L’opulence des nouveaux milliardaires

L’argent de la corruption, du blanchiment, de l’informel et du terrorisme coule à flots

L’opulence des nouveaux milliardaires

El Watan, 18 février 2010

La société est pervertie par l’argent facile, trop souvent mal acquis . Les impôts ont engagé des opérations de vérification des fortunes liées aux signes extérieurs de richesse l Mais la lutte contre l’argent issu de la corruption, du blanchiment, de l’informel et du terrorisme est encore à ses balbutiements.

Jamais un train de vie aussi dispendieux n’a été affiché si ouvertement en Algérie. Dans un pays en crise, les signes extérieurs de richesse qu’étale une partie de la population algérienne peuvent être perçus comme une provocation. Le culte que vouent les Algériens aux apparences de la réussite sociale les mène parfois aux pires excès. Derrière les piscines et les bateaux de luxe, apparaissent parfois de sombres histoires de corruption, de blanchiment d’argent, d’import-import et de terrorisme. Dans un pays où tout s’achète, les brigades de la Vérification approfondie de situation fiscale d’ensemble (Vasfe) ont parfois du mal à s’y retrouver.

Le luxe s’affiche, désormais, sans complexe en Algérie. Une partie de la population algérienne semble vivre dans une bulle, loin des tracas sociaux et des grèves des travailleurs. Les nouvelles fortunes donnent l’impression de se jouer des règles et des lois. Dans une société pervertie par l’argent, les « nouveaux riches » sont souvent mal perçus par les Algériens. Roulant dans de monstrueux Hummer, ils traînent des relents de corruption, de blanchiment d’argent, de l’import-import et du terrorisme. « En fait, dans les fortunes récentes et douteuses, il y a de tout : l’argent du terrorisme, des kidnappings, des rançons, de l’informel. Mais il y a aussi des gens qui s’enrichissent légalement, cela n’est pas interdit », nous dit un responsable proche du ministère des Finances, qui a préféré garder l’anonymat. Le fait est que l’Etat a commencé, depuis plusieurs années déjà, à traquer les signes extérieurs de richesse et les fortunes douteuses.

Cela concerne, selon la définition de la « charte du contribuable » de la direction des impôts, « les dépenses personnelles ostensibles et notoires et les revenus en nature dépassant le total exonéré qui n’ont pas fait l’objet de déclaration ». Les agents des impôts doivent vérifier si « le revenu déclaré est inférieur au total des mêmes dépenses, revenus non déclarés ou dissimulés et revenus en nature ». En clair, il s’agit surtout des dépenses superflues et non déclarées, comme les bateaux de plaisance, les superbes villas sur les hauteurs d’Alger et les voitures dont les coûts sont extrêmement élevés. « La voiture n’est plus considérée comme un outil de luxe, sauf si c’est un Hummer ou un 4×4 BMW », explique un responsable de la direction des impôts (DGI). Les impôts ont engagé, depuis plusieurs années déjà, des opérations de vérification des fortunes liées aux « signes extérieurs de richesse ». La Vérification approfondie de situation fiscale d’ensemble (Vasfe) peut être mise en œuvre à la suite d’une vérification de comptabilité, à l’encontre de l’exploitant d’une entreprise ou des cadres dirigeants. Elle est également saisie lors de la constatation de disproportions entre le revenu déclaré et les éléments de son train de vie.

