Les 39 privilégiés de Khalifa

Les 39 privilégiés de Khalifa

El Watan, 1 février 2007

Driss Mouassi, PDG du Centre de thalassothérapie de Sidi Fredj, déclare, en tant que témoin, que Khalifa lui a laissé une ardoise de 380 millions de dinars. Une facture liée à des prestations faites par le centre au profit de 39 clients privilégiés du groupe, notamment des PDG d’entreprises qui avaient placé leur argent à El Khalifa Bank.

Il révèle avoir signé une première convention de sponsoring avec le groupe pour un montant de 2,5 millions de dinars. Il s’agit de l’achat d’équipements pour la plage (chaises longues, parasols), de matériel nautiques… en contrepartie de la mise à disposition du groupe de deux locaux dans le centre. En fait, c’est son Dg, Yekhlef Mohamed Aouameur, qui a négocié et traité avec le directeur de l’agence d’El Harrach pour la signature de cette convention. « Ils nous ont demandé deux cartes gratuites pour le directeur d’El Harrach et son adjoint Sigmi, ainsi que dix autres pour l’accès à la plage », note le PDG. Quelque temps plus tard, ajoute le témoin, ces mêmes responsables ont demandé au centre de thalasso d’ouvrir un compte à El Harrach pour pouvoir leur transférer les 2,5 millions de dinars. « Le deuxième volet consiste à prendre en charge, bien sûr par Khalifa, une liste de clients à ses frais au niveau du centre. Ils nous ont adressé une première liste de 20 noms qui est revue à la hausse pour devenir 39, afin de leur établir les cartes d’abonnement d’une année qui ouvrent droit à quatre séances par semaine de soins de remise en forme et l’accès à toutes les salles de sport, à la piscine, à la plage, aux salles de jeux, au cyber… La facture que nous avons établie en premier lieu était de 4,2 millions de dinars, soit 120 000 DA par personne. Mais l’accord n’a pas été respecté. Une quinzaine de ces personnes se sont présentées et la facture était de 3,8 millions de dinars que Khalifa n’a pas honorée », déclare Mouassi. Pour lui, il ne s’agit pas de refus de paiement, mais plutôt de non-sérieux. « S’ils n’avaient pas eu le problème de la dissolution peut-être qu’ils auraient payé », dit-il. Confronté avec Aziz Djamel, le directeur de l’agence qui affirmait la veille que les bénéficiaires se prenaient en charge financièrement, le PDG de Thalasso est formel. « C’est le groupe Khalifa qui assure la prise en charge financière. C’est lui qui établit la liste de ses clients. Moi, je ne les connais pas et nous ne sommes pas la Gestapo pour chercher qui sont les bénéficiaires », dit-il. Le témoin précise que l’accord est verbal et non pas écrit.
Les 207 voyages à Paris du directeur de l’agence des Abattoirs

