Procès El Khalifa Bank : Les faux-fuyants de Sidi Saïd et Bouguerra Soltani

Procès El Khalifa Bank : Les faux-fuyants de Sidi Saïd et Bouguerra Soltani

El Watan, 2 juin 2015

Le premier témoin appelé à la barre est Nadéra Chentouf, directrice des caisses sociales au ministère du Travail, qui affirme que les placements à El Khalifa Bank ont commencé en 2001. «La Caisse nationale d’assurances sociales (CNAS) n’a pas envoyé les rapports du conseil d’administration sur le placement de 9,9 milliards de dinars. Une enquête a été effectuée par une commission installée par le ministre.» Le juge l’informe que Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l’UGTA et président du conseil d’administration de la CNAS, a déclaré en avoir informé le ministre. «Il n’y a aucune preuve, ni un écrit ni un accusé réception sur le sujet.

Lorsqu’il s’agit de sommes qui peuvent toucher à l’équilibre financier de la caisse, le ministère doit être informé», révèle le témoin. Le juge lui fait savoir que même le directeur de l’inspection a affirmé que le ministre n’avait pas été informé, «alors que le décret exécutif relatif aux caisses exige l’accord de la tutelle et la tenue d’une réunion du conseil d’administration». Nadéra Chentouf confirme. Le procureur général : «Les caisses étaient-elles obligées de bloquer leur argent pour une durée d’une année sachant qu’elles ne sont pas des entités commerciales ?» Le témoin : «Elles ont un directeur général désigné par décret, un conseil d’administration responsable de la gestion et le ministère qui a un droit de regard.»

Pour ce qui est de la Caisse nationale d’assurance chômage (CNAC), le témoin affirme qu’elle n’est pas concernée par le décret en question : «Je me rappelle qu’on avait reçu des procès-verbaux. Il y a même eu, si je ne me trompe pas, la réponse du ministère. Il y avait une cellule au niveau du département chargée uniquement de la gestion financière des caisses.»

Me Lezzar : «Y a-t-il un texte qui empêche le placement des excédents des caisses ?» «Il n’y a pas de loi, mais leur gestion est régie par un texte», répond Nadéra Chentouf, avant que le juge lui précise : «Mais le législateur a conditionné ces placements à l’accord du ministre quand il y a risque de déséquilibre financier…» Le témoin : «En fait, c’est plus une mesure prudentielle.» Le juge appelle Mohamed Benaouda, membre du conseil d’administration de la CNAS, représentant de l’UGTA, qui affirme n’avoir pas été convié à la réunion sur les placements. Avec l’arrivée du nouveau ministre, Belarbi Abdelmoumen, il y a eu la réélection de nouveaux membres des conseils d’administration, dont le président était Abdelmadjid Sidi Saïd, remplacé en septembre 2002 par Salah Djenouhat. «J’ai su les placements de la CNAS par la presse», souligne-t-il.

Le témoin Tayeb Aichi, un autre membre du conseil d’administration, semble avoir des problèmes d’audition, mais aussi de mémoire. Il était représentant de l’UGTA et dit n’avoir «jamais assisté à la réunion consacrée aux placements des fonds». Abdelmadjid Bennaceur, ancien directeur général de la CNAS (1996-2005), qui avait été condamné pour les mêmes faits à trois ans de prison en 2007, affirme que 10 milliards de dinars ont été placés à l’agence d’El Harrach, dès janvier 2002. «En réalité, il y avait une résolution datée d’avril 2001 du conseil d’administration autorisant la direction générale à placer les fonds», dit-il.

Le juge : «Y a-t-il eu une réunion du conseil ?» Le témoin : «Au mois d’avril 2001 la réunion a eu lieu, mais en janvier 2002, lorsque j’ai parlé des taux d’intérêt intéressants au niveau d’El Khalifa Bank avec le président du conseil d’administration, Abdelmadjid Sidi Saïd, il m’a dit de placer une partie des excédents de la trésorerie, près de 15%. Je lui ai demandé de me faire une résolution. Nous avions l’habitude de travailler de cette manière. Lorsque j’ai parlé de cette résolution, cela implique une réunion du conseil d’administration.