Les brigades de la Vasfe ont ainsi procédé à près de 500 opérations de vérifications de richesses douteuses l’année dernière. Les agents des impôts sont désormais confrontés à un nouvel exercice, et ils ne connaissent pas encore toutes les ruses employées par les fraudeurs. « Ce sont les premières opérations, il y a eu beaucoup de contentieux. Les vérifications n’étaient pas au point », affirme-t-on. Les contrôleurs ne sont pas encore suffisamment aguerris pour traquer les richesses mal acquises. A la cellule de traitement des renseignements financier (CTRF), il a été réalisé, au 31 décembre 2009, plus de 570 déclarations. A ses débuts, cet organisme, destiné notamment à lutter contre le blanchiment d’argent, n’enregistrait qu’une dizaine de déclarations. « Cela reste insuffisant, les Etats-Unis enregistrent chaque année plus de 17 millions de déclarations », nous dit-on. Mais là encore, la cellule n’est pas suffisamment outillée pour pouvoir mener à bien ses opérations.
« Pour ne pas avoir une balle dans le tête »

Le fait est que les fraudeurs bénéficient, dans certains cas, de la complicité de leurs banquiers, ce qu’on appelle, dans le jargon des agents des impôts, l’avis du tiers détenteur (ATD). Les banques ont généralement deux jours pour bloquer le compte des fraudeurs. Les banquiers peuvent ainsi profiter de ce délai pour contacter leur client afin qu’il retire son argent. « Il y a une prise de conscience de la part des banques, cela se fait moins souvent », tempèrent les responsables du ministère des Finances. Il existe, également, des cas où les agents, qui sont censés lutter contre la corruption, sont eux-mêmes tentés par l’argent. « Il n’y a pas que les agents des impôts qui sont corrompus. Ça a atteint tous les niveaux », se défendent les responsables proches du ministère. Mais il y a surtout des notaires qui font mal leur travail, en acceptant de faire de fausses déclarations pour de vrais contrats, notamment dans l’immobilier, secteur connu pour être un espace de blanchiment d’argent.

La loi 05-01 fait que le notaire est une « entité déclarante », qui a pour obligation de transmettre les informations aux impôts. « Il y a des notaires véreux et il y a ceux qui ne souhaitent pas se retrouver avec un pistolet sur la tempe », nous dit un connaisseur du secteur. En l’absence d’un impôt sur la fortune – de peur que cela n’encourage les fraudes et les fuites des capitaux–, les agents du fisc s’appuient sur l’impôt sur le patrimoine pour juger de l’aisance financière des particuliers. Mais au royaume du faux et de la contrefaçon, ils ont bien du mal à s’y retrouver. « Les fausses déclarations sont aujourd’hui un sport national. Les impôts ne peuvent rien faire, car il est important d’apporter la preuve de ces fausses déclarations. C’est un régime déclaratif », affirment les responsables des finances.
De l’inefficience des lois

Pourtant, les textes devant débusquer les fraudeurs existent, mais il serait très difficile de les appliquer. Il en est ainsi pour le droit de préemption qui permet à la direction des Impôts, avec le département Domaines, de racheter les biens immobiliers dont le coût a été nettement sous-évalué. « Une disposition dans le code des impôts concerne le droit de préemption. Si une personne déclare un montant de la vente d’un logement, bien inférieur, à sa valeur vénale, les impôts pourraient proposer une somme supérieure (de 10%) pour pouvoir acheter le bien. Les impôts doivent néanmoins avoir les fonds nécessaires pour réaliser une telle opération. Ils doivent également mieux s’organiser, car ce n’est pas les Impôts qui revendent les logements acquis, mais les Domaines. Le manque d’organisation et d’accès au fonds est l’une des raisons qui expliquent la frilosité de la direction des Impôts pour appliquer ce texte de loi », nous explique-t-on. Pour mener à bien nos opérations, estiment de hauts responsables des finances, il est nécessaire de confisquer les biens.

Après quelques années de prison, les fraudeurs peuvent ainsi recouvrer leur liberté, au bout de 2 ou de 3 ans, et profiter d’une belle villa avec piscine. « S’enrichir licitement n’est pas interdit. Ce qui est interdit, c’est de s’enrichir avec des moyens peu moraux. » La société algérienne, qui voue un véritable culte à la réussite sociale, semble se moquer de ce qui est légal et de ce qu’il ne l’est pas. Les « nouveaux riches » qui semblent narguer les classes modestes ont de beaux jours devant eux.

Par Amel Blidi