Une perception sélective de la corruption ?
Said Mekki, Algérie News, 24 septembre 2008
Le rapport de l’ONG Transparency International sur la perception de la corruption classe l’Algérie au dixième rang sur dix huit pays de la région Afrique du Nord – Moyen-Orient. Le rang algérien est tenu globalement sans grand changement par rapport aux rapports précédents. Le seul motif de satisfaction, et de probable dépit pour nos frères des bords du Nil, est que la perception de la corruption est moins élevée à Alger qu’au Caire. Serait-ce une question de pure sensibilité ? Toute plaisanterie mise à part et en tout état de cause, ce classement révèle ce que tout le monde sait : nos pays figurent parmi les plus corrompus du monde. En réalité, le rapport pour utile qu’il soit pour des études académiques ou des chercheurs en sciences sociales est assez peu pertinent dés qu’il est analysé sous l’angle du classement qu’il établi. Allez dire à n’importe quel algérien que son pays est plus ou moins corrompu que le Liban ou l’Egypte, sans parler du Kiribati ou de la Papouasie Nouvelle-Guinée…Pour grossière qu’elle risque d’être, la réponse de bon sens ne devrait pas surprendre.
En effet ce classement qui nivèle tous les pays de la planète, en gommant largement les différences fondamentales entre démocraties et pays autoritaires, pose un réel problème de lecture. Il est évident que les Etats disposant de contre-pouvoirs et dans lesquels la reddition de compte des politiques est un usage établi seront toujours mécaniquement perçus comme étant moins atteints par le virus de la corruption que les dictatures du tiers-monde. Pour gagner en pertinence, une pondération différente devrait être affectée en fonction de l’état institutionnel et du niveau des libertés publiques. On verrait alors que les citoyens des démocraties avancées perçoivent avec beaucoup d’acuité une corruption d’autant plus inacceptable qu’elle évolue sans difficultés ou qu’elle se joue aisément des mécanismes de contrôle et de régulation d’Etats modernes. Des scandales récents en Grande-Bretagne, les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite ou en France, l’affaire des frégates taïwanaises, devraient faire réfléchir. Il ne fait cependant guère de doute que l’intégrité des agents de services publics en Europe est sans comparaison avec celle de leurs collègues de régions où le droit et la justice sont moins affirmés. Mais est ce à ce niveau que se situe le problème ? En effet, ce nécessaire élément de pondération s’il prenait en compte le niveau d’accueil de l’argent sale en provenance de pays notoirement corrompus serait encore plus dommageable à l’image de probité que ce rapport confère aux démocraties « avancées ». Car en effet, où va, où se trouve donc l’argent de la corruption ? Certainement pas dans les pays qui en sont les victimes. Les gestionnaires de fortunes privées des grandes banques occidentales tirent leurs très substantiels bénéfices de l’argent volé à des populations qui croupissent dans la misère. Les paradis fiscaux, qui ne se situent pas seulement – loin de là – sous des tropiques à l’immoralité reconnue mais au cœur de l’Europe démocratique, sont ainsi classés parmi les pays les plus « propres » de la planète. La très hygiénique Suisse et le très germanique Luxembourg sont en haut du tableau tandis que le Liechtenstein et Monaco ne sont simplement pas classés. Or, il est de notoriété publique que ces places financières comptent parmi les plus prospères des centres qui abritent les capitaux des pillards du tiers-monde et de leurs associés occidentaux. Les juristes et les policiers le savent : le recel, le recyclage et le blanchiment d’argent issu de dessous de table, de pots de vins et de commissions illégales relèvent purement et simplement de la corruption. Or en ne tenant pas en compte cet élément central le rapport de l’ONG perd sensiblement de sa pertinence et de sa validité opératoire.
La responsabilité écrasante des démocraties occidentales dans le phénomène de la corruption endémique des pays sous-développés est ainsi éludée par ce classement. Il ne s’agit pas, bien évidemment, d’absoudre les systèmes politiques qui produisent génériquement de la corruption mais bien de tenter d’appréhender le problème de cette criminalité économique de la manière la moins parcellaire possible. La gouvernance discutable des pays sous-développés n’est qu’une partie, la plus voyante sans doute, du problème. C’est un truisme que d’affirmer qu’il y aurait infiniment moins de corruption au sud si les pays du nord prenaient leurs responsabilités en interdisant l’accès des capitaux d’origine douteuse sur leur territoire. Ce n’est pas un objectif hors de portée pour des Etats qui disposent de moyens de contrôle très efficaces. Ainsi quand l’intérêt politique le commande, l’opinion est informée dans le détail des avoirs de potentats qui ne sont plus en odeur de sainteté auprès des pouvoirs occidentaux. Les services compétents, de police ou des impôts, des pays avancés recensent en permanence les propriétés et les avoirs financiers des dirigeants corrompus du sud jusqu’à un niveau de responsabilité quasi-élémentaire. Personne ne peut prétendre ignorer une réalité soigneusement dissimulée derrière des intérêts marchands ou politiques. Pourtant c’est bien à ce niveau que la dénonciation et la lutte contre la corruption prend tout son sens.
Le classement de Transparency International est un indicateur relativement peu parlant en réalité et consiste en une sorte de tableau de déshonneur qui en ne prenant en compte qu’une partie du problème de la corruption esquive les structures principales d’un phénomène dévastateur. Il faut espérer que les prochains classements tiendront en compte la face cachée de la prévarication en traitant avec la même sévérité les corrompus et des complices sans lesquels la prédation serait un exercice bien plus compliqué.