Ces douars vidés par l’exode

Voyage dans les hameaux oubliés du Titteri

Ces douars vidés par l’exode

Tablat et Aïn Boucif (Médéa). De notre envoyé spécial, El Watan, 15 avril 2008

Au plus fort de la tourmente des années 1990, le phénomène très connu des sociologues qui est celui de l’exode rural a accusé une sérieuse mutation : les habitants des villages et des douars des campagnes n’étaient plus attirés par les sirènes de l’urbanisation et de l’industrialisation.

Ils quittaient, la mort dans l’âme, terre, haouch et douar pour fuir la terreur du GIA et consorts. Des dizaines de milliers de villageois, dans la Mitidja, à Jijel, à Tissemsilt, à Saïda, à Relizane, à Aïn Defla, à Boumerdès et dans d’autres wilayas sont partis s’installer là où ils pouvaient, emportés par cet élan de survie que certains ont appelé « exode sécuritaire ». Parmi les wilayas les plus touchées par ce phénomène, Médéa avec ses 64 communes figure certainement en bonne place. Voyage à travers les douars et les hameaux oubliés du Titteri. L’Algérie ne portera jamais l’habit du deuil tant que les forces spéciales sont en éveil », scande un slogan décliné comme une devise accroché au fronton d’un détachement des forces spéciales de l’Armée stationné au lieudit Techet, à une trentaine de kilomètres de la ville de Tablat. Dès que nous dépassons la ville de Larbaâ, les fameux virages de Tablat et sa route sinueuse au long de la RN8 laissent émerger un massif vertigineux aux crêtes verdoyantes. En traversant donc la petite bourgade de Techet, nous rencontrons un premier barrage militaire. Tout le village est occupé par des éléments de l’ANP. Il est aisé de deviner qu’aucun des anciens locataires de ce hameau n’est revenu. Sitôt arrivés à la localité des Deux-Bassins, commune située à dix kilomètres de Tablat, l’on apprend qu’une attaque terroriste venait d’avoir lieu la veille contre un poste d’observation de la garde communale dans un douar isolé du nom de Khoukhta. L’attaque s’est soldée par la mort d’un garde communal. Deux autres seront blessés, dont un grièvement. Tous les trois sont originaires de Tablat. Un imposant dispositif militaire à grand renfort d’hommes et de matériel quadrille la région, s’apprêtant à lancer une vaste opération de ratissage. C’est le signe que la région n’est pas tout à fait « pacifiée ». La situation est tendue. Les villageois s’inquiètent. Un homme d’un certain âge dont la maison est située à un jet de pierre du douar Khoukhta ne cache pas sa peur. Il a réussi tout de même à réprimer ses appréhensions et sortir faire paître ses vaches. « J’ai entendu des feux nourris vers minuit. Il y a eu un violent accrochage entre les terroristes et les gardes communaux », raconte-t-il. Comment vit-il ? Quid de ses voisins ? « Oh, beaucoup ont fui la région. Tous ceux qui pouvaient partir sont partis. Sur une centaine de villageois, il n’y avait qu’une trentaine qui sont revenus. Même l’école du coin a fermé et les élèves doivent maintenant aller étudier au chef-lieu de la commune, aux Deux-Bassins », affirme le vieux berger.

Le diktat des sangliers

A Tablat, la consternation est totale après que la nouvelle de l’attaque eut fait le tour de la ville. Des cohortes de femmes se rendent à la maison du mort présenter leurs condoléances à la famille du garde communal assassiné. Au douar Ouled Azza, un hameau situé à environ 15 km de Tablat, et relevant de la daïra d’El Azizia, la triste nouvelle en a choqué plus d’un. « Je connaissais très bien le défunt », dit Mohamed, un habitant du douar. Le hameau est complètement isolé, un fatras de quelques maisons et une école primaire jetées de part et d’autre d’un chemin vicinal menant vers la commune de Mihoub, aux confins de la wilaya de Médéa. La route donne froid dans le dos, surtout après l’attaque terroriste de la veille. Mohamed dit qu’il n’a pas peur. « Tabat ellahma, le cour est cuit », soupire-t-il. Le douar compte une cinquantaine de maisons. « Tous ceux qui ont de l’argent sont partis, qui à Boudouaou, qui à Baba Ali, qui à Saoula », dit un habitant du village. Omar, jeune agriculteur de 35 ans, raconte le dur quotidien des Ouled Azza. Il déplore le manque cruel d’eau. « Nous sommes obligés d’acheter l’eau à 600 DA la citerne pour notre propre consommation et pour abreuver les bêtes », dit-il. Il nous montre un lopin de terre qu’il cultive à la bordure d’un oued appelé l’oued Isser et attirera notre attention sur les ravages causés par les sangliers. « Nous avons un sérieux problème avec les sangliers. Il faut organiser des battues, mais nous n’avons pas d’armes pour cela », insiste-t-il. Nous poursuivons notre plongée dans la campagne de Médéa à l’ombre du massif de Zbarbar dont on aperçoit au loin les cimes. Au terme d’une vingtaine de kilomètres de route s’annonce la commune de Mihoub. Un cadre de l’APC voué au recensement de la population affirme d’emblée que la commune de Mihoub a connu une hémorragie démographique du fait de l’exode massif des villageois qui fuyaient l’insécurité. « La population est passée de 14 000 à 12 000 habitants du fait du terrorisme », dit-il. « La plupart de ceux qui sont partis ne sont pas revenus », précise Salah Ougad, le premier vice-président de l’APC.

« Un barrage en urgence ! »

Un habitant d’un hameau situé à 5 km du chef-lieu s’insurge : « Nos enfants doivent parcourir plusieurs kilomètres à pied pour aller à l’école, c’est inacceptable ! » Au moment de notre passage, le maire était occupé à inspecter un site devant accueillir le projet d’un lycée. Le hic est que le terrain en question est propriété privée. Le propriétaire, Atek Allel, refuse de le brader au dinar symbolique. « Regardez l’indemnisation qu’on me propose pour mon expropriation », martèle M. Attek. Le montant que lui offrent les Domaines est dérisoire : un million de dinars pour 22 hectares. Ainsi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le foncier demeure un sérieux problème, même en ces contrées où l’on a pourtant l’impression d’être dans un no man’s land boudé par l’homme et peu attractif pour les investisseurs. La population réclame ardemment un barrage pour résorber le problème de l’eau et relancer l’agriculture. « Il existe un barrage à Koudiat Aserdoun, mais il a été détourné au profit d’une autre commune. Il faut au moins construire une retenue collinaire pour l’irrigation des terres », réclame un agriculteur.

Mustapha Benfodil