Après, il y a eu une convention avec El Khalifa Bank, que j’ai signée avec le directeur des opérations financières.» Le juge : «La loi exige une résolution du conseil d’administration et l’accord du ministre…» Abdelmadjid Bennaceur : «Lorsque nous avions signé la convention, c’était sur la base de la résolution. Nous savions qu’il fallait attendre un mois. Mais nous ne l’avons pas fait.…» Le juge : «Aviez vous une preuve que le ministre a été informé pour évoquer le délai ?» Le témoin : «J’ai dit que nous n’avions pas attendu pour aller vite dans certaines décisions. On travaillait comme cela.

A la base, nous avions la résolution d’avril 2001. J’aurais pu le faire à ce moment-là, mais par prudence j’ai attendu…» Le juge : «Il y a eu trois réunions du conseil d’administration en avril 2001, février 2002 et septembre 2002.» Le témoin : «Le problème résidait dans celle de février 2002 mais nous avions la résolution de 2001 et aussi la résolution signée par le président du conseil d’administration, Abdelmadjid Sidi Said….» Le juge : «Est-ce que la loi vous oblige à informer ou non ?» Le témoin : «J’ai la résolution de 2001.» Le juge : «Nous sommes en 2002 et il n’y a pas eu de réunion…» Le témoin continue à parler de la résolution de 2001 puis finit par lâcher : «Peut être qu’il y a eu deux ou trois membres.

Lorsqu’on a fait la réunion de septembre, après, à la fin de mandat de Sidi Saïd, nous avions tenu la réunion du conseil d’administration.» Le juge : «Comment ? Tous les membres ont affirmé n’avoir pas pris part à cette réunion…» Le témoin : «Les placements étaient déjà effectués. Durant cette période nous étions en train d’étudier le budget et nous avions évoqué ces placements et les revenus qu’ils génèrent, et le président du conseil d’administration a proposé d’insister sur ce point.» Le juge : «Aviez-vous rencontré Moumen ?» Le témoin : «Le jour de la signature de la convention.»

Le juge lui rappelle ses propos lors de l’instruction, selon lesquels il avait rencontré Khalifa dans sa villa, à El Biar, lors de la signature de la convention de placement, avec Aziz Djamel (directeur de l’agence d’El Harrach). Le témoin Bennaceur reconnaît avoir bénéficié de titres de voyage gratuits et d’une carte de paiement en devises après avoir déposé «100 dollars ou euros», dit-il. Le juge lui précise que pour obtenir une telle carte, il faut déposer entre 5000 et 6000 euros.

«Pour avoir une telle carte, pour moi, il suffisait juste d’être une personne solvable», répond-il. Le juge : «Est-ce qu’El Khalifa Bank et ses filiales payaient leurs cotisations ? Au juge, vous aviez déclaré que vous vous êtes rendu compte que la banque et toutes les filiales étaient domiciliées à Koléa et que les chèques qu’elles versaient pour les cotisations n’étaient pas provisionnés.» Le témoin : «C’est vrai qu’ils étaient à Koléa et qu’ils ne payaient pas jusqu’en 2003.

Leurs chèques étaient sans provision. Nous avions pris des mesures…» Au procureur général, Bennaceur affirme n’avoir récupéré que 3 milliards de dinars vers la fin de 2002. Me Lezzar revient sur le non-paiement des cotisations et le témoin affirme que les chèques sans provisions concernaient les derniers mois de l’année 2002 et le début de 2003. «Avant, les paiements se faisaient normalement», souligne-t-il.

Plus de 600 km pour répondre à la convocation du tribunal et témoigner

Le juge appelle Salah Mistiri, président de l’APC de Kmine, à Batna, qui déclare avoir sollicité El Khalifa Bank, pour aider la commune à acquérir des ambulances afin de permettre à cette commune frontalière d’évacuer ses malades et les femmes enceinte vers les hôpitaux. «Nous avons obtenu deux ambulances d’El Khalifa Bank. Le chef de daïra a fait les ordres de mission pour les chauffeurs, qui sont venus à Alger pour les récupérer. Ces ambulances nous ont rendu de grands services. La population était très contente. Elles étaient à la disposition de l’APC. Nous n’avions même pas de centre de santé.

