Cinq ans de prison et un mandat d’arrêt contre Khalifa

Le verdict a été rendu hier par la justice française

Cinq ans de prison et un mandat d’arrêt contre Khalifa

Paris, El Watan, 8 octobre 2014

Les fonds ayant servi à l’achat de la villa Bagatelle de Cannes et aux 12 avions-taxi (démontés et revendus en pièces détachées par Raghid Echamah) provenaient d’Algérie, plus précisément de Khalifa Bank.

La justice française a condamné, hier, l’ancien patron du groupe Khalifa, Abdelmoumen Rafik Khalifa, à cinq ans de prison ferme et délivré à son encontre un mandat d’arrêt international. En raison de son absence, l’ancien golden boy algérien, actuellement incarcéré à la prison civile de Blida, a été «jugé par défaut», selon Fabienne Siredey-Garnier, présidente de la 14e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre, qui a instruit et accueilli le procès du volet français de l’affaire Khalifa. «M. Khalifa est coupable d’avoir organisé le pillage de Khalifa Airways. Il s’est en plus dérobé à ses responsabilités devant la justice française en se réfugiant en Grande-Bretagne avant d’être extradé vers l’Algérie», a regretté Mme Siredey-Garnier.

«Pour tous les faits qui lui sont reprochés, il est condamné à 5 ans de prison ferme et à une amende de 375 000 euros. Nous avons aussi délivré un mandat d’arrêt contre lui», a-t-elle précisé. Ce verdict a ainsi alourdi la peine requise, en juin dernier, contre Rafik Khalifa, par le procureur de la République de Nanterre, qui avait demandé 3 ans d’emprisonnement à l’encontre du condamné.

Concernant les dix autres prévenus, comme anticipé par El Watan, une relaxe presque générale a été prononcée à leur encontre.
L’ancienne épouse Khalifa, Amirouchène Nadia, a été disculpée et blanchie intégralement par le jugement d’hier. Pour la juge Fabienne Siredey-Garnier, «tous les faits reprochés à Mme Amirouchène incombent à son ex-époux qui avait exercé un pouvoir absolu de décision». Autrement dit, la justice française considère que Rafik Khalifa est le seul responsable dans le dossier de banqueroute et de détournement d’actifs concernant les deux appartements achetés à Paris dont avait bénéficié le couple. Même chose concernant le dossier d’abus de confiance et de comptabilité irrégulière dans la gestion de KRG Pharma.

De son côté, Amine Chachoua, «celui, dit Mme Siredey-Garnier, qui était présenté par ce procès comme l’exécutant de Moumen Khalifa», a bénéficié d’une relaxe dans plusieurs faits qui lui étaient reprochés ; il a été néanmoins condamné pour banqueroute dans les dossiers liés à la villa Bagatelle et au détournement de six véhicules de luxe appartenant à Khalifa Airways. Pour ces faits, il a été condamné à 12 mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende.

Dans le lourd dossier de détournement présumé de trois avions TBM, toujours au préjudice de Khalifa Airways, le Franco-Libanais Raghid El Chammah a été relaxé intégralement. Selon le jugement du TGI de Nanterre, il a été prouvé que Jet Corp était une filiale de Khalifa Airways et que les avions concernés n’ont jamais été immatriculés au nom de Khalifa Airways. Dans ce volet du procès, la société Socata et son ancien PDG, Philippe Debrun, ont été également relaxés.

Dans le dossier de recel de banqueroute de deux appartements parisiens, les deux anciens bras droits de Rafik Khalifa, Mme Tayebi et Krim Smaïl, ont été condamnés respectivement à 8 mois et à 6 mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende chacun. Ses collaborateurs extérieurs, comme Noël Brandela et le notaire Pierre Lembo ont été, quant à eux, condamnés respectivement à 4 et 8 mois de prison avec sursis et 75 000 euros d’amende pour le deuxième.

