-on des centaines de milliers de nos jeunes qui traînent dans les rues ou qui remplissent les cafés et qui rêvent d’aventures chimériques en songeant à d’autres pays lointains et incertains ?
Certes, le fait d’octroyer à un très petit nombre d’entre ceux de gros crédits pour démarrer dans la vie n’est pas la seule solution ni la plus sage. La meilleure solution serait de leur apprendre un métier, d’assurer et de financer leur formation dans tous les domaines. Nous manquons terriblement de maçons, de plombiers, de menuisiers, de pêcheurs et d’artisans dans tous les métiers. Pour cela, la multiplication de vraies écoles professionnelles, c’est-à-dire des écoles équipées et assurant la formation dans différents métiers avec de vrais formateurs, est nécessaire car nous constatons que toutes les écoles de formation sont dépourvues d’ateliers, d’équipements et de gens du métier. Est-ce raisonnable ? Ne dit-on pas dans notre adage populaire: « L’argent des ancêtres s’épuise, mais le métier appris reste ».
L’importation des maçons et des ouvriers qualifiés de l’étranger n’est pas la meilleure solution, alors que des milliers de nos jeunes sont au chômage. Si au moins on mettait certains de ces jeunes en formation dans les chantiers avec ces étrangers, ne seraient-ils pas plus bénéfiques pour le pays ? Bref, notre pays manque de main-d’oeuvre dans tous les domaines: hôtellerie, tourisme, pêche, restauration des routes abîmées dans toutes les villes et villages, artisanat, constructions diverses, travail de la terre… Comment se fait-il que l’Etat ne puisse pas former ces milliers de jeunes dans ces différents secteurs et leur offrir des emplois utiles et nécessaires pour eux et pour la société, au lieu de les laisser errer dans les villes, livrés à eux-mêmes, nourrissant parfois l’espoir de dévaliser une bijouterie ou une banque ou d’agresser de paisibles citoyens pour les voler?
Et à propos de ces milliers de jeunes délinquants, qui ne font qu’entrer en prison pour en sortir et rentrer à nouveau pour en sortir de plus belle, pourquoi n’avez-vous jamais pensé à leur insertion dans la société en leur apprenant un métier et en les formant à l’intérieur même de la prison, au cours de leur incarcération, car pour la plupart d’entre eux, c’est à cause de la pauvreté, du chômage et de l’absence de toute perspective pour eux qu’ils sont réduits au banditisme pour survivre. Sinon, pourquoi avoir donné le nom de centres de rééducation aux prisons alors qu’à leur libération, ces délinquants deviennent beaucoup plus dangereux qu’à leur admission et ne pourront gagner leur vie qu’en commettant de graves délits, créant ainsi d’autres soucis sécuritaires à notre société, déjà fragilisée par ses propres problèmes quotidiens. Je crois que c’est un devoir de l’Etat que d’essayer d’aider et de récupérer ses fils égarés pour les remettre dans le droit chemin.
Comment se fait-il que des centaines de petites et moyennes entreprises ont fermé et cessé de produire, licenciant ainsi des milliers de travailleurs, au lieu de les soutenir et de les encourager à produire «Made in Algérie», au lieu de supprimer carrément les taxes douanières relatives à l’importation de la matière première nécessaire à leurs activités, créatrices de richesse et d’emploi ?
Par contre, il fallait augmenter les taxes des produits finis importés de l’étranger, de manière à ce qu’il y ait une concurrence loyale et juste entre la production locale et celle de l’étranger. Notre pays a tout intérêt à importer la matière première et à la transformer en produit fini en Algérie. Voilà un créneau qui générera des centaines de milliers d’emplois dans tous les métiers, d’où la nécessité de l’apprentissage et de la formation de nos jeunes, évoqués plus haut.
Les tentatives de replâtrage de nos gouvernements en actions sociales: couffins de ramadhan, assistances diverses octroyées à certaines catégories de la population, ne sont ni efficaces ni suffisantes comme solution. Le peuple algérien ne peut pas vivre de la charité seulement. Nos gouvernements doivent s’attaquer aux causes profondes qui minent la vie économique et sociale de notre pays.
Le peuple algérien voudrait vivre dignement. Donnez-lui un emploi, donnez-lui un salaire juste et suffisant pour vivre. Et de grâce mettez un frein à ces augmentations qui n’en finissent pas: impôts, eau, électricité, produits alimentaires, etc. A force de tirer sur la corde, on finit par la casser, dit un proverbe de chez nous.
« Puissiez-vous former une communauté qui appelle les hommes au bien, recommande les bonnes actions et interdise ce qui est blâmable » (sourate 3, verset 104).
Méfions-nous, si ceux qui nous gouvernent n’apportent pas des réformes nécessaires et justes dans tous les secteurs dont ils ont la charge pour soulager les maux de la société profonde de l’Algérie, s’ils ne cessent pas de donner davantage aux riches et d’écraser les citoyens d’impôts, de taxes et d’augmentations incessantes des prix des produits de première nécessité, alors que les salaires ne suivent pas, si on ne s’occupe pas des jeunes en leur assurant un apprentissage ou une formation qui leur garantirait un emploi, si on ne fait pas au moins cela, les Algériens manifesteront leur ras-le-bol.
Déjà le mécontentement est général et perceptible, et il faut être vraiment de mauvaise foi pour ne pas s’en rendre compte. De grâce, n’attendons pas que les choses s’enveniment. Nous venons à peine de sortir d’une décennie noire. Que Dieu nous préserve d’une explosion sociale nationale, dont seul Dieu connaît la durée et la gravité. A bon entendeur salut !