Lorsque les gendarmes m’ont demandé de les restituer, je leur ai dit que c’était une donation et je leur ai montré l’acte. Mais ils ont refusé. Un cousin, qui était procureur général, m’a même appelé pour me dire de les restituer. Le liquidateur m’a dit qu’il fallait les payer ou les rendre. J’e ai parlé au wali, qui nous a, lui aussi, conseillé de les restituer en promettant de les remplacer. Ils nous ont posé un problème avec la population qui a occupé la mairie, refusant que ces ambulances soient rendues.

Le wali s’est engagé à les remplacer. Nous en avons eu une neuve et une autre empruntée à l’hôpital d’Arris, qui est en panne. La population était dans une prison durant la guerre de Libération et depuis l’indépendance elle vit l’enfer», révèle le témoin, qui a fait plus de 600 km pour être hier à l’audience, alors que de nombreux témoins qui résident à quelques dizaines de kilomètres se sont débinés. Raison pour laquelle le juge l’a vivement remercié avant qu’il quitte la salle d’audience.

Le juge appelle Akli Tarzalt, directeur adjoint de la Société de génie civil et de construction, filiale de Sonatrach, qui affirme que des cadres d’El Khalifa Bank lui ont proposé un taux d’intérêt de 14% au moment où la BEA (où les fonds de l’entreprise étaient placés) accordait 6%. «Je leur ai dit de me donner un temps de réflexion. J’ai appelé le responsable des finances de Sonatrach pour lui demander un avis, et il m’a dit que même à Sonatrach, les offres étaient à l’étude. Je lui ai dit lorsque vous aurez une réponse, informez-moi. J’ai attendu, mais il n’y a pas eu de réponse», explique le témoin. Son collègue Mohamed Said Aouimer, directeur des finances, confirme ses propos.

Mahiedine Signi, directeur adjoint de l’agence El Khalifa Bank d’El Harrach, dit ignorer tout ce qui se passait à l’agence, alors qu’il démarchait les produits de celle-ci, notamment les soins au centre de thalassothérapie auprès des clients de la banque. Yamina Hamza, chez qui les gendarmes ont trouvé un cartable appartenant à son collègue à Khalifa Graphisme et Impression, l’accusé Belekbir, contenant des documents de l’entreprise. «Je travaillais comme assistante commerciale. Je n’avais pas de bureau. Je n’avais pas des choses importantes que je laissais chez le directeur M. Belekbir. J’avais deux cartables. Lorsque je terminais un dossier, je remettais tout au directeur», dit-elle.

140 millions de dinars de crédit accordé à Flocon d’or et rendus à Khalifa

Mourad Mehana était chauffeur à Khalifa Graphisme et Impression et beau-frère de Belekbir. Sa version diffère de celle de sa collègue ; il affirme que l’appareil découvert chez sa collègue avait été trouvé à la foire. «Je l’ai mis dans le cartable et je l’ai oublié», souligne-t-il.
Brahim Tigmouline séquestre de Khalifa Rent Car (KRC), une filiale détenue à 50% par Khalifa Airways et à 50% par El Khalifa Bank. «J’ai trouvé que son dirigeant Arezki Mohand Amghar avait pris une somme de 15 millions de dinars, dénommée ‘prêt’, qui n’a pas été remboursée. Il m’a même affirmé que la preuve, il s’agit d’un don, mais pas un seul mot sur la procédure de remboursement.

Cependant, il m’a ramené deux chèques d’un montant de 14,2 millions de dinars. Il restait 6000 DA, qu’il ne voulait pas rembourser, ainsi que les trois téléphones et la voiture», dit-il. A propos de la liquidation de KRC en France, le témoin affirme avoir reçu une convocation du tribunal de Nanterre : «Je me suis entendu avec la liquidatrice de KRC en France, en lui demandant de me faire le listing des actifs de la société, mais elle m’a dit qu’elle ne peut rien faire, la loi, précise que le premier des liquidateurs nommés est celui qui obtient le droit de liquidation.

Le juge nous a demandé de se constituer partie civile pour poursuivre Khalifa, mais avec l’avocat et le liquidateur nous nous sommes rendu compte que les Français ne nous ont pas aidés.» Au sujet de cette filiale, il affirme avoir constaté un bilan de 54 millions de dinars ; elle a laissé une dette de 21 millions de dinars due essentiellement à l’achat des équipements avec l’argent de la banque. «Elle n’était pas du tout rentable et sa gestion était très mauvaise», indique-t-il. Me Meziane : «Pourquoi avoir remis les 218 millions de dinars au liquidateur ?» Le témoin : «C’était pour le remboursement des déposants. J’ai pu vendre le matériel. J’ai réparti les dettes, à 50% sur Khalifa Airways et 50% sur El Khalifa Bank, comme le stipule la loi.