Me Lembo est en effet sanctionné en sa qualité d’officier public qui a rédigé des documents frauduleux. En plus de Rafik Khalifa, l’agent immobilier Dominique Aute-Leroy est le seul prévenu condamné à de la prison ferme, à savoir 18 mois dont 12 avec sursis et 75 000 euros d’amende, pour sa culpabilité de complicité et recel de banqueroute dans le dossier de la vente litigieuse de la villa Bagatelle.
Par ailleurs, les deux parties civiles algériennes, Khalifa Bank et Khalifa Airways, ont été déclarées irrecevables. Par conséquent, le dédommagement de 18 millions d’euros réclamé par Khalifa Airways a été rejeté.

Le même sort a été réservé à la réparation financière demandée par SCP BTSG (Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias) en sa qualité de liquidateur français de Khalifa Airways et de Khalifa Rent a Car. Même si cette partie civile a été déclarée recevable, sa requête ne l’était pas car, d’après le texte du jugement, les avocats de ce liquidateur ont estimé eux-mêmes que tous les créanciers de leur client ont été payés. La quatrième et dernière partie civile, en l’occurrence le Conseil régional des notaires, a vu sa requête satisfaite par le tribunal, en condamnant Me Lembo à un euro symbolique pour avoir porté atteinte à la leur profession. Dans ce cadre, le tribunal l’a même condamné davantage en lui réclamant 1500 euros d’amende.

Samir Ghezlaoui


Procès khalifa en France

Les non-dits d’un verdict

Une peine de cinq ans de prison, l’émission d’un mandat d’arrêt international et la relaxe pour les autres accusés : un verdict et des interrogations.

Le procès Khalifa au tribunal de Nanterre s’est achevé avec un verdict des plus intrigants. Une peine maximale de 5 ans de prison ferme assortie d’un mandat d’arrêt international contre Abdelmoumen Khalifa et la relaxe pour son conseiller financier, Raghid Echamah, qui était au centre de toutes les transactions douteuses en France, mais aussi pour l’ex-PDG d’une filiale de l’entreprise d’aéronautique et de défense EADS, Philippe Debrun, qui avait aidé, au moment de la débâcle du groupe, à la revente des 12 avions-taxi.

Il y a une année, Moncef Badsi, liquidateur de Khalifa Bank, affirmait qu’il détenait des preuves matérielles de l’implication du Franco-Libanais Raghid Echamah dans la revente clandestine des 12 avions-taxi, achetés par Abdelmoumen Khalifa auprès d’EADS : «Je n’ai pas une idée nette du degré de complicité de Abdelmoumen Khalifa, ce dont je suis certain, c’est que le maître d’œuvre est Raghid Echamah, qui a contribué à démanteler ces appareils et à les vendre en pièces détachées à l’extérieur de la France. Tout le monde avait peur de cette affaire et des répercussions qu’elle pouvait avoir, notamment sur les cadres d’EADS, dont le directeur général avait été inculpé. Peut-être que la peur était liée aux révélations que pouvait faire Abdelmoumen sur ce géant de l’aéronautique. Il est important de rappeler que Raghid Echamah avait introduit une requête pour récuser la constitution de la liquidation en tant que partie civile.»

En évoquant EADS, M. Badsi a mis l’accent sur le poids de cette entreprise et surtout ses relations avec les plus hautes autorités de l’Hexagone. Dès le début de ce scandale, EADS a été épargnée. Profitant d’un remaniement, Philippe Debrun, le directeur général de sa filiale Socota, spécialisée dans la fabrication d’avions légers pour le tourisme et les affaires, a été remercié en raison de sa mise en examen pour «complicité de banqueroute». Sa relaxe par le tribunal de Nanterre, tout comme celle de Raghid Echamah, laisse penser que la raison d’Etat a eu le dessus dans cette affaire. Mieux, le tribunal a même décidé de refuser le statut de partie civile à Khalifa Bank en liquidation.

Les fonds ayant servi à l’achat de la villa Bagatelle de Cannes et à ces 12 avions-taxi (démontés et revendus en pièces détachées par Raghid Echamah) provenaient d’Algérie, plus précisément de Khalifa Bank, dont le liquidateur peine, 11 années après, à trouver l’argent pour rembourser les milliers de déposants victimes du hold-up du siècle.