Appelé à la barre, Hocine Soualmi, ancien directeur de l’agence des Abattoirs, était à la BDL de Hussein Dey, où il a occupé le poste de directeur pendant 7 ans, sur une période de 13 ans. Il rejoint Khalifa en 1999 pour un salaire de 70 000 DA, alors qu’il avait 30 000 DA. Il conteste le déficit qu’il qualifie de transferts de fonds légaux vers la caisse principale. Il note n’avoir jamais entendu parler de ce trou jusqu’à l’arrivée du liquidateur. Pour lui, les transferts se faisaient de la même manière que dans les banques publiques. Avant, Khalifa avait un contrat avec Amnal, rompu trois mois plus tard. A propos des écritures et des accusés de réception, il déclare qu’en 13 ans d’expérience bancaire, il n’a jamais entendu parler d’accusés de réception. « Si l’écriture ne revient pas, cela voudra dire qu’elle n’a pas été rejetée », ajoute-t-il. La présidente l’interroge au passage sur le poste qu’il occupait à Paris. « Ce n’était qu’une représentation du groupe. J’avais des problèmes familiaux, je me déplaçais régulièrement en France, et mon PDG m’a suggéré d’aller travailler là-bas pour éviter les absences. » L’accusé révèle avoir trouvé à Paris trois à quatre placements déjà effectués, dont celui de Adda Foudad, ex-directeur de l’école de police de Aïn Benian, accusé, qui étaient déposés dans le compte d’El Khalifa Bank à Sao Paulo, au XVIIIe arrondissement. Pour ce qui est des transferts des fonds de l’agence des Abattoirs, il explique qu’ils étaient assurés par des agents et Karim Boukadoum, ancien DG de Khalifa Airways, qui lui ramenait à chaque fois un ordre de versement et il reste la seule personne étrangère pour lui à l’agence. Boukadoum a pris, selon l’accusé, 15 millions de dinars en trois fois. A propos du déficit, de l’ordre, selon la juge, de 430 millions de dinars, 300 000 FF, 10 000 dollars US, l’accusé affirme avoir failli s’évanouir lorsqu’il a entendu ces montants. Selon lui, toutes ces sommes ont été transférées vers la caisse principale dans les règles. « Lorsque Boukadoum venait prendre les sommes, pour moi, c’était pour la caisse principale », dit-il. Pour ce qui est de son travail à Paris, il révèle qu’il ne faisait que donner des conseils techniques et bancaires au staff, composé d’une dizaine de personnes, dont trois d’El Khalifa Bank. La présidente l’interroge sur une convention signée entre Adda Foudad et Khalifa pour le placement de 600 000 euros. C’est l’accusé qui contacte le PDG et qui sert d’intermédiaire pour la conclusion de cette convention. Il affirme que Foudad avait également à Alger des bons de caisse à terme de 20 millions de dinars. La présidente l’interroge sur le transfert des 600 000 euros vers l’Algérie après le gel de la représentation de Paris, entre mai et avril 2002. « Je lui ai ouvert un compte au niveau des Abattoirs, en attendant un rapatriement effectué par la direction générale. Pour moi, c’était une opération réalisée. Il est revenu après avoir eu écho des problèmes de Khalifa pour me demander comment fructifier ses placements. Je lui ai proposé de garantir un prêt de 150 millions de dinars accordé à une société algéro-espagnole de l’agroalimentaire, qui avait des difficultés à terminer les 52 millions de dinars restants de la dette. Je l’ai conseillé à couvrir cette dette, en faisant un acte de nantissement. Ce qu’il a fait », explique-t-il. Cette affaire est tellement technique que le procureur général finit par prendre la parole, pour poser des questions pertinentes sur les voyages de l’accusé en France. « Vous avez allé en France 46 fois, en 2000, 51 en 2001, 80 en 2002, 23 en 2003 et 7 durant les trois mois de 2004. Pourquoi ? », demande le procureur général. L’accusé : « Pour des raisons familiales. J’ai ma famille installée là-bas depuis 1995. J’ai demandé une résidence, il fallait que je prouve que j’étais là-bas. Ce n’est qu’en 2005 que j’ai eu la résidence. J’ai monté une société avec ma famille sur place et je devais y être. Je voyageais même quand j’étais à la BDL. Chaque deux ans, je change mon passeport et je n’ai pas pris la fuite. » L’accusé informe que le PDG l’a suspendu parce qu’il a refusé d’exécuter un ordre de transfert non conforme. La présidente tire des feuilles : « Ce sont les bouts de papier d’instructions que vous avez exécutées. Juste des sommes griffonnées au stylo : 12 millions de dinars, 10 millions de dinars. » Elle montre les papiers à l’accusé qui acquiesce. Le procureur général reprend la parole et Me Aït Larbi conteste. « Vous êtes en train de vous relayer entre parquet et tribunal pour interroger l’accusé en ne donnant pas la parole à la défense. La procédure veut qu’il y ait une équité entre les questions de la défense et du ministère public », affirme l’avocat. La présidente réaffirme son respect de la défense. Me Boulefrad, quant à lui, proteste contre le fait que les témoins soient entendus avant les accusé. « J’aurais aimé faire en sorte que les témoins soient entendus après les accusés, mais le dossier est compliqué et à chaque fois nous sommes obligés de faire appel à l’une ou l’autre partie », déclare la présidente, avant d’appeler Akli Youcef, pour une dernière confrontation. Il affirme que les 11 EES de la caisse principale n’ont rien à avoir avec celles en suspens de l’agence des Abattoirs, d’Oran et d’El Harrach. Il confirme également que ces dernières lui parvenaient à chaque fois sans les fonds. Hocine Soualmi conclut par affirmer que ces propos ne restent que des propos, expliquant que les ordres par téléphone, par bouts de papier et par cartes de visite existent même dans les banques publiques. L’audience a été levée et reprendra aujourd’hui.

Salima Tlemçani