Qu’est-ce qui fait fuir les investisseurs ?

Qu’est-ce qui fait fuir les investisseurs ?

El Watan, 19 février 2006

Il est un constat largement partagé : l’Algérie n’attire plus ou presque les flux des capitaux étrangers. Elle offre une image paradoxale d’un pays assis sur un matelas de devises que lui procure la rente pétrolière, mais qui a bien du mal à amorcer son décollage économique.

Des fameux investissements directs étrangers (IDE), l’Algérie n’a capté qu’un zéro pointé, sinon une poignée de dollars versés par les opérateurs de la téléphonie mobile moyennant un marché vierge qui le leur rend bien. Pourtant, on ne peut soupçonner les décideurs à quelque niveau qu’ils soient d’avoir lésiné sur l’effort de convaincre outre- mer. Le président de la République, à lui seul, aura fait le tour du monde durant son premier mandat pour aller prêcher la « bonne parole » sur les tribunes des forums économiques internationaux mais aussi devant les aréopages d’hommes d’affaires étrangers. Les arguments ne manquent pas : main-d’œuvre bon marché, code des investissements ultrasouple, marché immense… C’est que l’entreprise Algérie est pratiquement offerte sur un plateau d’argent à ceux qui voudraient croire l’éloquence discursive des dirigeants algériens. Curieusement, ces appels du pied n’ont pas réussi à convaincre grand monde, y compris dans l’entourage immédiat du pays, comme c’est le cas des membres du MEDEF français. Celui-ci se répand en satisfecit sur « les opportunités d’investissements en Algérie » à coups de visites itératives et autres rencontres, mais ne franchit jamais le pas. Les réunions se suivent et se ressemblent. Le verbiage et les déclarations d’intention le disputent allégrement aux bons points distribués à tort et à travers. On ne doit bien sûr pas jeter la pierre à ces hommes d’affaires qui hésitent à injecter leurs capitaux peut-être à risque. Bien que la Coface s’ingénie à revoir le risque Algérie cycliquement à la baisse, les opérateurs de l’Hexagone et d’ailleurs ne se bousculent pas pour autant au portillon de la république. Le mal serait-il donc en nous ? C’est ce qu’il faudrait croire. Le climat des affaires en Algérie est décrié par toutes les organisations internationales et par le privé national aussi. Quand un homme d’affaires de la trempe d’Issad Rebrab s’engage à doubler les exportations hors hydrocarbures pour peu que cessent les « blocages » et que personne ne fait attention à ses révélations pertinentes, il ne faudrait pas s’attendre à un rush des étrangers. La vitrine politico-économique du pays est ternie par des comportements, des pratiques qui ne cadrent pas avec la saine compétition du marché. Pour cause, obtenir un terrain d’assiette pour y édifier une affaire équivaut à un parcours du combattant. Comble du paradoxe, même une ligne téléphonique ou un quelconque document administratif sont sujets à la corruption et au bakchich. Les rapports cycliques de la Banque mondiale et de Transparency International sur l’ampleur de la corruption et des passe-droits en Algérie découragent les plus téméraires des investisseurs. Ces « facilitations » sur lesquelles pérorent à longueur de séminaires les officiels algériens sont autant de goulots d’étranglement. Tout se passe comme si les décideurs ont axé leurs efforts sur l’accessoire au détriment de l’essentiel. En l’occurrence, les banques publiques nationales, du reste régulièrement secouées par des scandales, fonctionnent selon les réflexes de l’économie dirigée à l’heure de celle du marché. Le drame est que l’Algérie politique et institutionnelle n’est guère mieux nantie. Confiscation des libertés individuelles et collectives, verrouillage des champs politique, syndical et médiatique, instrumentalisation de la justice et atteintes aux droits de l’homme…Toutes ces scories politiques ne sont pas, à l’évidence, de nature à encourager les étrangers à tenter l’aventure. Les hommes d’affaires étrangers qui paradent chez nous repartent comme ils viennent, c’est-à-dire les mains vides. Les mots, aussi puissants et émouvants qu’ils soient, ne peuvent guérir les maux. Là est la question.

Hassan Moali