Le procès de Nanterre se termine donc en queue de poisson et le verdict laisse supposer, à en croire l’avocat de Abdelmoumen Khalifa, maître Nasreddine Lezzar, que la juge en charge du dossier a considéré le jugement du tribunal criminel de Blida, dans le cadre de la gestion de la caisse principale de la banque, comme «un non-événement». Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il a relevé de nombreuses interrogations.
Comment peut-on délivrer un mandat d’arrêt international contre une personne en détention ? Comment peut-on condamner un prévenu pour des faits connexes avec d’autres pour lesquels il a déjà été condamné ? Il reste à espérer que le procès en cassation prévu à Blida, dont la date n’est toujours pas connue, ne se terminera pas avec autant d’aberrations….
Salima Tlemçani


Nasreddine Lezzar. Avocat de Abdelmoumen Khalifa

«La juge française considère la détention de Khalifa en Algérie comme un non-événement»

La condamnation de Abdelmoumen Khalifa à 5 ans de prison par le tribunal de Nanterre (France), hier, laisse perplexe et suscite de lourdes interrogations. Dans un entretien accordé à El Watan, maître Nasreddine Lezzar, avocat du mis en cause, livre sa première réaction.

-Le tribunal de Nanterre vient de condamner Abdelmoumen Khalifa à une peine de 5 ans de prison assortie d’une amende de 375 000 euros et d’un mandat d’arrêt international. Quelle est votre réaction ?

Je me m’occupe de la défense de Moumen que dans le dossier algérien. Mais je n’ai aucun embarras éthique à m’exprimer sur le procès qui s’est tenu au tribunal de Nanterre, en France, et dont le verdict est tombé aujourd’hui (hier, ndlr). J’ai toute latitude de donner mon avis en tant qu’observateur. A ce titre, j’ai plusieurs remarques à faire. La première est liée à la condamnation à 5 années de prison ferme. Il faut savoir qu’il s’agit là de la peine maximum que peut prononcer un juge correctionnel (à l’exception de certains cas). Pour moi, le verdict est la résultante d’un procès par défaut, en l’absence du prévenu qui n’a pas eu la possibilité de faire valoir ses arguments de défense. Un absent a toujours tort et l’accusé absent a bon dos. Il est le bouc émissaire commode pour tous les autres coaccusés.

-Voulez-vous dire que Moumen est plus victime que prévenu dans ce procès ?

Nous sommes devant ce qu’on appellerait un défaut absolu, en ce sens que l’accusé n’a été entendu ni durant la phase d’instruction ni durant celle du jugement. Ceci pour dire que sur le plan de la recherche de la vérité, ce procès n’est point révélateur.

-Selon vous, est-il courant en France que le juge prononce une peine plus lourde que celle requise par le procureur, qui est de 3 ans ?

Il est pour le moins paradoxal que le verdict du juge (5 ans ferme) ait été plus sévère que le réquisitoire du parquet (3 ans ferme), même si cela est légal. Moumen Khalifa a peut-être eu le tort de l’absence, ce qui est complètement injuste vu qu’il ne s’agit pas d’un défaillant volontaire ou de mauvaise foi. Il a été mis dans l’impossibilité d’assister en raison du refus des autorités algériennes de l’extrader. Il s’agit d’un absent malgré lui. C’est le défaut subi et non voulu. La durée de 5 ans de prison, même si elle est confirmée, est déjà absorbée dans les 8 années de prison que Moumen Khalifa a consommées. C’est comme si on arrêtait quelqu’un au premier barrage de police pour l’incarcérer alors qu’il a déjà effectué sa peine. Si cela arrive, il s’agira d’une détention illégale, arbitraire et abusive. En procédure pénale, il y a ce qu’on appelle le principe de confusion des peines. Lorsque quelqu’un est condamné à plusieurs peines, c’est la plus longue qui est retenue et absorbera les plus courtes.

-Qu’en est-il du mandat d’arrêt international décidé par la même instance alors que Moumen est en détention ?

Cette mesure est paradoxale à un double niveau. On délivre un mandat d’arrêt contre quelqu’un qui est en fuite et qui refuse de se rendre aux autorités judiciaires et non contre un détenu dans une prison ou contre une personne déjà arrêtée. «Mandat sur mandat ne vaut», serait-on tenté de dire. La juge française semble ne pas faire cas et ne pas tenir compte de la situation de détention en Algérie, qu’elle considère comme un non-événement.

Salima Tlemçani