Mais, en réalité, c’était El Khalifa Bank qui finançait.» Me Meziane lui demande des détails sur l’importation des stations de dessalement d’eau de mer, et le témoin déclare : «Les deux stations ont coûté 3,5 millions de dollars et les trois autres ne sont pas rentrées, 45 millions d’euros, plus une autre montant de 26,5 millions dollars. Le montant global était de 6,640 milliards de dinars. Lorsque je vois une opération avec deux monnaies différentes, cela suscite des soupçons. Ils ont enregistré l’opération sur un compte ‘avance’, mais sans dossier de base.

Je n’arrivais pas à aller plus loin. J’ai trouvé une lettre d’un cabinet international que les stations réceptionnées étaient trop vieilles et trop dégradées pour être utilisées. Les trois autres, qui ne sont jamais venues, j’ai bataillé durant longtemps pour avoir les données.»
Le témoin affirme avoir cherché les traces sur la filiale de KRC en France, en vain. Sur KRC, il affirme que le nombre de voitures récupérées a dépassé les 200, mais il y en avait plusieurs qui manquaient. Grâce aux gendarmes, seulement six ont pu être retrouvées. Sur une question du magistrat relative à la création par un directeur de KRC, représentant d’El Khalifa Bank en France, d’une entreprise de location, Leader Location, le témoin commence par confirmer, puis déclare : «Je n’ai pas eu ces détails.»

KRC a laissé un déficit de 5 milliards de dinars

Il ajoute, à propos de KRC, avoir «réalisé l’actif, d’un montant de 120 millions de dinars». Me Lezzar : «Si vous aviez eu plus de temps, auriez-vous absorbé la dette ?» Le témoin : «Les trois premières années, il y a eu 5 milliards de dinars, il était difficile de rétablir la situation. J’ai dit qu’il y avait une mauvaise gestion, des voitures étaient mises à disposition de personnes qui ne payaient pas. Sa liquidation au bout d’une année de séquestre était impossible, parce qu’il fallait ramener au moins 5 milliards de dinars.

En plus, une société qui consomme 80% de son capital ne peut redémarrer que s’il y a recapitalisation.» L’avocat : «Pourquoi avoir décidé d’abandonner les dettes en France d’un montant de 6000 euros?» Le témoin : «C’est la liquidatrice qui était intransigeante. On avait droit à un bonus, sur toutes les mises en liquidation de Khalifa TV et KRC. Nous attendons toujours de les récupérer. Nous n’avons rien abandonné…»

Arezki Mohand Amghar, directeur de KRC, du fond du box des accusés, prend la parole : «C’est un problème de bonne gestion et non pas de mauvaise gestion. La loi me permet d’amortir sur cinq ans. Sur les trois premières années, le bilan est sorti déficitaire, à cause de cela.» Le témoin : «Lorsqu’on fait un amortissement, c’est une accumulation d’un capital pour redémarrer. Il faut qu’il cumule l’argent pour renouveler le matériel. Or, dans cette société, il n’y avait pas d’argent.»

Le juge commence à lire les PV d’audition des absents, Abdelmadjid Sidi Saïd, qui déclare avoir informé le ministre des placements et de la tenue du conseil d’administration de la CNAS, en dépit du fait que l’ensemble des membres affirmaient le contraire. L’autre témoignage intéressant est celui de Athmane Bouchouareb, frère du ministre Abdessalem Bouchouareb, qui confirme que Abdelmoumen Khalifa, qui l’a reçu dans son bureau, lui a accordé un prêt pour la société Flocon Or, de Abdessalem, qui fabrique des chips et située à Reghaïa, d’un montant de 140 millions de dinars, le crédit a été obtenu auprès de l’agence de Koléa, pour permettre l’achat de l’équipement, de l’usine, et la garantie a été un terrain de près de 200 mètres carrés à El Achour.

Le remboursement, affirme le témoin, a eu lieu dans le bureau de Khalifa, en main propre, au lieu que ce soit à l’agence de Koléa. Dans le box, Moumen hoche la tête avant de la tenir entre ses mains. La mainlevée sur le terrain a été signée en… février 2003. Aujourd’hui, le tribunal entendra les dirigeants des clubs sportifs et le vice-président de la Banque d’Algérie, Mohamed Touati.

Bouguerra Soltani : «Un cadeau à un dirigeant est une corruption»

C’est vers 10h que Bouguerra Soltani fait son entrée dans la salle. Le président avait dès l’ouverture de l’audience annoncée sa convocation, avec celle du secrétaire général de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd. D’emblée, l’ancien ministre du Travail et de la Protection sociale veut apporter une précision : «Je veux corriger une erreur commise par le procureur général du même tribunal en 2007. J’ai été ministre du 27 décembre 1999 au 27 mai 2001. Et non pas au 27 mai 2002.

Cette période ne me concerne pas et je veux que cette erreur soit rectifiée.» Le président le fait revenir au débat. Il lui demande s’il a été informé des placements des fonds de la CNAS à El Khalifa Bank et si la procédure a été respectée. Soltani : «Je n’ai pas été informé de cette réunion. Je n’ai rien reçu ni du CA ni du directeur général sur ce qui a été fait. Même les membres du CA que j’ai interrogés, ignoraient la tenue de cette réunion consacrée aux dépôts.»

Le juge : «Le président du CA, Abdelmadjid Sidi Saïd, affirme avoir informé le ministère.» L’ex-ministre : «L’oralité n’a jamais été utilisée dans notre travail. Tout se fait par écrit. Aucune correspondance sur les placements n’a été envoyée. La loi précise clairement que le ministre doit être informé dans un délais de 15 jours et qu’il a 30 jours pour répondre.» Le juge lui demande s’il a déjà eu à prendre ce genre de décisions et l’ex-ministre affirme : «En juin 2000, nous avions proposé de changer la composante du CA parce qu’elle ne respectait l’équilibre dans sa représentation.

La demande a été rejetée y compris par des membres du CA.» Le juge insiste : «Etes vous sur de n’avoir pas été informé ?» L’ex-ministre : «La procédure n’a pas été respectée. Je persiste à affirmer que je n’ai jamais été informé de ces placements. Ce n’est qu’au mois de mai 2003, lorsqu’un trou a été découvert, qu’une enquête a été ouverte et a mis en lumière les dépôts.» Le juge lui demande si ces placements n’apparaissent pas dans les bilans. «Les caisses sont soumises à des lois spécifiques.

Les responsables nous envoient des bilans positifs mais parfois, comme par exemple avec la CNR, il est fait état de déséquilibre afin que nous puissions prendre les mesures nécessaires afin de permettre aux retraités de percevoir leurs pensions.» Le juge : «A supposer que vous étiez informé de tels dépôts, les auriez vous autorisés ?» Bouguerra : «J’aurais refusé pour des considérations religieuses. Il s’agit de l’argent de la zakat destiné à ceux qui sont dans le besoin.

Il est là pour garantir l’équilibre social. Nous n’avons pas le droit de le placer. J’aurais peut-être accepté si j’étais dans un autre ministère, comme le Commerce, mais pas là où il y a l’argent des travailleurs algériens et pour garantir l’équilibre de la Sécurité sociale. Tout déséquilibre va toucher directement l’Etat.» Sur la question de savoir si les caisses étaient dans l’obligation de faire fructifier leur excédent de trésorerie, Bouguerra est formel : «Cette fructification est interdite parce qu’il s’agit de l’argent des travailleurs. Le recrutement à la CNAS surtout à la CNR, qui était vulnérable et qui l’est à ce jour, était très difficile.

Si on place ces fonds et qu’on gagne beaucoup d’argent à travers les intérêts, est-ce que ces gains vont bénéficier aux retraités ? Non, je ne le pense pas. Les caisses ont un caractère social. Elles n’avaient pas besoin de faire des bénéfices.» Le juge insiste auprès du témoin pour comprendre comment, en tant que ministre, il n’avait pas été informé des dépôts. «Je n’avais pas d’espions au niveau des caisses pour m’informer.

Ni les directeurs généraux des caisses ni les représentants du gouvernement qui étaient au CA ne m’en ont informé. Pourquoi, lorsqu’il y a un déséquilibre, ils m’informaient rapidement et lorsqu’il s’est agi de placement, ils n’ont rien dit ? Lorsque la CNR a failli être menacée de disparition et que les 2,3 millions de retraités risquaient de ne pas toucher leur retraite, j’ai reçu des écrits. Nous avons touché tous les ministères pour tenter de rééquilibrer la caisse.

Et nous avions pu rattraper la situation. Si le président du CA, les directeurs généraux, les financiers m’avaient informé, ou même si des lettres anonymes m’étaient parvenues, j’aurais réagi. Je ne savais rien. Aucun des 29 membres du CA ni l’IGF ne m’ont informé. Comment aurais-je pu le savoir ? Lorsque le gouvernement s’est réuni pour tenter d’accorder, difficilement, une augmentation de 10% aux à la Fonction publique, un membre du CA m’a révélé que le CA s’était réuni et avait retenu une hausse de 46%. J’ai dit aux autorités que nous étions en face d’une catastrophe. J’ai écrit au chef du gouvernement. En tant que ministre, j’avais un salaire de 60 000 DA, alors qu’un directeur général de caisse percevait 90 000 DA.»

Le juge lui demande comment a-t-il rencontré Abdelmoumen Khalifa et Bouguerra indique que c’était lors d’une réception à l’hôtel Hilton. Il avait été convié par Khalifa à une réception à laquelle «de nombreux responsables ont été invités», organisée à l’occasion de l’obtention de l’agrément de Khalifa Airways. «Je peux dire que Moumen a réglé un grand problème de transport aérien. Moi-même qui suis de Tébessa, j’avais la possibilité d’aller chez moi sans problème. Nous pouvons dire qu’il avait beaucoup d’avantages mais aussi des inconvénients.

Qui m’empêchait répondre à son invitation.» Bouguerra fait éclater la salle de rire en disant : «Hier j’ai consulté cheikh Google, il m’a montré des photos de Moumen avec les plus grands responsables du pays. Où est le problème ? Si le fait d’avoir assisté à cette réception est un crime, dites le moi ! » Me Ali Meziane, avocat de El Khalifa Bank en liquidation : «Savez-vous que la loi de finances 2000 a clairement fait état du placement des excédents au Trésor public ?» Bouguerra se contente de dire : «Posez la question au ministre des Finances.»

Le procureur général l’interroge sur la facilité avec laquelle les 23 milliards de dinars ont été déposés par les caisses «au point où une petite agence d’Oum El Bouaghi a placé avant la direction générale de la CNR». «J’ai interrogé quelques responsables en 2007 sur cette question, ils m’ont répondu que Khalifa accordait des taux de 14% d’intérêt. C’était trop tentant, surtout que les banques publiques ne donnaient que 4% et Khalifa a élevé la barre à 18%. Moi-même, si je n’avais pas la casquette de ministre, je l’aurais fait !» Des propos qui contredisent sa première déclaration où il affirme que par conviction religieuse, il n’aurait pas déposé son argent à El Khalifa Bank.

Bouguerra poursuit : «J’ai connu des gens qui ont vendu leur maison et leurs terrains pour mettre leur argent à Khalifa Bank pour gagner un peu d’argent. Les taux d’intérêt ont été utilisés comme hameçons par Khalifa. Je connais de hautes personnalités de l’Etat qui ont déposé leur argent pour bénéficier de ces taux.

Mais je peux dire qu’un cadeau à un dirigeant est un acte de corruption.» Le procureur général : «Pourquoi le ministère n’a pas été informé ?» Bouguerra : «Le ministère n’a pas été informé parce que la loi qui régi ces caisses n’est pas très formelle en ce qui concerne les placements. Je différencie entre le placement qui se fait dans l’intérêt de l’entreprise et celui effectué pour enrichir ses poches. Mais quelques membres du CA se sont réunis, ils ont décidé de placer l’argent sans en informer la tutelle et ils l’ont fait.»

Il explique, à propos de la CNR, qu’elle obéit aux mêmes règles que la CNAC : «Cette caisse a été créée pour prendre en charge les 460 000 travailleurs mis au chômage lors de la restructuration des entreprises. Ces derniers ont reçu leur indemnité d’assurance chômage et l’argent resté dans la caisse a été utilisé pour financer des entreprises privées à la condition qu’elles s’engagent à garder les employés et à renforcer le recrutement. Au ministère, j’ai été informé de tout, sauf des placements.»

A une question sur la signature en 2001 des placements, le ministre réagit avec virulence : «Précisez la date. Dans l’année, il y a 12 mois», lui dit-il. L’avocat : «La période où vous étiez ministre.» Bouguerra : «La femme, quand elle va accoucher, on lui demande la date du mariage !» La salle éclate de rire. «Etes-vous au courant qu’il existe un arrêté ministériel (des finances) qui autorise la CNAC à placer ses fonds ?», lui demande un avocat. «Si vous précisez la date, je réponds. Sinon, je ne réponds pas aux suppositions», déclare Bouguerra.

Il tente d’expliquer pourquoi il n’a pas été informé : «Ils me qualifiaient de très difficile. J’étais rigoureux. Peut-être qu’ils savaient que j’allais demander pourquoi de tels placements et j’aurais même sollicité l’avis du chef du gouvernement. Mais ce qui est certain, c’est que je n’ai pas été informé.»

«Par conviction religieuse, j’aurais refusé les dépôts à El Khalifa Bank»

Me Lezzar, avocat de Abdelmoumen Khalifa, commence par lui rappeler qu’il était son camarade à l’époque où il faisait ses études de droit à l’université de Constantine. Bouguerra fait un large sourire. Il l’interroge sur le trou financier qu’il a évoqué et Bouguerra précise : «C’était en mai 2003, bien après mon départ.

Ils ont découvert un trou financier de 3 milliards de dinars. Je ne sais pas si c’était lié aux placements à El Khalifa Bank ou non.» Il affirme n’avoir jamais été informé sur la situation d’El Khalifa Bank par la presse, parce que, souligne-t-il, «les journaux n’ont jamais évoqué ces sujets, à l’exception des articles hebdomadaires du Soir d’Algérie sur la Caisse nationale de retraites, que je lisais avec intérêt, d’autant que l’auteur était un ex- cadre de la caisse».

L’avocat revient sur la fin de mandat des conseils d’administration des caisses et le témoin explique qu’il faut revenir au contexte de l’époque : «Le gouvernement n’était pas stable. Celui qui a le plus duré avait 8 mois, mais à partir de 2000, la situation commençait à être plus stable. Les responsables utilisaient cela pour faire passer des choses.

Lorsque le ministre n’est pas informé, que peut-il faire ?» L’ex-ministre précise que les caisses n’ont pas le caractère commercial pour chercher le gain. «La santé est gratuite, pourquoi donner le caractère commercial aux caisses ? Ce ne sont pas des commerçants, il gèrent des fonds pour garantir l’équilibre social», souligne-t-il. Me Lezzar : «Vous avez évoqué des convictions religieuses et les lois de la République…» Bouguerra : «Ma conviction religieuse reste fondée sur l’article 2 de la Constitution qui dit que l’islam est la religion de l’Etat. L’auriez-vous oublié ?»

A propos de la participation d’El Khalifa Bank dans des projets de la CNAC, Bouguerra est formel : «Je ne suis pas au courant et je n’ai jamais entendu parler de cela durant mon mandat. Mais je tiens à vous dire que je suis heureux que des sociétés emploient des Algériens.» L’avocat lui demande s’il aurait accepté d’utiliser les excédents des caisses pour faire travailler les 22 000 travailleurs d’El Khalifa Bank. Bouguerra : «La décision de faire travailler non pas 22 000 comme vous le dites, mais 6200 employés de Khalifa, doit émaner du gouvernement et non pas du ministre.»

Le procureur général : «Puisque l’avocat a posé une question hors sujet, moi aussi je demande au témoin ce qu’il pense de l’arrestation de trois cadres de Khalifa en pleine nuit à l’aéroport avec 2 millions d’euros.» Me Lezzar conteste. Bouguerra cite un verset coranique puis déclare : «Il y a une différence entre les 6200 et non pas 22 000 employés de Khalifa et l’affaire de l’aéroport. Chacun doit assumer les actes qu’il commet.»

Salima Tlemçani